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Vierge indienne et Christ noir (IV)

Une histoire anecdotique de la pensée

jeudi 1er décembre 2016, par Georges Lapierre

L’essai de Georges Lapierre Vierge indienne et Christ noir, une « petite archéologie de la pensée mexicaine », paraît en feuilleton, deux fois par mois, sur « la voie du jaguar ».

« Reconnaître l’aliénation absolue de la pensée, la transcendance de Dieu, c’est accepter de servir sans rechigner celui ou ceux qui, reconnus par le pape, se présentent comme les promoteurs de la pensée. Cette transcendance est restée étrangère à la mentalité indienne. »

La conception d’un Dieu unique et transcendant, souverain absolu régnant sur le monde des fidèles, reste l’expression la plus claire du totalitarisme de la pensée. Ce n’est là que la représentation dans le ciel des idées de ce qui a lieu sur terre : le pouvoir absolu de ceux qui ont la pensée, en fait de ceux qui suppriment en pensée le travail d’autrui dans l’activité sociale de l’échange. C’est Charles Quint à la tête de l’Empire chrétien d’Occident. Reconnaître l’aliénation absolue de la pensée, la transcendance de Dieu, c’est accepter de servir sans rechigner celui ou ceux qui, reconnus par le pape, se présentent comme les promoteurs de la pensée. Cette transcendance est restée étrangère à la mentalité indienne. Le sentiment de l’universel et son évocation restent bien le fond commun que se fait le fidèle, qu’il soit indien ou espagnol, de la Vierge Marie, mais alors que l’Espagnol attend le salut post mortem de son allégeance, l’Indien attend une contrepartie toute terrestre à sa vénération : « Les dieux ont créé les hommes afin que ceux-ci leur rendent hommage », pense par exemple un Indien d’origine maya. En échange, lui et ses coreligionnaires sont en droit d’attendre un retour de politesse et une attention des dieux, quelques égards en somme. Si l’Église catholique a marqué le pas dans ce travail d’évangélisation, le relais est pris aujourd’hui par les sectes d’origine protestante, quand la puissance de la pensée n’est plus représentée par un individu singulier, l’empereur ou le roi de France guérisseur des écrouelles, mais par un point de vue unique sur le monde, celui des grands marchands.

« La religion n’est pas un épiphénomène susceptible d’être examiné à part, mais un enjeu de pouvoir décisif et ouvertement traité comme tel », écrit Christian Duverger [1]. Et c’était bien le cas lors de la conquête du Mexique [2]. La religion se présente comme un élément déterminant de la conquête, pour ne pas dire l’élément déterminant. Elle accompagne la mise en place progressive d’un ordre social nouveau dont elle est la parfaite expression sur le plan de la pensée. D’ailleurs les Mexica eux-mêmes étaient contraints de reconnaître que leurs dieux leur avaient manqué quand ils devaient soutenir leurs armées contre celles des conquistadors. Conscients de ce doute qui taraudait les prêtres aztèques, les missionnaires franciscains en firent l’argument clé de la supériorité de la religion chrétienne sur la religion mexica, du Dieu chrétien sur le Dieu tutélaire, Huitzilopochtli [3], des Mexica… Et, en fin de compte, de la civilisation chrétienne sur la civilisation mésoaméricaine.

À peine débarqué dans l’île de Cozumel dans le Yucatán en 1519, Cortés renverse ce qu’il considère comme des idoles pour imposer le culte de l’image de la Vierge. Cette conduite spontanée de Cortés n’est pas si éloignée que nous voudrions le penser de la conduite des Mexica en temps de guerre (ce qui amènera quelques quiproquos) : « Une cité était vaincue, nous dit Jacques Soustelle, ou s’avouait vaincue, lorsque l’assaillant avait réussi à pénétrer jusqu’à son temple et à incendier le sanctuaire de son dieu tribal. Aussi le symbole d’une conquête dans les manuscrits indigènes est-il le plus souvent un temple en flammes dans lequel est plantée une flèche. La prise du temple, c’est la défaite du dieu local, c’est la victoire de Huitzilopochtli : dès lors, les dieux se sont prononcés, et toute résistance devient inutile. La défaite présente un caractère symbolique, elle reflète une décision qui se situe sur le plan surhumain des divinités. [4] »

En remplaçant la figure du dieu tribal par l’image de la Vierge, Cortés ne change rien à rien dans le sens où il ne modifie pas la représentation que se font les Indiens de la réalité et du sacré, il a seulement remplacé une idole par une autre idole, l’idole du vaincu par l’idole du vainqueur, si nous définissons l’idole comme une image où se concentre le sacré, où se concentre l’esprit de tout un peuple, d’une tribu ou d’un clan. L’estampe de la Vierge Marie, que Cortés place en haut de la pyramide et dont il confie le soin aux prêtres païens après leur avoir demandé de se couper les cheveux, est une image sacrée au même titre que la statue du dieu Huitzilopochtli ou celle de la déesse Toci, elle est tout simplement la déesse tutélaire de ces nouveaux venus, les chrétiens. Notons en passant que les franciscains devront dissiper, extirper, non sans rencontrer d’énormes difficultés, tous les malentendus, toutes les confusions qu’une telle pratique a pu engendrer dans l’esprit des Indiens. Notons encore que les Indiens furent les premières victimes de ces malentendus, qui ne soupçonnèrent pas dans la manière d’agir de Cortés, si proche de la leur, le fanatisme religieux qui devait se donner libre cours quelques années plus tard. Ils pensaient pouvoir négocier leur reddition, payer tribut ; quand ils se sont rendu compte de l’enjeu réel, leur soumission totale, il était bien tard.

Le sentiment de l’universel, son évocation, reste le fond commun de la représentation que se fait le fidèle, qu’il soit indien ou espagnol, de la Vierge Marie. Ce qui change et évoluera au cours de l’histoire, ce sont les modalités de cette évocation, c’est-à-dire le mode de relation à l’universel, la forme que prend cette relation. Le journaliste Hermann Bellinghausen dans un de ses articles sur le Chiapas [5] remarque fort justement que dans cette région tzotzile, les saints existent pour être adorés, non pour être imités. « La Vie des saints » n’a pas de raison d’être pour un Indien dans la mesure où le saint est directement une des figures du divin, dans l’ensemble des figures possibles, et souvent interchangeables. Pour l’Église, par contre, c’est par sa vie exemplaire gouvernée par la foi et par son sacrifice que le saint se distingue du commun des mortels, il est vénéré comme modèle d’une vie consacrée à Dieu [6]. Il est une figure de la sainteté, d’une fidélité toute évangélique, non une figure de la divinité. Ce n’est pas le cas pour les Indiens, qui attendent un retour à leurs offrandes et à leur dévotion, on les a vus mettre les statues de leurs saints à la porte de l’église du village par dépit, pour les « réprimander » de ne pas avoir accompli les souhaits de la population, de ne pas avoir fait pleuvoir, par exemple.

Les « douze apôtres » sont arrivés avec une conception de Dieu complètement étrangère à la pensée aztèque : celle d’un Dieu unique, transcendant et souverain. La religion aztèque était une religion polythéiste au sein de laquelle il est difficile d’établir une hiérarchie entre les principaux dieux de leur panthéon, entre Quetzalcóatl, Huitzilopochtli, Coatlicue, Tezcatlipoca, Tlaloc ou Ometeotl… et tous ces dieux (les dieux sont innombrables) côtoient les humains, accompagnent l’activité des hommes, il y a un dieu pour chaque fonction et pour chaque état de la vie sociale, par exemple Ixcuina, l’épouse de Miquitlanteutle, le seigneur de la région des morts, est la déesse du sel et des excréments, déesse de tous les péchés, elle défend l’adultère. Un prêtre peut devenir le dieu dont il a la charge, il suffit pour cela qu’il se pare des attributs du dieu en question, alors il ne le représentera pas, il sera ce dieu, l’être se confondant avec le paraître. C’est un dieu que le prêtre sacrifie pour le renouveau du cosmos sous l’aspect du captif supplicié. Un va-et-vient, une communication, est toujours possible entre l’espace-temps des dieux et notre espace-temps. Les fêtes représentent le moment où les dieux arrivent dans le monde des humains. Encore aujourd’hui dans le Mexique métis et indigène, les morts rendent visite à leurs proches une fois par an, lors de la Fête des morts. Les calendriers marquaient l’opportunité d’une actualisation des dieux chaque jour sur la superficie de la terre (López Austin, 1996). Les prêtres aztèques faisaient un grand usage de plantes psychotropes, ce qui leur permettait de communiquer avec les dieux. Encore de nos jours le peyotl est d’un usage fort répandu parmi les Huichol ; cette plante sacrée donne accès au divin, au monde des esprits et elle permet aux Huichol de communiquer et de dialoguer avec le Cerf divin, qui est tout aussi bien l’Épi de maïs et tout aussi bien le Peyotl lui-même (l’esprit du cerf, qui est l’esprit du maïs aussi bien que celui du peyotl).

La première difficulté que rencontreront les douze franciscains au cours de leur mission militante consistera à faire entendre cette idée de la transcendance. L’image de la Vierge (et la Vierge elle-même) n’est pas une figure de l’esprit, elle n’est pas en soi sacrée, elle ne l’est que d’une manière indirecte, par contrecoup, parce qu’elle renvoie au sacré, à l’idée de Dieu, à la transcendance divine ; elle ne contient pas l’esprit, elle le suggère tout au plus, le divin est son au-delà. Les franciscains, à travers Érasme et son humanisme, ont été sensibles aux idées qui étaient alors dans l’air du temps et qui cherchaient à purifier le catholicisme des superstitions et du culte des images, qui veut que l’être se confonde avec son image, le divin avec sa représentation, aussi seront-ils particulièrement attentifs à cette question.

Sur le chemin de la transcendance, qui est aussi celui de l’aliénation de l’esprit, l’Église catholique a toujours gardé une position assez ambiguë puisqu’elle tolère les images et accepte les apparitions : le monde divin de la pensée n’est pas complètement et définitivement coupé du monde terrestre ; la divinité, ici la Vierge Marie, peut encore manifester sa présence aux yeux d’humbles mortels, elle apparaît sur terre de temps à autres, elle parle aux humains, elle leur fait part de ses souhaits. Pourtant c’est bien sur cette question de l’éloignement de Dieu que l’Église catholique devait, dans un premier temps du moins, marquer sa différence. Serge Gruzinski a pu écrire que « les Espagnols entreprennent de purger un continent entier de ses idoles tandis que l’Angleterre des Tudor détruit progressivement ses images au fur et à mesure que la Réforme s’y radicalise. On y passe les églises à la chaux, comme au Mexique on avait blanchi les pyramides. […] Les fondements scripturaires, le ton des attaques se ressemblent étrangement, et pour cause, mais également la haine déployée, même si d’Europe en Amérique les rôles s’inversent, l’idolâtrie papiste se muant par-delà l’Océan en un pourfendeur d’idoles » (Gruzinski, 1990). Après cette vague iconoclaste, l’Église reviendra à une position plus souple quant au culte de l’image, cela en dépit des protestations véhémentes des frères mineurs, qui voyaient tous leurs efforts réduits à néant.

Les Aztèques avaient un mot pour désigner Dieu, teotl, et un autre pour désigner leur souverain, tlatoani, le maître de la parole, et leur souverain ne semble pas avoir été considéré comme un dieu. Dans son livre qui traite de la conversion des Indiens de la Nouvelle-Espagne, Christian Duverger note avec pertinence : « Jusqu’alors les Aztèques avaient connu des dieux qui n’étaient pas souverains et des souverains qui n’étaient pas des dieux. Admettre qu’un dieu puisse être souverain revenait effectivement pour eux à embrasser une nouvelle religion »… et, pourrions-nous ajouter, un nouvel ordre social, celui d’un pouvoir totalitaire où le Dieu suprême est souverain et où l’empereur est souverain par la grâce de Dieu. Notons que l’empereur des Aztèques était désigné par ses pairs et qu’il pouvait être renié et remplacé, comme ce fut le cas pour Moctezuma, remplacé dans un premier temps par Cuitlahuac, puis, à la mort de ce dernier, par Cuauhtémoc.

Il n’y a pas, comme chez nous, une fracture entre le monde des divinités et celui des hommes ; au début, les guides des tribus chichimèques, les porteurs du dieu tutélaire, étaient en relation avec la divinité en tant qu’autre soi-même de la divinité. Les prêtres de la théocratie toltèque, par exemple, portaient le nom du dieu tutélaire, en l’occurrence celui de Quetzalcóatl, ce qui a amené d’ailleurs quelques confusions dans l’esprit des historiens. Le monde des dieux, l’idée que l’on pouvait s’en faire, n’était pas encore très éloigné de celui des hommes. Pour les Tzotzil, par exemple, la communauté indienne a sa réplique dans le village qui se trouve au cœur de la montagne et où vivent à la manière des humains les nahuals (ou naguals) des gens du village, le nahualli étant l’alter ego animal de la personne. Le monde des esprits n’est jamais très éloigné de celui des hommes. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

Enfin l’idée d’un dieu unique, Dieu le père, ayant pouvoir de vie et de mort, expression d’une société patriarcale toute-puissante ne laissant qu’une place très réduite à la femme (ou pas de place du tout), reste étrangère à la civilisation mésoaméricaine, où l’idée de couple, d’alliance des contraires, de dualité reste prédominante. À l’Un, à l’Unique, les Mexica opposent le couple, au Dieu Un, ils opposent le Dieu double, Ometeotl (ome signifiant deux et teotl, dieu) et ce dieu double est lui-même formé par le couple Ometecutli et Omecihuatl, c’est dire… À l’image d’Ometeotl, le dieu de la dualité, père et mère des dieux et des hommes, le Tlatoani était considéré comme « le père et la mère » des Mexica. L’empereur n’était-il pas toujours accompagné comme son ombre d’un « vice-empereur », qui portait le titre de Ciuacoatl, la Femme Serpent ? Aujourd’hui encore la plus haute autorité désignée par une communauté indienne est « le père et la mère » du village, il forme avec son épouse le couple responsable de l’harmonie communautaire.

Pendant cinq ou six ans, les Mexica se sont fermement opposés à la religion catholique et les franciscains, retranchés dans la capitale, organisaient chaque dimanche, avec les jeunes disciples qu’ils étaient en train de former, des expéditions « coup de poing » dirigées contre les temples et les sanctuaires qui entouraient la ville. Puis, comprenant sans doute qu’il était vain de résister et que la forme importait peu finalement, les Indiens se sont convertis en masse. Cette conversion massive va nourrir, comme le signale Christian Duverger, « un phénomène d’ethno-résistance » et les coutumes anciennes vont se perpétuer à l’intérieur même du culte catholique.

La conquête spirituelle du Mexique ne s’est pas achevée avec la conversion des Indiens au catholicisme, elle se poursuit encore de nos jours, et cette guerre feutrée a toujours pour cible le contenu des concepts. Au tout début de cette conquête des esprits par les frères mineurs et les frères pécheurs, auxquels se joindront un peu plus tard les augustins, le peuple mexicatl, à l’insu des moines bâtisseurs, nous l’avons vu, cachaient dans le mur des églises, la plupart du temps derrière l’autel, les statues de leurs dieux. Ce subterfuge n’était pas toujours nécessaire : leurs prières et leurs offrandes pouvaient s’adresser directement aux saints de la religion catholique, seulement la représentation qu’ils en avaient, l’idée qu’ils s’en faisaient, n’était pas très orthodoxe. La ferveur religieuse était bien là, mais à qui s’adressait-elle réellement ? Pour tenter de pénétrer la pensée indienne, les premiers moines cherchèrent à connaître leur culture et leur histoire, leur philosophie et leur théologie, la représentation qu’ils avaient du monde et des dieux ; ce souci de connaissance de l’autre était animé par un souci d’évangélisation : pénétrer la pensée d’autrui pour en extirper les erreurs et pour pouvoir la redresser et l’orienter dans le bon sens. Le travail de titan de Sahagun, qui va donner L’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne, a été entrepris dans ce sens, ce fut un travail inquisitorial mené à l’échelle d’une société.

L’image de la Vierge s’est trouvée investie par des représentations issues d’horizons totalement différents. Figure de la Mère, elle se trouve au point de convergence de plusieurs civilisations : civilisations orientales, indo-européennes, et plus précisément, méditerranéennes, et civilisation mésoaméricaine. Quand le culte de la Vierge Marie, venu d’Orient, arrive dans l’Espagne romaine, il se substitue progressivement au culte des divinités féminines d’origine celtique. C’est d’ailleurs le poids des déesses féminines dans le monde antique qui va contraindre l’Église à accorder une importance, qu’elle n’avait pas à l’origine, à la mère du Christ. Les temples consacrés à la déesse Mère vont se convertir en sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, en Espagne mais aussi tout le long de l’évangélisation des peuples « barbares », de l’Irlande à la Pologne. Au cours de cette conversion, l’image de la Vierge va recevoir, « en héritage », des contenus archaïques qui vont à la fois l’enrichir et la rendre plus complexe. Les divinités vénérées avant l’arrivée du christianisme vont finir par apparaître comme des figures de la Vierge Marie : Vierge de la Lumière, Mater Magna de Dieu, Vierge du Soleil, et la Vierge elle-même va être amenée à symboliser des éléments cosmiques comme la terre, l’eau, la lune, pour entrer dans un système de pensée qui n’a rien de chrétien, du moins à l’origine. La Vierge Noire est-elle une figure hiératique de la Vierge venue d’Orient ou celle du soleil nocturne, du soleil noir, de la lune ? C’est cette image de la Vierge, riche déjà d’une longue histoire que les Espagnols amènent avec eux au Mexique, où elle va se trouver confrontée à une autre image de la Mère (Notre Mère, Tonantzin) venue, elle, des profondeurs du monde mésoaméricain.

Chercher à appréhender ce qui se cache derrière la représentation de la Vierge Marie, suivre ses modifications et ses métamorphoses au cours de l’histoire, reste une gageure : comment décrire une image mentale dont le foyer se perd dans la nuit des temps et qui reste essentiellement subjective, appartenant en propre au fidèle ? Le contenu que nous donnons à un concept n’a pas sa définition dans le dictionnaire, c’est une image mentale à tel point évidente, à tel point constitutive de l’être que nous sommes qu’elle n’atteint que très rarement le seuil de notre conscience. L’intérêt d’une telle entreprise consiste à mettre au jour, ou à tenter de le faire, cette part mal connue car trop familière qui concerne le contenu de nos représentations. C’est à partir des indices que fait surgir la confrontation avec une autre cosmovision que nous pouvons espérer donner un éclairage sur la pensée ou les pensées qui nourrissent nos représentations.

Le lecteur peut voir dans cette investigation bien superficielle comme une contribution à l’histoire de la pensée, non dans le sens où on l’entend généralement, celui du progrès irrésistible de la pensée, c’est le sens que lui donnent les philosophes et les historiens, mais dans un sens événementiel : une histoire anecdotique de la pensée, la petite histoire de la pensée, celle de ses différentes expressions et manifestations apparues au cours des temps dans les civilisations et les sociétés.

Je n’ai pas cherché à définir, à cerner et à décrire un contenu, tâche au-dessus de mes moyens, j’ai plutôt tenté d’interpréter les différents contenus qui ont pu apparaître et se manifester : interpréter l’idée que se font les fidèles indiens de la Vierge Marie et qui reste l’expression de la résistance d’une culture à l’assimilation, interpréter les différents sens que la société coloniale, puis mexicaine, va conférer au mythe de son apparition en terre mexicaine, sens qui vont peu à peu construire et structurer, par tâtonnements et retouches successifs, l’image qui prévaut aujourd’hui. Dans ce travail de parturition, l’Église, en prenant différentes initiatives (la dernière en date fut la canonisation de l’Indien Juan Diego, témoin de l’apparition de la Vierge sur la colline du Tepeyac, par le pape Jean-Paul II), a joué un rôle capital, même si les conséquences d’une politique parfois à courte vue devaient lui échapper par moment. Elle a toujours été attentive à la rumeur publique, qui fut, en dernier ressort, le deus ex machina, ou plutôt, l’acteur principal de toute cette histoire.

(À suivre)

Peinture : Sergio Nieto d’Eloxichtlán.

Notes

[1Duverger (Christian), La Conversion des Indiens de Nouvelle-Espagne, Seuil, 1987.

[2C’est toujours le cas aujourd’hui, la religion reste bien un enjeu de pouvoir, quand le président des États-Unis prétend installer la « démocratie », entendons the american way of life, en Irak ou ailleurs dans le monde musulman, c’est toute une vision du monde dans le plus pur style des « nouveaux chrétiens » qu’il entend exporter et imposer avec sa « démocratie », les musulmans l’ont fort bien compris.

[3Huitzilopochtli : le dieu tutélaire des Aztèques, le Colibri gaucher, qui a combattu ses frères les étoiles et sa sœur la lune pour sauver sa mère, Coatlicue, la femme à la robe de serpent.

[4Soustelle (Jacques), Les Aztèques à la veille de la conquête espagnole, Hachette littérature, 1955.

[5La Jornada du 13 décembre 2005.

[6Ce modèle à suivre d’une vie soumise à l’autorité suprême doit se traduire dans la vie courante du fidèle par la soumission à l’autorité supérieure, l’Église, le pape, l’État, l’empereur.

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