Dans cet entretien réalisé en 1977 par Mathias Greffrath, [bleu violet]Günther Anders[/bleu violet] revient sur sa vie, ses influences et les principaux thèmes qui parcourent son œuvre.
Günther Anders raconte qu’il a quitté l’Allemagne en 1933 comme des centaines de milliers de réfugiés juifs, tous pour des raisons politiques, même si la plupart ne s’étaient jamais intéressés à la politique, car soudain la politique s’intéressait à eux. L’un des principes du national-socialisme, pour faire disparaître toute trace de conscience de classe, était d’offrir aux millions de victimes du « système », prolétaires au chômage et petits-bourgeois prolétarisés, un groupe par rapport auquel ils pouvaient (ou devaient) se sentir supérieur et sur lequel ils pouvaient (ou devaient) défouler leur haine. « Dans mon livre Die molussische Katacombe [La Catacombe de Molussie], le principe de la dictature s’énonce ainsi : “si tu veux un esclave fidèle, offre lui un sous-esclave !” » L’antisémitisme était « le moyen de gagner le combat contre la conscience de classe et la lutte des classes ».
Il avoue avoir été fasciné par Heidegger, dont il considère que le principal mérite restera d’avoir opéré une percée en direction de la métaphysique et de l’ontologie. Il réfute cependant que celui-ci ait pu représenter une sorte d’« anticapitaliste » puisque son « monde de l’outil » est celui d’un artisan de village. Ses analyses sont prémarxistes donc précapitalistes. Anders rapporte une discussion qu’il a eue avec lui en 1926 ou 1927, et qui prit un tour plutôt violent : il lui reprocha d’avoir laissé de côté chez l’homme sa dimension de nomade, de voyageur, de cosmopolite, pour n’avoir représenté l’existence humaine que comme végétale, celle d’un être enraciné à un endroit qu’il ne quitterait jamais (...)