la voie du jaguar

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Vierge indienne et Christ noir (XXV)

Le soulèvement des Zendales

dimanche 15 octobre 2017, par Georges Lapierre

L’essai de Georges Lapierre Vierge indienne et Christ noir,
une « petite archéologie de la pensée mexicaine », paraît en feuilleton,
deux fois par mois, sur « la voie du jaguar ».
« Une jeune Indienne de Cancuc appelée María de la Candelaria âgée de treize ou de quatorze ans, mariée à Sebastián Sánchez, Indien de cette ville, a dit à une femme indigène appelée Magdalena, aujourd’hui décédée, que la très sainte Vierge lui a parlé près de sa maison, qui se trouve hors de la ville ; elle lui a dit qu’elle devait ériger une croix avec une bougie dans le hameau et que tous devaient l’encenser, ensuite ils devaient lui construire une chapelle. Leur ayant fait cette révélation et ceux-ci l’ayant crue, Sebastián Sánchez, Agustín López, le père de María et Nicolasa Gómez, son épouse, ont élevé la croix et tout le monde venait pour l’encenser. »
(Déclaration de Juan García le 12 décembre 1712.)

Quand le curé de la paroisse, frère Simón de Lara, apprit cette nouvelle, il fit fouetter la mère, le père et la fille, et transporter la croix dans l’église du village. Pourtant devant la sourde hostilité des gens du village, le curé s’est vite trouvé isolé et les indigènes, passant outre à l’opposition de frère Simón de Lara entreprirent d’élever une petite chapelle sur le lieu de l’apparition de la Vierge.

« Les gens du village se trouvaient rassemblés devant la chapelle quand María López de la Candelaria est entrée accompagnée d’une autre femme indienne appelée Magdalena Díaz avec un baluchon enveloppé de son huipil qu’elles placèrent derrière une natte faisant office de cloison ; elles ont alors annoncé que Notre Dame avait été mise là et qu’elle leur était apparue, à la suite de quoi le peuple est entré dans la chapelle pour se prosterner devant la natte, et le miracle ayant été proclamé dans toute la province, les habitants ont commencé à arriver porteurs d’aiguilles de pin, de cierges et d’autres offrandes qu’ils remettaient à cette jeune femme indigène, María López. »
(Déclaration de Juan Pérez.)

Le 23 juin, l’apparition aurait eu lieu en mai ou au début du mois de juin 1712 (le curé de la paroisse, frère Simon de Lara eut vent de l’événement le 15 juin), une délégation des habitants de Cancuc s’est rendue à l’évêché pour solliciter l’autorisation de célébrer le culte de la Vierge. Elle trouva l’évêque à San Juan Chamula où il était venu célébrer la Saint-Jean. En réponse à leur pétition, l’évêque fit arrêter et emprisonner les neuf autorités indiennes membres de la délégation, puis il donna l’ordre de détruire la chapelle. En apprenant cette nouvelle, les habitants de Cancuc entrèrent dans une vive colère et cette fois le curé dut fuir la ville au plus vite. Peu importe son départ précipité, un Indien, Sebastián Gómez de la Gloria, venu de Chenalhó (dont le saint patron est San Pedro, cela tombe bien) et portant avec lui l’image de saint Pierre enveloppée dans une étoffe (ou bulto), déclara qu’il avait reçu de la Vierge, du Christ et de saint Pierre la faculté d’ordonner prêtres les Indiens instruits en religion. On renonçait désormais aux prêtres espagnols et on les remplaçait par un clergé autochtone.

« Désormais il n’y a plus ni roi, ni tribut, ni alcalde mayor [1], ni juge, ni fonctionnaires, il n’y a plus ni évêque, ni curés, tout cela est terminé ; maintenant les Indiens allaient jouir de leur ancienne liberté et avoir leurs propres vicaires chargés d’administrer tous les sacrements. »

Au début du mois d’août, une notification est envoyée à tous les peuples indiens des différents districts (le Chiapas est alors divisé en provinces ou districts), aux Tzotzil, aux Tzeltal, aux Chol et aux Zoque : « Venez tous dans la ville royale de Cancuc, la nouvelle Ciudad Real, avec l’argent de vos églises, les ornements et les cloches, les arcs et les tambours et tous les livres, il n’existe plus ni Dieu ni roi, venez au plus vite. Vous serez châtiés si vous ne répondez pas à mon appel ! » Le mot était signé : la Vierge María de la Cruz. Parfois il était précisé que l’empereur Moctezuma avait ressuscité et allait aider les Indiens à mettre en déroute les Espagnols.

« Désormais était accomplie la prophétie de secouer le joug et de restaurer les terres et la liberté, c’était la volonté de Dieu que la Vierge vînt pour ses enfants les Indiens, pour les libérer de l’esclavage auquel les soumettaient les Espagnols et les ministres de l’Église et que les anges viendraient pour semer et prendre soin de leurs milpas (de leurs champs) et que selon les signes qui avaient lieu dans le soleil et la lune, le roi d’Espagne était mort et que l’on devait en désigner un autre et que le roi qui devait les gouverner serait issu de leur élection et qu’ils seraient libres des travaux qu’ils enduraient et de payer tribut. »

La plus grande partie des provinces, dont celle de los Zendales [2], et des villes indiennes (pueblos de los Indios [3]) au nord de la capitale Ciudad Real se joignirent à l’insurrection pour former une confédération des villes indiennes en rébellion. Le feu de la révolte s’est étendu très rapidement et les villes, qui hésitaient encore à entrer dans cette confédération ou tentaient de résister, étaient prises d’assaut et soumises par les « soldats de la Vierge ». Les curés, les colons, les ladinos (autorités indiennes collaboratrices), les métis et les troupiers espagnols qui refusaient de faire allégeance à la Vierge étaient massacrés. Dans toutes les villes de la confédération, un clergé indigène — chaque nouveau vicaire étant considéré comme le « fils » du saint patron de sa ville — remplaçait, pour réaliser les mêmes obligations, le clergé espagnol banni. Il célébrait les messes et administrait les sacrements traditionnels. Dans ses sermons il exhortait le peuple à croire aveuglement à la Vierge. La Vierge Marie avait pris la place de Dieu, « avec un ciel et un sacerdoce ouverts seulement pour les Indiens ». Les indigènes responsables du culte étaient organisés en confrérie. Une quarantaine de majordomes prenaient soin à tour de rôle de la petite chapelle, s’occupaient des pèlerins et organisaient les offices et les fêtes consacrés à la Vierge. María de la Candelaria (ou María Candelaria) était à la tête de cette confrérie et se tenait assise près de l’autel de la petite chapelle ; à la demande des pèlerins, elle se rendait derrière le rideau pour dialoguer avec la Vierge et leur rapporter ses paroles.

Les indigènes ont changé le nom de Cancuc pour celui de Ciudad Real ; quant à la ville coloniale de Ciudad Real, elle reçut le nom de « Jérusalem », la ville où le Christ fut supplicié. La région de Huituipán fut appelée Guatemala et un Indien fut nommé président du Guatemala. Le monarque espagnol étant déclaré mort, trois Indiens furent désignés rois de la Nouvelle-Espagne. Sebastián Gómez fut nommé alcalde mayor du Chiapas. L’armée de la Vierge fut organisée selon le modèle espagnol avec à sa tête le capitaine général dont le rôle fut attribué à trois capitaines, Juan García de Cancuc, Nicolás Vasquez de Bachajón et Lázaro Jiménez de Huituipán. En dessous se trouvaient les capitaines provenant de chaque ville insurgée. Les grades inférieurs étaient représentés par ceux de sergents et d’adjudants. Les Espagnols passèrent pour être juifs car ils avaient persécuté la Vierge, mère de Jésus-Christ.

Cette guerre sainte, qui connaît de nombreux rebondissements et va pour longtemps impressionner avec force les esprits, commence par une défaite devant Ciudad Real. À partir de là le mouvement ne sera plus qu’en sursis, le temps pour les Espagnols de s’organiser, de regrouper leurs forces et de former une armée sous le commandement du président de l’Audience royale [4] du Guatemala, don Toribio de Cosio. La ville insurgée de Cancuc sera prise d’assaut le 21 novembre 1712. De nombreux mois furent nécessaires pour « pacifier » toute la région, et le culte de la Vierge indienne de Cancuc s’est prolongé longtemps encore dans la clandestinité des cœurs, protégée par les montagnes escarpées, les ravins et la forêt Lacandone, ne disait-on pas que María de la Candelaria montée sur un âne s’était retirée avec sa famille au désert d’El Lacandón d’où elle reviendra après 1 260 jours, une fois mort don Toribio de Cosio ?

Très rapidement les soldats de la Vierge se dirigèrent sur Ciudad Real, la Jérusalem de la vallée du Jovel, dans l’intention de prendre la ville et de se libérer une bonne fois pour toutes de la présence des conquérants. Dès le 23 août ils s’emparent de San Miguel Huixtán, village tzotzil à proximité de la ville coloniale. La ville se trouve alors prise en tenaille entre Huixtán à l’est, d’où l’armée de la Vierge se prépare à se lancer sur elle, et Zinacantán à l’ouest, qui vient de se révolter. Les habitants de Ciudad Real connaissent une telle panique que les rochers qui dominent la ville leur paraissent comme une armée indienne se préparant à fondre sur eux, relate frère Francisco Ximénez dans son Histoire du Chiapas et du Guatemala. Les Espagnols mettent sur pied, en toute hâte, une petite armée constituée de Métis et de Noirs encadrés par des hommes de troupe appelés en renfort. Cette armée marche sur Huixtán qu’elle reprend le 25 août. En apprenant la nouvelle, les habitants de Zinacantán n’insistent pas et préfèrent se retirer dans une prudente neutralité. Les insurgés se replient sur Cancuc.

Cette défaite a jeté le trouble et l’inquiétude dans la confédération des villes rebelles. C’est à cette époque qu’intervient Sebastián Gómez de la Gloria, l’inspiré de San Pedro de Chenalhó, pour consacrer les vicaires indiens et l’on a pu voir María de la Candelaria, le manteau de saint Thomas sur les épaules, ouvrir la procession des vicaires récemment ordonnés. Il s’agit de renforcer la confédération face aux Espagnols : les villes de Chilón et d’Ocosingo, où il y avait une présence espagnole notoire, avaient été prises en août et les épouses emmenées captives à Cancuc. Le 9 septembre, les insurgés tombent par surprise sur Simojovel qui était restée fidèle au roi d’Espagne : au petit matin les soldats de la Vierge vêtus d’un pagne et le corps couvert de boue rouge empoignant leurs lances et leurs machettes se précipitent sur la ville au cri de « mort aux chiens des juifs » ; le curé, Juan de Dios Campero, tombé dans la boue, fut piétiné par les fuyards puis par ceux qui poursuivaient les fuyards, nous rapportent les chroniques de l’époque. Pendant ce temps, les Espagnols, retranchés dans Ciudad Real, ne restent pas inactifs.

Le 10 octobre, une armée de huit cents hommes part du Guatemala, la capitale, pour arriver à Ciudad Real le 28 octobre. Le 16 novembre, l’armée espagnole commandée par don Toribio de Cosio part d’Oxchuc, qui vient d’être repris, en direction de Cancuc. Le 20, elle atteint les abords de Cancuc. La ville est solidement fortifiée et ce n’est qu’à la suite d’un terrible combat avec de nombreuses pertes de chaque côté que les Espagnols peuvent enfin pénétrer dans Cancuc le 21 novembre et se rendre maîtres de la ville.

« Quand les Indiens comprirent que ni les tranchées, ni les barricades, ni leurs armes primitives, ni leur supériorité numérique ne pouvaient empêcher les Espagnols de prendre la ville, ils cherchèrent alors une aide surnaturelle. Ils s’empressèrent de porter jusqu’à la rivière, assises sur des chaises et protégées du soleil par des nattes, quatre femmes connues pour leur pouvoir en sorcellerie afin qu’elles fassent usage de leurs armes magiques contre l’ennemi. Chacune d’elles représentait l’un des quatre pouvoirs destructeurs de la nature : le tremblement de terre, le feu du ciel, l’inondation et l’ouragan. Le plan consistait à lancer la foudre sur Cosio, le général en chef des Espagnols, provoquer des inondations dans lesquelles seraient morts noyés les soldats du roi ou des tremblements de terre qui les auraient ensevelis. Quand les hommes qui avaient amenés les sorcières se rendirent compte de l’échec de l’entreprise, ils abandonnèrent à leur sort les quatre femmes et regagnèrent la ville. [5] »

Dès qu’ils purent entrer dans la ville, les Espagnols se précipitèrent vers la petite chapelle, en vain, ils ne purent arrêter les dignitaires du culte de la Vierge : María de la Candelaria, son mari, son père et Sebastián Gómez de la Gloria venaient de s’échapper. Le curé, frère Simón de Lara, revenu avec l’armée pour assister au massacre des habitants qui s’étaient rebellés contre son autorité put alors se faire l’interprète de la colère de Dieu :

De nada sirve gritar, llamar a hechiceros para provocar relámpagos y tempestades. Se los llevará el viento, los arrebatará el aire, caerán siempre, como caéis ahora, vencidos ante la presencia del único Dios verdadero, Nuestro Señor Jesucristo, y su Madre Santísima. Y sólo aquel que a mí se ampare y suplique su perdón, recobrará su casa y su milpa, y volverá a pagar tributo.

« Il ne sert à rien de crier, d’appeler des sorciers pour provoquer des éclairs et des tempêtes. Le vent les emportera, l’air les empoignera, ils tomberont toujours, comme vous êtes tombés maintenant, vaincus face à la présence de l’unique vrai Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ, et sa Très Sainte Mère. Et seul celui qui se met sous ma protection et supplie pour son pardon retrouvera sa maison et son champ, et paiera à nouveau tribut. »

L’insurrection n’était pas étouffée pour autant avec la prise de Cancuc. Dans les différents endroits où les insurgés se sont arrêtés, ils ont fondé de petites chapelles où l’on venait adorer la Vierge indienne de Cancuc qui, selon les dires se trouvait derrière une cloison. Un petit groupe de rebelles irréductibles ayant à leur tête le capitaine Geronimo de Morales avait trouvé refuge dans la forêt qui s’étend entre Ocosingo et Comitán. Alors que ce capitaine se trouvait dans les parages d’Ocosingo, à proximité des ruines de la grande cité préhispanique de Toniná, il fut avisé par deux Indiens qu’ils avaient rencontré la Vierge descendue du ciel. Le capitaine est revenu quelques jours plus tard portant sur des brancards la Vierge enveloppée dans un tissu. Une Indienne d’Ocosingo a soulevé le voile :

« Se voyant seule, elle a soulevé la couverture qui enveloppait l’objet et vit un animal avec la face, les oreilles, les narines et les moustaches d’un chat avec de grands yeux resplendissant, une longue queue, une peau jaune avec des taches noires, recouvert d’une pièce de taffetas rouge, elle n’a pas pu distinguer les mains et les pieds qui étaient cachés par l’étoffe, mais elle a pu voir les ongles que la bête avait longs et recourbés, en voyant cela, elle a été terrifiée et elle est partie en courant. »
(Déclaration de Magdalena Vásquez, naturelle d’Ocosingo, le 5 juillet 1713 [6].)

L’armée du Guatemala aidée par les troupes venues de Tabasco, c’est-à-dire de la Nouvelle-Espagne, durent prendre les villes rebelles, Chilón, Bachajón, Ocosingo, Sibacá, Yajalón, Tumbalá, une à une. Bachajón, Ocosingo et Sibacá furent soumises en janvier, février et mars 1713, respectivement. Dans la région tzotzile, les villes de Chenalhó (où s’était réfugié Sebastián Gómez de la Gloria), San Miguel Mitontic, San Andrés Iztacostoc (aujourd’hui Larráinzar), Santa Marta, Pantelhó… continuèrent à résister. Toute l’année de 1713 fut nécessaire pour soumettre la région. Ce fut au cours de cette « pacification » que s’est généralisée la pratique du regroupement des populations dans des centres ou « réductions » sous la surveillance permanente de l’Église, afin d’éviter la dispersion des hameaux dans des zones d’accès difficiles, échappant ainsi à tout contrôle.

À la fin de l’été de l’année 1713, mourut en couche María de la Candelaria appelée encore María Angel, ou encore María de la Cruz : nouvelle cihuateteo [7] ou femme-dieu (metik rioxetik, disent les Tzotzil [8]), guerrière des rêves, elle est partie rejoindre le soleil dans sa course du zénith à l’Occident. Ses parents, qui l’avaient accompagnée dans sa fuite vers le nord où ils avaient trouvé refuge dans la montagne, furent tous arrêtés : son père, Agustín López, son frère, Sebastián López, sa belle-sœur, María Hernández, son mari, Sebastián Sánchez. Seul Agustín López a été passé par les armes. Sa tête fut exposée sur une pique au centre de la place de Cancuc.

La répression fut particulièrement brutale, il était recommandé de frapper de terreur non seulement les villages rebelles mais aussi ceux qui auraient pu avoir quelques velléités de rébellion. La troupe agissait dans la plus grande liberté et en toute impunité, les exactions exercées sur la population furent terribles ; sous prétexte de prendre toutes les armes, les soldats ont souvent laissé la population sans outil : machettes, haches, serpes, couteaux, tous les instruments de travail furent emportés, ce qui a engendré des famines et des années de pauvreté extrême dans bien des villages. Pourtant il était aussi d’une très grande importance pour les autorités civiles et ecclésiastiques que les paysans indigènes reprissent le travail au plus vite afin qu’ils pussent à nouveau payer tribut et un pardon « intéressé » était parfois accordé à ceux qui se repentaient amèrement de « leurs erreurs ».

Ce soulèvement a profondément ébranlé la société coloniale au point où l’on continuait à célébrer annuellement des messes d’action de grâce pour la victoire sur les « Zendales » longtemps après l’indépendance. Un tableau exposé dans la grande salle de l’Audience du Guatemala rappelle, à la vigilance des autorités coloniales, les scènes terribles de cette rébellion, qui a si profondément marqué les esprits : incendie de San Martín par la troupe, incendie de Simojovel par les insurgés, exécution des capitaines rebelles, mort des prêtres espagnols, mise à mort d’une « sorcière » indienne, pendaison de Juan García, capitaine général des insurgés, Espagnols jetés du haut de la tour de l’église à Chilón, fortification des Indiens de los Mayos pour résister aux troupes venues du Tabasco [9]… Comme le feu qui couve sous la cendre, il ne s’agit pas pour les coletos [10] d’oublier, dans la fausse tranquillité que procure le confort et la richesse, la menace que représentent les peuples indigènes soumis, hier comme aujourd’hui, à une exploitation intensive et sans vergogne.

Dans cette trop rapide relation, nous avons pu noter en cours de route un certain nombre d’ambiguïtés touchant le sens donné à ce mouvement, des indices nous font penser à un mouvement millénariste dans la pure tradition chrétienne, par exemple quand les insurgés font allusion à l’empereur Moctezuma ressuscité ; d’autres, par contre, se réfèrent plus nettement à la tradition prophétique maya comme le retour attendu de María Candelaria dans 1 260 jours. Les cérémonies et les offices religieux qui entourent la Vierge respectent dans le moindre détail le culte catholique, une image de la vierge chrétienne se trouve sur l’autel de la petite chapelle qui lui est consacrée ; pourtant dans cette même chapelle, un lieu secret a été aménagé où se trouve la divinité avec laquelle dialogue María Candelaria : d’un côté de la cloison la représentation, ou la figure, d’une Vierge parfaitement catholique, de l’autre une présence occulte pas très catholique. Nous avons vu remonter à la surface l’énigmatique chiffre trois, marque indélébile de la cosmovision tzotzile et tzeltale, trois rois, trois capitaines… et puis nous avons vu María Candelaria conduire la procession des vicaires indiens revêtue, nous dit-on, du manteau de saint Thomas mais est-ce bien la robe de saint Thomas ? Ce mystérieux manteau ne serait-il pas l’emblème de Quetzalcóatl [11] ou, mieux, puisqu’il s’agit de peuples mayas, de Kukulkan ? María Candelaria Kukulkan ? La Vierge-jaguar, la Vierge-foudre, mais aussi la Vierge-Kukulkan. Nous allons aborder ces glissements de sens dans les prochains chapitres.

(À suivre)

Notes

[1Alcalde mayor : Fonctionnaire de la couronne exerçant la juridiction civile ordinaire dans son district ou alcaldía mayor.

[2Tous les documents d’époque appellent ce mouvement indien rébellion, soulèvement, insurrection sans douter de son caractère radical et ils l’attribuent tous aux « Zendales », et seulement à eux. En fait « los Zendales » se réfère à une circonscription administrative de caractère religieux et militaire sous l’occupation coloniale (et non à un peuple), appelée encore province. Le soulèvement n’a pas touché uniquement la province des Zendales (qui s’étend au nord-est de Ciudad Real dans la région des Cañadas) mais encore deux autres provinces, celle des Coronas et Chinanpas (au nord de la ville espagnole, dans la région montagneuse des Altos) et celle de Guardania (qui s’étend jusqu’à la frontière avec le Tabasco). Ce soulèvement concerne trois peuples d’origine maya : Tzotzil, Tzeltal et Chol.
Sources principales, auxquelles je me réfère, concernant cette insurrection :
Bricker (Victoria Reifler), The Indian Christ, the Indian King, the Historical Substrate of Maya myth and ritual, University of Texas Press, Austin, 1981.
Viqueira (Juan Pedro), Indios rebeldes e idólatras, Dos ensayos históricos sobre la rebelión india de Cancuc, Chiapas, acaecida en el año de 1712, Mexico, Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social (CIESAS), 1997.
Martínez Peláez (Severo) La sublevación de los Zendales, Publicación cultural de la Universidad de Chiapas, Tuxtla Gutiérrez, México, 1977.

[3Ou République des Indiens : institution coloniale au sein de laquelle les Indiens nomment un cabildo ou conseil chargé de recueillir le tribut et divers impôts pour l’alcalde mayor (le représentant du pouvoir royal) et le clergé.

[4Audiencia : cour de justice dotée d’amples fonctions administratives, judiciaires et militaires dont le siège se trouve dans la capitale de chaque colonie (Guatemala, Mexico…).

[5Viqueira (Juan Pedro), Indios rebeldes e idólatras, Dos ensayos histórico sobre la rebelión india de Cancuc, Chiapas, acaecida en el año de 1712, Mexico, Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social (CIESAS), 1997.

[6Cité par Viqueira, Viqueira 1997.

[7Nom donné par les Nahua aux femmes mortes en couche et qui sont ainsi déifiées (cf. deuxième partie, « Celle à la jupe de serpents »).

[8Communication de Rocío Noemi Martínez González (thèse de doctorat intitulée K’in tajimol. Danse musique, gestes et paroles comme mémoire rituelle).

[9Martínez Peláez (Severo) La sublevación de los Zendales, Publicación cultural de la Universidad de Chiapas, Tuxtla Gutiérrez, México, 1977.

[10« Petites queues » ainsi appelait-on les colons et les fonctionnaires espagnols en raison de leur coiffure.

[11Cf. Première partie, notes d’introduction, ou le dernier chapitre de la première partie, intitulé : « Quetzalcoatl ou l’apôtre incrédule ».

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