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Votán III
Section No FAQ

mercredi 7 août 2013, par SCI Marcos

Tout ce que vous auriez toujours voulu savoir
sur les zapatistes, leur fameuse petite école
et les conséquences que peut entraîner d’y assister

Juillet 2013.

Eh bien il semble que commence à s’éclaircir plus ou moins le panorama sur le thème « mais à quoi diable pensent les zapatistes quand nous parlons de la petite école ? ».

Mais il faut s’attendre à ce que, maintenant, vous ayez plus de questions que de réponses. Bien que vous ne vous souciiez plus de cette histoire de chaussures, il vous reste des interrogations. Il vous vient alors à l’idée que ce n’est peut-être pas vrai que la rébellion zapatiste soit une rébellion du XXIe siècle, habile dans tout ce qui a à voir avec la cybernétique (ils ont même un tagueur de murs virtuels). Alors vous allez au café internet le plus proche, ou vous allumez votre ordinateur, et vous cherchez : « Petite école zapatiste, Doutes, Questions fréquentes, FAQ, etc. »

L’écran opère alors, comme qui dirait, « une élégante rotation cybernétique » pour tromper la surveillance de l’Agence nationale de sécurité yankee, et vous fait pénétrer dans le serveur ultrasecret des transgresseurs de la loi : le ZPS (« Zapatist Pozol Server » suivant son sigle en anglais). Après l’apparition à l’écran d’un sans réplique « Fuck You XKeyscore », vous voyez qu’on vous demande un mot de passe pour entrer. Vous essayez « MARICHIWEU » et l’écran dit « Non ». Vous essayez avec « NOSOTR@S », et sur l’écran apparaît : « Non plus ». Vous tentez « DURITO » et l’écran balance : « Oh là là, n’y pensez même pas ». Irrité•e par les obstacles, vous laissez un message avec des noms d’oiseaux, et pas d’oiseaux virtuels, adressé au gouvernement étasunien, et comme vous mettez votre signature, l’écran s’ouvre comme si c’était une porte très 3D, avec dolby et tout le bazar, et apparaît la mention : « Petite école zapatiste, No FAQ — Questions peu fréquentes. Vous pouvez ajouter la vôtre à la fin », suivie d’une grande liste avec des questions et des réponses comme celles qui suivent :

- Trouvez la description qui se rapproche le plus de la vôtre, liez-la à la question, et voyez la réponse correspondante :

- Je n’ai pas fait d’études supérieures / Je ne suis pas artiste / Je ne suis pas une personne de renom / Je ne représente personne / Je ne suis dirigeant ou leader de rien du tout / Je suis très jeune / Je suis d’un âge très avancé / Jamais auparavant je n’étais allé à l’école / Je suis nouveau-nouvelle dans la connaissance du zapatisme et je n’ai jamais été dans une communauté / Je n’étais pas né•e ou j’étais très petit•e quand vous êtes apparus à la lumière publique / Je n’étais au courant de rien jusqu’au jour de la fin du monde / J’ai su il y a tout juste quelques semaines et je leur ai demandé de m’inviter / Je ne sais vraiment pas pourquoi ils m’ont invité•e parce que moi, les zapatistes, je peux pas les sentir, enfin, les zapatistes ça va, mais le Marcos, c’est un clown qui profite de ces pauvres petits Indiens, et moi-je-vais-leur-expliquer-qu’ils-ne-doivent-pas-se-laisser-abuser-et-je-vais-les-libérer / l’etcétéra qui est à la mode / _________ (votre cas particulier)…

Questions :

On va me traiter de la même manière que quelqu’un qui sait par cœur l’hymne zapatiste, qui a assisté à toutes les activités du/sur le zapatisme, qui a un ticheurte de l’EZLN, qui connaît bien le refrain de « es un honor estar… » — ah non, ça, c’est d’une autre chaîne —, qui vient avec des bottes super et un équipement d’alpinisme de haute montagne, qui a été souvent en communauté et qui a soutenu beauuucoup, mais alors beauuucoup les indigènes ? C’est très important, ça, à la petite école ? Est-ce que c’est un empêchement pour assister ou pour demander qu’on m’invite ?

Réponses (suivant l’ordre des questions) :

Oui. Non. Non.

Question :

Je peux rester à vivre dans une communauté zapatiste ?

Réponse :

Non.

Question argumentée :

Mais j’y ai bien réfléchi et je suis très décidé•e. Oui ?

Réponse réitérée :

Non.

Insistance emphatique :

S’il vous plaît ? S’il vous plaît ? S’il vous plaît ? Oui ?

Réponse également emphatique (suivant l’ordre des questions) :

Non. Non. Non. Non.

Question :

Je peux donner plus de cent pesos pour le matériel de soutien éducatif, comme marque de solidarité avec les communautés indigènes zapatistes ?

Réponse :

Oui, mais ni nous ni les autres ne connaîtront la somme ni qui l’a donnée. À l’inscription, vous passerez devant un pot ou une boîte (je ne sais pas ce qu’ils vont mettre) et vous déposerez là vos cent pesos ou ce que vous voudrez mettre. Personne d’autre que vous ne saura si vous avez donné seulement cent pesos, ou plus, ou moins, ou si vous avez mis une carte de prépaiement, ou un ticket de métro, ou une mentherie (de menthe, œuf corse). À la fin de l’inscription, les compas qui en sont chargés videront le pot ou la boîte, et remettront le contenu à une commission de la petite école zapatiste. Ainsi, nous non plus nous ne saurons pas ni qui a participé ni de combien. Comme ça, personne ne pourra réclamer un traitement spécial ou de VIP sous prétexte que « tu ne sais pas qui je suis, ni toutes les responsabilités et les prix que j’ai obtenus, ni touuut, mais touuut ce que j’ai fait pour aider les communautés / et moi, on ne va pas m’humilier en me mettant avec des gens qui ne sont même pas allés dans des communautés / et à moi, vous n’avez rien à m’apprendre, vous devriez plutôt me remercier / et la seule image d’indigène que je digère, c’est celle de celui qui, prostré, m’adore, l’image d’indigènes rebelles, c’est-à-dire ingrats, me reste sur l’estomac » (comme l’a déjà fait une « illustrissime » personne du milieu artistico-culturel).

Question :

Est-ce que je peux venir avec des cadeaux pour la famille qui va me recevoir ?

Réponse :

Non.

Bien sûr que c’est naturel que vous construisiez une relation d’affection avec vos hôtes. Mais les « cadeaux » personnels déséquilibrent la communauté, et déplacent un rapport politique vers un d’ordre personnel. Vous cessez alors de vous relier à une cause pour vous relier à une personne, ce qui n’a rien de mauvais non plus, mais ce n’est pas pour nouer des amitiés que vous venez, c’est pour apprendre. Ce qui va se faire, c’est qu’au Cideci vous pourrez remettre ce que vous voudrez donner, soit à l’arrivée, soit quand se terminera le cours. On fera parvenir les dons aux conseils de bon gouvernement qui répartiront ÉQUITABLEMENT et entre toutes les communautés zapatistes ce qui aura été reçu. Mais tenez bien compte que pour nous, c’est-à-dire pour les familles qui reçoivent les uns et les autres, l’important, c’est la personne, et non ce qu’elle possède ou donne. Pour vous aussi, ce qui doit compter, ce sont les peuples zapatistes dans leur ensemble, pas la famille ou le Votán particulier avec qui vous êtes en relation, parce que ce n’est pas un groupe de personnes qui s’occupent de vous, mais tous les peuples zapatistes organisés, synthétisés en une famille et un•e gardien•ne.

Question :

Pourquoi vous n’acceptez pas que j’offre quelque chose à qui va me recevoir dans sa maison, va me nourrir, va prendre soin de moi et va m’enseigner ?

Réponse :

Écoutez, il y a des familles qui ne vont recevoir personne, mais qui ont collaboré et collaborent avec de la nourriture, du matériel, du transport. Elles participent autant que les familles qui reçoivent. Pour ces familles, pas de petit cadeau parce que vous ne les avez pas vues ? À elles, vous ne donnez pas vos coordonnées pour le cas où elles iraient dans votre géographie, ou pour qu’elles vous appellent ou vous écrivent ? Pour ces enfants que vous n’avez pas connus, il n’y aura pas de bonbons, de vêtements, de jouets, de cadeaux ?

Par exemple, il y a des villages zapatistes sous la menace constante de groupes paramilitaires. Comme la sécurité là-bas est très précaire, ils ne peuvent pas recevoir des étudiants pour la petite école, parce que nous ne pourrions pas veiller sur nos invité•e•s dans ces endroits. Mais ces familles elles aussi se sont préparées, ont soutenu celles qui vont recevoir, elles ont construit, balayé, lavé, essuyé, repeint, cuisiné, elles ont ramassé du bois, elles ont collaboré avec la nourriture qui va vous être offerte. Vous ne les connaissez pas, vous ne les connaîtrez pas à la petite école. Si les agressions paramilitaires ou policières augmentent, elles devront se déplacer. Vous l’apprendrez peut-être, ou pas (recensez le nombre d’entrées-lectures à la dernière dénonciation des conseils de bon gouvernement), mais, pour vous, elles n’auront ni nom ni visage.

Elles seront invisibles, de même que des centaines de milliers de zapatistes. Y a-t-il quelqu’un qui les prenne vraiment en compte bien qu’elles soient invisibles pour vous et pour le reste du monde ?

Oui, nous tous et toutes, leurs compañeros et compañeras. C’est pour cela que ce qu’on reçoit de l’extérieur, on cherche à le répartir équitablement : on donne plus et mieux à qui en a le plus besoin.

Autre chose sur cette question des dons. Nous savons bien que là-bas, au dehors, prédomine le stéréotype suivant lequel les indigènes sont objet de pitié et d’aumône, qu’il faut leur donner ce qu’on a en trop ou qui gêne au lieu de le jeter. Quelque chose comme une espèce de syndrome de Téléthon généralisé. Son équivalent dans la classe politique se trouve dans le photoshop de l’aumône (rien qui ne puisse pas être maquillé avec une campagne « contre la faim »… ou avec une photocopieuse).

« L’aspirine de la conscience », comme nous l’appelons, nous les femmes et les hommes zapatistes.

Et dans ce que nous avons parcouru au cours de nos longs hauts et bas de la lutte, nous avons observé beaucoup de choses. L’une d’elles est que, dans les moments de malheur, ceux qui ont le plus donnent ce qu’ils ont en trop ; et ceux qui ont le moins donnent ce qui va leur manquer. Et ceux qui doivent se battre à chaque minute de la journée pour se faire un peu de fric afin de mettre quelque chose sur la table, en plus d’une nappe élimée ou même pas ça, donnent cet argent dont ils ont besoin pour compléter leurs dépenses de survie.

Ce peuple indigène, le zapatiste, ne mérite pas votre pitié. Malgré le mépris reçu pour avoir été une mode passagère ou parce que nous refusons de faire partie de la claque du mouvement « historique » dans la conjoncture en cours, nous nous sommes soulevés avec dignité, de même qu’il y a vingt, cinquante, cinq cents ans. Et nous continuerons à le faire. Ne nous insultez pas avec une aumône.

Nous ne vous avons rien demandé qui ne soit juste : le prix coûtant du matériel scolaire (cent pesos) et votre disposition à apprendre. C’est nous qui vous hébergerons. Nous qui vous nourrirons. Ce ne sera pas un hôtel sept étoiles ni un buffet gastronomique, mais dans chaque tortilla, dans chaque haricot ou légume, chaque châlit ou hamac, chaque bâche pour la pluie, se trouve l’affection et le respect de nous tous et toutes envers vous, parce que vous êtes notre invitée, notre invité, notre compañero, notre compañera, notre compañeroa.

Vous ne nous devez rien, il ne reste rien à devoir. De la petite école ne découle pas le militantisme, l’appartenance organique, l’assujettissement au commandement, le fanatisme. Ce qui découle de l’école, c’est à vous, et seulement à vous, de le décider… et d’agir en conséquence. Nous ne vous invitons pas pour vous recruter, vous former ou vous déformer, vous programmer, ou, comme on dirait maintenant, vous réinitialiser. Nous avons ouvert une porte et nous vous avons invité à entrer pour voir comment est notre maison, celle que nous avons bâtie avec l’aide de personnes du monde entier qui, elles, ne nous ont pas donné leurs restes, mais leurs regards et leur oreilles de compañeros, et à qui il n’est jamais venu à l’idée que nous devions leur en être éternellement reconnaissants ni leur rendre un culte comme on rend culte à qui possède et ordonne.

Vous êtes qui vous êtes, et ce devrait être seulement à vous de décider si vous continuez ainsi ou si vous changez.

Et pour terminer cet extrait de la section des Questions peu fréquentes :

Vous n’êtes pas une grande personnalité ? Vous n’avez pas fait de hautes études ? Vous n’avez jamais été auparavant dans une communauté zapatiste ? Vous n’étiez même pas né•e quand l’EZLN est devenue publique ? Vous ne vous êtes rendu compte de rien jusqu’à la fin du monde, ou après ?

Ne vous souciez ni occupez pas de ça. Ici on ne regarde pas les curriculums académiques ni les calendriers d’ancienneté dans la vie ou dans la lutte, mais les cœurs. Il viendra ici des gens avec plusieurs doctorats et d’autres qui ne sont même pas entrés à la maternelle ; des personnes de plus de quatre-vingt-dix ans et d’autres qui n’ont jamais encore feuilleté un calendrier. Tous, toutes, todoas, nous allons les recevoir avec la même affection fraternelle, nous allons nous en occuper avec ce que nous avons de mieux, nous allons leur enseigner de la même manière ce que nous sommes, et nous allons veiller sur elles et eux avec le même soin.

Alors laissez ces réserves, ces traumatismes et ces tourments pour votre série télé préférée.

Pensez plutôt, par exemple, qu’à votre retour vous pourrez dire à votre famille, à vos ami•e•s, ou mettre sur votre blog ou votre profil quelque chose comme :

« Je me souviens de quand Pablo (González Casanova), Luis (Villoro), Adolfo (Gilly), Immanuel (Wallerstein), Paulina (Fernández Christlieb), Óscar (Chávez), un qu’on appelait « Nunuche », parce qu’il l’était, un autre qu’on appelait Rocco, je sais pas pourquoi, des potes qui poussaient la chansonnette avec des noms bizarres comme Comando Cucaracha, Ska-P et Louis Ling and the Bombs, et d’autres compas dont je me souviens pas pour l’instant, on a étudié ensemble à l’école, et on flanquait la pagaille à la récré, et même qu’on nous a punis parce qu’on avait pas fait les devoirs. Et un jour, ils ont surpris Toño (Ramírez Chávez) et Domi (la seule Domi qu’il y ait) en train de taguer le mur qui donne sur l’extérieur, vers nos mondes, et avec eux, chacun a attrapé ce qu’il pouvait et on s’est tou•te•s mis à peindre. Mais là-dessus est arrivé le concierge, et nous voilà tou•te•s en train de courir. Le concierge est resté à regarder le mur, il est parti et revenu avec un pot de peinture et un pinceau. On pensait qu’il allait recouvrir ce que nous avions tou•te•s peint avec beaucoup de silhouettes et de couleurs. Mais rien du tout. Vous allez pas me croire : le concierge a attrapé le pinceau et il s’est mis à taguer le mur. Mais pas pareil, parce que le concierge a seulement dessiné une crevasse sur le mur… et il est parti. Mais le plus bizarre, c’est que chaque jour que nous passions à l’école, la crevasse dessinée a commencé à devenir réelle, et après elle s’est agrandie et approfondie. Le dernier jour de classe, on s’est tous réunis face au mur à regarder et à attendre de voir si la crevasse finissait par casser le mur. C’est là qu’on en était quand est passé un compa zapatiste avec un passe-montagne de plein de couleurs très gaies, et il nous a dit : « Qu’est-ce que vous faites encore ici ? La petite école est finie, rentrez chez vous ! » On est tou•te•s parti•e•s. Oui, je vous raconte ça pour que vous voyiez que des études, j’en ai faites. Hein ? À quoi sert ce pot de peinture en aérosol ? À rien, j’étais juste en train de voir ce mur, là, en face, où de l’autre côté vit le Tyran. Ce mur si grand, si bien entretenu, si solide, si puissant, si intimidant, si indestructible, si gris. Je suis resté à réfléchir, et je me suis dit : « Ce qui lui manque, à ce mur, c’est… une crevasse. »

Bon. Salut, et n’achetez pas la peinture et le pinceau, vous les avez déjà dans le cœur. Simplement, cherchez-les bien. Ce que vous en ferez, ça fait partie de votre liberté.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
le SupMarcos,
concierge, veilleur et balayeur à la petite école zapatiste
(n’en profitez pas pour laisser vos ordures !).
Mexique, juillet 2013.

Extrait d’une superbe parodie du Téléthon et des équivalents festifs de l’aumône.
La troupe entière de 31 Minutos en campagne pour rassembler des fonds
et sauver l’archimultimillionnaire M. Manguera, propriétaire de la chaîne de télé.
Je vous recommande le programme complet, je n’ai pas tout mis parce que c’est très long.

Sévillanes indignées, jéreziennes et andalouses,
comme il se doit, avec humour, grâce, talent et savoir effronté.
Dédiées à qui ne s’effraie pas.

Eduardo Galeano raconte ce qu’est le monde,
c’est-à-dire ceux qui sont dans les mondes, et il prévient que… bon, écoutez-le.

Óscar Chávez (un de ceux qui nous ont le mieux regardés, c’est-à-dire compris),
dans Los Paliacates, accompagné de Los Morales.

Traduit par El Viejo
le 6 août 2013.

Source du texte original :
Enlace Zapatista

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