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Salut à la marche européenne contre le chômage, la précarité et les exclusions

samedi 14 juin 1997, par EZLN

14 juin 1997.

À la marche européenne contre le chômage, la précarité et les exclusions.
Europe rebelle,
Planète Terre.

Frères et sœurs,

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain, nous, Indiens rebelles de l’Armée zapatiste de libération nationale, nous vous envoyons un grand salut, pour vous dire notre admiration pour l’effort qui culmine aujourd’hui, cette marche commune du défi qui va de l’avant. La guerre que mène le grand Pouvoir contre tous les « inutiles » et les « rebuts » de ce monde, nous tous, est mondiale et totale. Une nouvelle conquête du monde, voilà ce que se propose le grand Pouvoir. À nouveau, s’approprier la force du faible, à nouveau, lui voler la richesse qu’il produit. Mais à présent le grand Pouvoir prétend aussi nous priver de cœur pour la lutte, nous laisser sans révolte et sans espoir. Pour cela, le grand Pouvoir cherche et crée de nouvelles formes d’autoritarisme, construit des prisons pour les corps et les idées, pratique et applaudit les intolérances, fertilise le sol où croissent le racisme et la xénophobie, fait passer la misère du chômage et de la précarité pour un succès néolibéral, multiplie les remparts contre la dissidence et décrète l’exclusion de milliers de millions d’êtres humains, qui non seulement n’ont pas leur place dans son modèle mondial, mais en plus se rebellent contre la « modernité » de la bêtise.

Les travailleurs, producteurs de la richesse qui s’accumule sur les tables du grand Pouvoir, sont aujourd’hui jetés à la rue. Grâce à la concentration de la production par quelques multinationales et à la faillite de milliers de petites ou moyennes entreprises, des travailleurs du monde entier perdent leur emploi et, alchimie néolibérale, forment une armée formidable qui menace l’emploi de ceux qui ont encore un travail. C’est ainsi que le néolibéralisme ressuscite des fantômes, et présente aux travailleurs des ennemis fabriqués sur mesure : les immigrants. Comme si ces déplacés, poussés loin de leurs foyers et de leur travail, étaient la cause de la misère et de l’exploitation des esclaves modernes de la mondialisation, le racisme et la xénophobie deviennent le prétexte de la lutte des travailleurs les uns contre les autres. Le néolibéralisme nous apprend à nous affronter à nous-mêmes, à nous résigner, à ne pas perturber le règne de l’argent globalisé. Mais il se trouve, frères et sœurs, que nous sommes de très mauvais élèves à l’école mondialisée de la défaite, de mauvais clients à la braderie du découragement, et contre la religion de l’argent, des hérétiques militants.

Frères et sœurs,

Deux projets de ce que doit être l’Europe se rencontreront ce mois de juin à Amsterdam. L’un de ces projets vient des grands centres financiers, voyage dans des avions modernes, est doté d’équipements de sécurité sophistiqués et d’outils de communication dernier cri, et a le roi argent pour volonté et guide. C’est le projet du néolibéralisme. L’autre vient des recoins les plus sombres d’Europe, voyage par terre, sans autre sécurité que la confiance mutuelle, il a pour communication celle que procure le fait de se savoir rebelles ensemble, et a la dignité humaine comme moteur et espoir. C’est le projet de l’humanité. Ici à Amsterdam vont se réunir les représentants des gouvernements européens. L’unité de l’Europe qu’ils promeuvent est celle de la guerre : plus de vingt millions de chômeurs, cinquante millions de personnes réduites à la pauvreté, cinq millions de sans-logis et tous les citoyens européens ont vu se réduire leurs droits sociaux. Femmes, vieux, jeunes, migrants, petits propriétaires, homosexuels et lesbiennes, travailleurs, et tous ceux qui luttent avec ces groupes sociaux, sont devenus les victimes de la « nouvelle unité européenne ». Mais ici, à Amsterdam, se sont aussi réunis les rebelles d’Europe. Ensemble, sans frontières qui les divisent, ils ont marché de tous les coins du continent pour se prouver et nous prouver que l’Europe de Maastricht n’est ni la meilleure ni la seule alternative. Contre le chômage, la précarité et l’exclusion sociale, les rebelles d’Europe luttent contre la tyrannie du libre marché et pour une Europe libre, sans racisme ni xénophobie. Ensemble, ils proposent l’unité des exclus pour résister à l’unité des puissants, et pour avancer dans la construction d’une Europe démocratique, libre et juste, où ce qui disparaîtra sera non pas la dignité humaine, mais la misère. La marche européenne des rebelles qui, aujourd’hui, 14 juin 1997, finit à Amsterdam, est aussi le début de la lutte pour l’unité européenne pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Malgré tant de kilomètres, et un océan entre nous, notre parole vient à vous pour vous dire ce que, sûrement, vos cœurs savaient déjà et que vos yeux et vos oreilles découvrent : que vous n’êtes pas seuls, qu’Amsterdam que vous prenez aujourd’hui, 14 juin, est la pointe visible du volcan de dignité rebelle qui, dans le monde entier, annonce déjà un autre monde, différent de celui du grand Pouvoir ; un monde meilleur, plus digne, plus humain. En ce même 14 juin, des Mexicains rebelles manifestent dans la ville de Mexico pour soutenir vos justes revendications et lever sur les terres mexicaines le drapeau de la dignité pour l’humanité et contre le néolibéralisme.

Tous, nous nous reconnaissons dans le miroir que nous tend votre lutte, nous savons que l’ennemi que vous affrontez, que nous affrontons, est un même projet de destruction et de mort, que c’est seulement par la démocratie, la liberté et la justice que sera possible l’espoir.

Nous saluons cette lutte. Nous sommes des Indiens en armes. Nous sommes exclus par décret néolibéral, et nous sommes rebelles par décret de la dignité humaine. Nous nous sommes levés en armes contre le grand Pouvoir, et notre défi n’est qu’une petite partie de celui qui se lève dans tous les recoins des cinq continents. Aujourd’hui, nous sommes en résistance, parce que résister est aussi une façon de lutter. De l’Europe de Maastricht nous n’avons reçu que mépris et mort. Le gouvernement qui nous pourchasse est équipé avec les armes que lui fournit « l’Europe des Quinze » pour éliminer le mauvais exemple que nous sommes. De l’Europe rebelle, l’Europe représentée dans votre marche, nous avons reçu compréhension et plus d’une leçon de dignité et de persévérance. Nous, les rebelles mexicains de l’Armée zapatiste de libération nationale, voulons vous remercier pour l’exemple que vous offrez aujourd’hui à l’histoire de la dignité humaine. Et pour vous dire merci, nous vous envoyons les paroles d’un rebelle, Indien maya, qui savait que du rêve à la réalité, le chemin est celui de la lutte :

« Canek dit : “Certains préfèrent l’idéal ; d’autres la réalité. Il en résulte une discorde qui aigrit les esprits. Jamais les hommes ne concilient leurs opinions. Au mieux ils parviennent à rêver la réalité ou à vivre l’idéal. Et la différence des aspirations subsiste. Mais l’homme doit être plus exigeant et plus humain ; il doit vouloir la meilleure réalité ; celle qui est possible, celle qui mûrit et croît entre ses mains. Ce sera comme vivre l’idéal de la réalité” » (Canek, Histoire et légende d’un héros maya, Ermilio Abreu Gómez).

Bon. Salut, frères et sœurs rebelles de l’Europe digne, et que l’espoir brise toutes les frontières dans le monde entier.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos
Armée zapatiste de libération nationale,
Mexique, juin 1997

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