Frères et sœurs,
Nous voulons profiter de cette occasion où la majeure partie des participants à la Rencontre intercontinentale sont réunis. Nous nous sommes dotés des nouvelles formes d’organisation zapatiste, mais nous voulons vous dire ce que nous croyons aujourd’hui nécessaire pour pouvoir continuer notre travail, notre lutte. Nous autres les indigènes, les zapatistes, nous voyons qu’il manque beaucoup de choses à tous les peuples, dans toutes les organisations, dans toutes les villes. Même entre nous, les zapatistes, il manque beaucoup de choses ; nous sommes en train de progresser, mais il nous manque beaucoup de choses encore.
Selon nous, il est nécessaire de continuer à chercher de nouvelles formes d’organisation, de nouvelles façons de lutter. Mais nous avons aussi besoin de trouver de nouvelles façons de penser, de nouvelles manières d’interpréter la réalité ; de chercher de nouveaux moyens d’agir, de nouvelles méthodes pour travailler et pour éduquer afin d’atteindre nos objectifs qui sont la justice, la liberté, le bien-être de chacun, de tous les peuples que compte l’humanité.
Nous croyons nécessaire d’éviter certaines choses, celles qui nous ont empêché de nous développer en tant que peuple, ces choses qui n’ont pas permis l’unité et la coordination de tous les femmes et les hommes de la Terre.
En chacun de nous habite l’égoïsme, dans notre cœur, dans nos pensées. Nous devons trouver comment neutraliser cet égoïsme pour que notre travail, nos efforts soient plus efficaces. Nous avons aussi besoin d’extirper de notre tête et de notre cœur l’ambition qui règne chez beaucoup d’hommes et de femmes. Mais aussi l’esprit de compétition et l’individualisme, toutes ces choses qui, nous le voyons bien, interdisent l’unité entre les peuples. Avec l’égoïsme, avec l’individualisme, l’esprit de compétition et l’ambition empêchent le vrai développement d’un peuple, son union et l’organisation de tous les secteurs sociaux dans tous les pays du monde.
Nous croyons qu’il est très important de chercher la manière de se doter de formes nouvelles d’unité, d’organisation, de travail et c’est précisément ce que nous essayons de faire dans toutes les communautés indigènes. Tenter d’expliquer à nos frères, à nos compagnons et aux bases de soutien qu’il nous faut chercher tous ensemble la meilleure voie pour unir nos forces. Rendre cohérent notre travail pour qu’entre tous nous trouvions la solution à nos problèmes, à nos nécessités et pour que le fruit de notre effort, des efforts d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards, profite à ceux qui rendent possible ce travail.
C’est ce que nous appelons partager le fruit de notre travail. Partager justement ce qui correspond à chacun. C’est pour nous le signe de l’unité, de la fraternité, de l’humanité. Mais obtenir cela est difficile et il est nécessaire d’apprendre beaucoup de choses pour pouvoir œuvrer de cette façon. C’est pourquoi nous invitons continuellement toutes les personnes, et surtout nos peuples indigènes qui sont en résistance, à tout supporter : l’attitude de ce mauvais gouvernement, les blocages économiques envers toute la société, qui nous enlèvent absolument tous les moyens qui nous permettent de produire.
Nous les indigènes, surtout les zapatistes, devons résister en partageant le peu que nous avons, résister aux forces, aux idées, aux manipulations du gouvernement et des fonctionnaires. À tout ce qui vient du pouvoir établi, nous avons à résister par notre action, par nos réflexions et par notre lutte pour une vie plus juste. C’est ce que nous croyons nécessaire ; c’est ce que, nous, nous croyons valable pour chaque endroit du monde, quel que soit le groupe social, pour tous les travailleurs. Tout comme eux dans ces moments, nous avons besoin de beaucoup de choses. Nous voulons chercher quelque chose, chacun doit trouver la solution à ses problèmes. D’autres peut-être trouveront, mais comme personne au monde ne peut tout faire, nous croyons que l’unité et l’organisation sont nécessaires. Et puis réfléchir, réfléchir ensemble pour trouver notre chemin. C’est ce que nous voulons vous dire, et j’achève ainsi de parler de ce que vous pourriez appeler une réforme de l’organisation.
Et maintenant, avec tout le respect que je vous dois, nous voudrions abuser de votre temps pour vous dire ce que nous vivons réellement, ce que nous sentons au sein de nos communautés, ce que vivent nos peuples alentour. Aujourd’hui, nous avons vu de près, dans cette zone-ci, une des attitudes du mauvais gouvernement. Quand nous sommes passés parmi les différentes tables de travail pour vous avertir qu’il y avait des mouvements de troupes de la "sécurité publique", il y a eu aussi le survol d’un avion des forces spéciales de l’armée mexicaine, ce dont vous avez été témoins. Ce que nous vous annoncions n’est qu’une seule chose de ce que nous avons enduré jusqu’à présent. Le gouvernement nous a toujours traités avec cette méfiance, ce contrôle. Il nous menace perpétuellement ainsi, avec ses avions, avec ses hélicoptères militaires. Il les envoie jour et nuit, et c’est comme ça que nous vivons depuis tant de mois. Ce que vous pouvez observer dans la communauté d’Oventik Aguascalientes II, les autres Aguascalientes le supportent également, et c’est ainsi qu’ils vivent depuis plusieurs mois. C’est sous les vols rasants des avions et des hélicoptères, de jour comme de nuit, que notre village a vécu, comme les autres Aguascalientes : La Garrucha, La Realidad, Roberto Barrios, Morelia. Nous vivons cela continuellement, cela constitue une grande menace de la part du gouvernement mexicain.
Depuis que nous avons commencé à dialoguer, nous avons clairement exprimé notre véritable volonté politique de trouver des solutions à nos problèmes, mais le gouvernement n’a pas cessé de nous menacer à n’importe quel sujet. Et il a envahi nos terres avec des milliers de soldats avec tout leur armement, avec tous leurs véhicules et leurs chars, en occupant le peu de terres dont s’occupent nos frères, nos compañeros indigènes et paysans. Des menaces et un harcèlement militaire envers les populations civiles. Vous pourrez témoigner de ce qui peut se vivre ici, alors que le gouvernement assure que tout y est totalement tranquille, qu’il ne se passe rien, que tout est en paix. Maintenant vous savez. Cependant, nous, les zapatistes indigènes, ne pouvons interrompre notre travail pour autant, tout cela n’interrompra pas notre marche. Cela ne peut pas nous effrayer. Nos efforts et notre route, rien ni personne ne pourront les arrêter. Personne ne va changer notre réflexion, personne ne va modifier nos idéaux de lutte, personne ne pourra arrêter notre décision de combattre pour une vie plus juste et plus humaine. Quoi qu’il arrive, nous avons tous le devoir de lutter pour le bien-être de l’humanité. Tous, nous devons nous battre. Aussi grandes que soient les forces du gouvernement, celui-ci doit laisser nos peuples se gouverner. Ensemble, c’est notre travail que nous voulons poursuivre. Nous allons chercher comment marcher ensemble avec nos frères des différentes parties du monde. Ces menaces, ces pressions de la part du gouvernement, de l’armée mexicaine ne nous font pas peur : nous les subissons depuis des mois. Des milliers de soldats menacent jour et nuit notre peuple, les femmes, les enfants, les anciens, les malades. Mais tout cela ne nous terrorise pas parce qu’il est clair pour nous que nous disposons de plus de force qu’eux ; et avec vous, bien plus de force encore. Que notre puissance n’est pas celle des armes. La force la plus importante que nous ayons, les zapatistes, les indigènes et vous, est celle du bon sens, celle de la justice ; c’est la quête d’une vie plus juste et digne pour tout un chacun. C’est vouloir humaniser l’humanité, c’est se battre pour vivre avec dignité.
Nous disons à ceux qui croient pouvoir faire confiance à la force des armes des puissants que nous pouvons les battre avec la force de la raison, de la justice. Et nous luttons, parce que nous savons que nous avons raison et que nous voulons vivre comme un peuple, comme des êtres humains. Nous avons besoin du bien-être de l’humanité, c’est notre péché mortel aux yeux de ceux qui ont pouvoir et argent ; aux yeux de ceux qui ne pensent à rien d’autre qu’à accumuler des richesses, qu’à écraser les autres. C’est la réflexion de ceux qui veulent détruire, détruire notre peuple, détruire la vie de milliers de femmes et d’hommes de la Terre, et non construire pour que nous vivions tous comme un peuple, comme des êtres humains. C’est pourquoi nous devons toujours avoir dans notre cœur l’idée de construire, et pas de détruire des peuples voisins. Nous sommes décidés à aller de l’avant dans notre juste lutte en faveur de l’humanité.
Muchas gracias.