17 janvier 2021, ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Il était une fois une forêt, ses arbres, ses champignons, ses hôtes, quelque part entre le Vercors et les plaines du Bas-Dauphiné. On la dit forêt des « Chambarans », ce qui pourrait vouloir dire quelque chose comme : les champs bons à rien. Une terre humide, froide, et vallonnée.
Une forêt comme tant d’autres, dont certains ont voulu pousser l’histoire vers le bling-bling de l’argent qui rentre dans les caisses et du soleil qui tape sur les parois de verre d’une piscine sous serre tropicale. La fameuse bulle tropicale des Center Parcs de Pierre & Vacances.
Un centre de loisirs parmi tant d’autres. Et pourtant celui-ci ne se fera pas. On a fait voler en éclats cette bulle qui voulait nous en mettre plein la vue. Envolés, les rêves de billets verts, tandis que coule, rattrapé par les marécages dans lequel il s’est embourbé, ce projet verdâtre d’hypocrisie.
Juillet 2020 : Pierre & Vacances abandonne son projet. La compagnie jette la pierre aux zadistes et aux associations de recours juridiques. Un pavé pour tous ceux qu’on a jetés en pensant à eux !
On l’a balayée, leur bubulle artificielle, par la force d’un souffle qui a tant gonflé nos poumons qu’il a menacé de les faire éclater, eux aussi.
Ce souffle, humide et frais comme la terre de là-bas, ce souffle, un souffle qui nous a tant portés qu’on s’est senti pousser des ailes. Un souffle en bout de course aujourd’hui, que nous sommes nombreuses et nombreux à regretter.
Cette bulle, petite bulle, toute petite poche d’air emprisonné à la surface d’un océan mondial de remous incontrôlés. Et pourtant, grande histoire, majestueuse et douloureuse épopée quotidienne de volontés agglutinées autour d’une même idée : bloquer, empêcher. Résister.
Et encore. Ça n’est pas si simple à dire. Aucun dénominateur commun ne tombe sous le sens quand il s’agit de raconter cette abstraction, ce « nous » impossible à définir, celles et ceux qui ont vécu là-bas ou y sont passés, un grand soir, un petit matin, quelques mois, à jamais de cœur et d’envie. Dire « nous » a été comme un pari, une chance que l’on saisit, jamais acquise. Souvent source de conflits. Mais peu importe.
Peu importe, parce qu’on ne pourra nous ôter l’envie de faire sens avec cette histoire qui a été et est encore la nôtre. On ne nous ôtera ni l’envie de fêter le retour de cette forêt dans le règne du végétal et de l’animal ni celle de célébrer les amitiés que tout cela a créées.
Et cette histoire qui n’est peut-être qu’un début ! Que valent nos quelques années de lutte dans la vie d’une forêt ? Elles ont tout signifié, tout condensé, et pourtant aujourd’hui c’est comme si tout était seulement sur le point de commencer. Car, certes, cette forêt est restée une forêt. Mais nous pouvons essayer de lui offrir mieux que ça. Nous pouvons veiller à ce qu’elle devienne une forêt mature, diversifiée, vivante et intimement liée à celles et ceux qui ont lutté pour elle, celles et ceux qui voudront construire avec son bois, celles et ceux qui s’y promèneront, qui expliqueront sa nature, ses détours, ses recoins.
Maintenant, il va s’agir de se mettre au tempo de la forêt, de tenter de la suivre et de vivre longtemps, aussi longtemps que possible, avec elle. Défi difficile à relever pour nos intelligences et temporalités humaines limitées et nos histoires collectives en vagues et en ressac. Mais ça peut être une bien belle suite à cette aventure... Cette suite, on l’écrit ensemble.
Nos forces, comme muselées pour l’instant, étouffées derrière des masques sanitaires, forcées de rentrer s’abriter dans nos gorges et nos poumons, ressortiront, et crieront demain comme hier, à pleins poumons, la folie de ce monde et l’envie de vivre et survivre. En attendant, crions, chantons et dansons, ici, à nos victoires, passées, présentes et futures, et à tout ce qu’elles créent à chaque instant.
Source : zad.nadir.org
3 février 2021.