Territoire de la nation Tohono O’odham.
Bonsoir,
Avant tout, nous voudrions remercier la famille Monroy, qui fait vivre dans des conditions frisant l’héroïsme cette propriété, ce lieu d’hébergement et d’apprentissage réservé aux enfants et aux jeunes de ce pays et d’autres pays du monde afin de leur transmettre l’importance de la préservation de la nature et du respect avec lequel elle mérite d’être traitée.
Il y a tout juste un an, en octobre 2006, nous étions venus ici, dans le nord-ouest du Mexique, dans l’État du Sonora, et c’est la parole des Tohono O’odham qui attira notre attention sur ce qui a lieu dans cette région. Indigène et femme fut la voix qui s’est adressée à nous, en la personne d’Ofelia Rivas.
C’est elle qui a commencé à nous parler de ce qui affectait la Terre-Mère, l’air, l’eau et les animaux, ce que nous appelons la Mère Nature.
Et elle nous racontait que les frontières et l’argent avaient coupé en deux ce territoire indigène, ce qui entraînait entre autres la destruction d’une des régions où la biodiversité est des plus riches qui soient, ici dans le monde qui se trouve dans le Sonora, c’est-à-dire le désert.
Quand l’argent a fait son apparition, il a privatisé les centres cérémoniels, les lieux où nos sages et les plus anciens de nos tribus parvenaient à conserver l’équilibre du monde et de la nature.
Tous les malheurs à venir, nous dit-elle, sont liés au fait que le respect de la Terre-Mère s’est perdue et qu’on l’a transformée en une prostituée que l’on vend à qui a de l’argent.
Ceux-là mêmes qui étaient chargés de prendre soin de la Terre-Mère, les peuples indiens, ont été attaqués et exterminés. Le Tohono O’odham, le Pápago, est un étranger sur ses propres terres. Il en est de même pour la nation Coomcaa ou le Seri, le Pima, le Mayo Yoreme et le Yaqui.
Tous sont devenus doublement invisibles au yeux de l’argent : invisibles puisqu’ils ne produisent et n’achètent rien, puisqu’ils n’ont pas de carte de crédit ; invisibles aussi en ce qui concerne leurs droits.
C’est dans le Sonora que nous avons découvert les peuples indiens du nord du Mexique. Et quelques mois seulement après ces paroles d’Ofelia Rivas, la nature est venue passer facture, ici, dans l’État du Sonora, au Mexique et sur l’ensemble de ce continent.
Des catastrophes naturelles ont commencé de survenir au moment et là où on ne les attendait pas. Ainsi, après tant d’années, le Sonora a subi les assauts d’un cyclone ou d’un ouragan qui a ravagé les maisons et les biens de beaucoup de pauvres.
Comme si la nature voulait nous avertir de ce qui allait arriver si nous ne faisons rien.
Au moment même où cela a lieu, en haut on nous vend un mensonge. Pour ceux de tout en haut et pour beaucoup d’autres, les peuples indiens d’Amérique du Nord sont tels que le cinéma hollywoodien les montre. Ce sont les figurants qui ne servent qu’à ce que les Blancs s’illustrent en les massacrant. Ou ils servent à faire rire comme si les indigènes mexicains n’étaient que des marionnettes ou des clowns. Comme si l’indigène nord-américain n’était qu’un criminel et comme si l’indigène mexicain n’était qu’un paresseux.
Un des objectifs de cette rencontre est de casser cette fausse image que l’on donne de nous. Nous ne faisons pas appel aux spécialistes ou aux livres pour connaître le peuple indigène d’Amérique du Nord, mais nous nous adressons aux dirigeants, aux chefs et aux délégués de ces tribus.
En ce même jour et en ce moment même, des centaines de peuples indigènes de l’ensemble de ce continent traversent, en la personne de leurs délégués, les terres, les airs et les mers de leurs continents pour s’assembler à Vícam, sur le territoire de la tribu Yaqui, ici dans le Sonora.
Le plus important dans cette rencontre, c’est que notre voix en tant que peuples indigènes soit écoutée par les autres et que nous puissions nommer nous-mêmes notre souffrance et que nous puissions commencer à trouver un nom au remède à cette douleur.
Notre mission en tant que peuples indiens est simple : il s’agit de sauver le monde.
Il n’est pas question ici de qui possède quelque chose et de qui n’a rien. Les catastrophes naturelles qui ont frappé récemment notre continent et le monde n’ont que faire des comptes en banque au moment de propager la destruction, pas plus qu’elles ne font cas de l’appartenance politique, des croyances religieuses ou de la couleur de la peau.
Ce que nous savons, c’est que le gouvernement met à profit ces catastrophes pour faire de belles déclarations dans les moyens de communication, mais qu’il ne fait rien pour résoudre le problème.
Quant à nous, nous pensons que c’est aux gens d’en bas, aux peuples indiens de notre continent et aux gens de toutes les couleurs qui sont avec nous qu’il revient de faire quelque chose pour rendre à la terre l’honneur qu’elle nous a fait, qui est celui de vivre.
Le fait que cette Première Rencontre de peuples indiens d’Amérique du Nord débute sur le territoire du Tohono O’odham est un signe, un bon signe, comme aussi le fait qu’elle commence le même jour où un homme, Ernesto Che Guevara, avait rêvé de l’unité de ce continent au moment d’affronter la mort.
Ses paroles sont pour nous remplies d’espoir sur ce que nous pourrons en apprendre. Et nous espérons que beaucoup de gens de par le monde, dans les moyens de communication et partout sur cette planète apprendrons en même temps que nous de ses paroles, de son histoire, de ses souffrances, ainsi que du remède, qui sera collectif ou ne sera pas.
Merci.
Sous-commandant insurgé Marcos
Paroles du sous-commandant insurgé Marcos
lors de la clôture de la quatrième réunion préparatoire,
au Ranch « El Peñasco », le 9 octobre 2007
Bonsoir,
Tout cela traite de la vie ou de la mort.
Nous, nous sommes l’Armée zapatiste de libération nationale. Et cette alternative entre la vie et la mort, nous l’avons déjà envisagée il y a de cela treize ans.
Pour d’autres secteurs sociaux, l’alternative est entre le pouvoir, l’argent ou vivre bien.
Pour les peuples indiens d’Amérique, le choix se limite à vivre ou mourir.
En tant que peuples d’origine maya, les peuples zapatistes ont dû affronter la menace d’être exterminés. Pas avec des bombes ou avec des balles, comme celles que l’on utilisait pour nous tuer, mais avec des maladies, avec la misère et avec le dénuement. Pourtant, la maladie la plus redoutable, celle qui nous tue le plus, c’est l’oubli.
C’est pour cette raison que nous avons dit que nous nous sommes révoltés contre l’oubli. Notre guerre est une guerre contre l’oubli.
Le chemin du feu que nous avons emprunté nous a menés à vous rencontrer, vous et d’autres comme vous. Et ce fut l’occasion pour nous de découvrir que la parole était une meilleure arme que le feu.
Depuis 1994, nous avons insisté, encore et encore, sur la parole, mais cela fait déjà longtemps que nous ne nous adressons plus à ceux qui sont en haut, aux gouvernants, mais aux gens d’en bas, aux gens comme vous.
Il y a quelques instants, un compañero Tohono O’odham nous a remis une carte, intitulée The Human Border, Frontières compatissantes. En regardant de près cette carte, on voit le territoire Tohono O’odham.
Tous les points qui ont été marqués sur vos terres signalent la mort de migrants. Plus de mille morts ont été enregistrées, probablement le double n’a pas été relevé.
Quand nous autres, les peuples indiens, sommes venus au monde, on nous a confié la vie de la nature et des personnes.
Voilà ce que font les gouvernements : ils font de nos territoires des lieux de mort. Il s’agit donc bien d’une lutte entre la vie ou la mort. Si je parle du Tohono O’odham, c’est parce que c’est ce peuple qui nous a accueillis et que les voyages que nous avons faits nous ont permis de le rencontrer. Nous avons ainsi pu apprécier et admirer son respect pour la vie. Non pas la vie individuelle et égoïste, mais la vie en collectivité, en commun, en peuple.
Tandis que le gouvernement américain et le gouvernement mexicain ne font rien pour remédier à cette mort qui rôde et vient frapper nos compatriotes qui meurent en traversant la frontière, les Tohono O’odham et de nombreux secteur sociaux non indigènes tentent de faire de leur passage un projet de vie et non de mort.
Après nous être réunis ici durant quelques jours, nous sommes sur le point de partir pour Vícam. Là, nous allons retrouver d’autres peuples indiens que nous ne connaissons pas et, d’une manière ou d’une autre, nous entendrons dans leurs paroles cette même alternative : vie ou mort.
Quand nous, les zapatistes, disons que nous nous battons pour la vie, pour ces petites filles et pour ces petits garçons, pour renforcer notre lutte nous regardons vers le passé, vers nos racines, vers ce que nous avons été, vers nos ancêtres, vers les personnes les plus âgées, les anciens et les anciennes, vers notre langue, nos habits traditionnels, nos chants, nos danses, vers tout ce qui fait de nous ce que nous sommes.
Alors qu’ailleurs, là-haut, on éprouve de la honte pour ce que l’on est, pour la couleur de sa peau, pour sa langue, pour le sang qui court dans ses veines, nous les peuples indiens nous l’affichons avec orgueil, parce que cette chose que d’autres méprisent, cela signifie Vie.
Voilà ce dont il est question dans cette rencontre, compañeros et compañeras.
Dans cette rencontre il y a des gens que l’on ne remarque pas, mais en ce qui nous concerne, nous nous efforçons toujours de les regarder et de les écouter, même si on ne les voit pas et qu’ils ne parlent pas.
Je réitère donc nos remerciements les plus sincères à la famille Monroy qui a tenu sa promesse d’être nos hôtes et de nous accueillir pour cette importante rencontre, merci beaucoup, Don Wenceslao.
Tous nos remerciements aussi à Monsieur Pastel et à son groupe culturel. Dès la première fois que nous sommes venus ici, nous avons pu le rencontrer et nous avons aussitôt compris son intérêt pour la recherche des origines et pour la vie. À Blake, qui, qu’on l’aime ou non, a constitué un pont très important pour que nous puissions connaître les peuples indiens d’Amérique du Nord. À Don José, gouverneur traditionnel Tohono O’odham, qui dès le premier jour nous a ouvert son cœur et nous a parlé avec vérité.
Tous nos remerciements aux compañeros et compañeras qui ont effectué les comptes rendus, qui ont dressé ce chapiteau, installé la lumière et la sonorisation, ainsi qu’au présentateur et à la traductrice.
Nous souhaitons tous les remercier. Nous les zapatistes, nous pensons que cette première rencontre qui vient de nous rassembler va se faire plus grande encore avec la rencontre d’autres peuples à Vícam.
Nous avons trouvé ici une chose commune à tous qui est difficile à trouver. Quelque chose qui nous unisse, qui fait de nous tous des égaux, qu’il s’agisse du Mohawk, du Dakota ou du Rarámuri. Nous avons découvert que c’est la souffrance qui nous unit.
À partir d’après-demain, à Vícam, nous allons également découvrir que nous unit aussi la lutte pour la vie.
C’est un honneur de nous rendre à Vícam en votre compagnie.
Nous, qui représentons les indigènes zapatistes qui vivent et luttent dans l’endroit le plus reculé de ce pays que l’on appelle le Mexique.
Merci beaucoup.
Traduit par Ángel Caído.