10 juin 2006.
Compañeras et compañeros de l’Autre Campagne, trente-cinq ans après qu’un groupe paramilitaire appelé « Faucons » [Halcones] entraîné, équipé et payé par le gouvernement eut attaqué une manifestation d’étudiants pacifiques, les policiers ont assassiné le jeune étudiant Alexis Benhumea Hernández, membre de l’Autre Campagne.
Alexis se trouvait le 4 mai de cette année à San Salvador Atenco, en solidarité avec les habitants au moment où les forces de police ont donné l’assaut. Des centaines d’hommes et de femmes furent frappés, détenus arbitrairement et illégalement, des femmes violées, des mineurs emprisonnés, des maisons mises à sac et un enfant spectateur de la brutalité policière fut assassiné.
Alexis fut blessé grièvement à la tête par un projectile de gaz lacrymogène, un projectile comme celui que je montre... dans la maison où se trouvait Alexis au moment où il fut attaqué par la police. Je vais donner ceci au père d’Alexis pour l’utiliser comme preuve, je ne le touche pas, et je conseille que l’on y cherche les empreintes digitales de Vicente Fox et Enrique Peña Nieto.
Alexis est resté plusieurs heures sans pouvoir recevoir d’aide médicale, du fait de l’état de siège que le gouvernement a maintenu à Atenco. Alexis est resté vivant pendant plus d’un mois, jusqu’à ce que la mort l’emporte ce 7 juin à l’aube. Alexis est mort, et le projectile qui l’a tué a été fait aux États-Unis, tiré par un lance-grenades, par la police qui a pris d’assaut Atenco le 4 mai 2006.
Alexis est mort et nous nous demandons, pourquoi ? Pourquoi la police assassine un jeune de vingt ans, un étudiant brillant, un artiste ? Et pourquoi là-haut les politiques font comme si cela n’avait pas d’importance ? Comment est-il possible que le gouvernement assassine un jeune étudiant et pour le gouvernement, les partis politiques et les médias, tout reste pareil ? Ils n’ont pas même pris la peine d’insister pour que s’ouvre une enquête, à peine une tiède et faible insinuation et en avant pour les publicités qui vous proposent des postes politiques comme s’il s’agissait de déodorants afin de couvrir la mauvaise odeur qui se dégage du système politique mexicain.
L’homicide de ce jeune, un de nos compagnons de l’Autre Campagne, a été dédaigné par la classe politique mexicaine, qui ne daigne pas même regarder la douleur de la famille d’Alexis, de même qu’elle n’a pas d’yeux ni d’oreilles face à l’injustice qui maintient nos compagnons emprisonnés dans les prisons de l’État de Mexico.
Pourquoi les candidats ne disent rien à propos de cet assassinat ? Parce que la mort d’Alexis n’est pas rentable, ce n’est pas une marchandise attrayante dans le marché électoral, c’est pour ça qu’ils ne disent rien, mais nous, nous cherchons bien la réponse à l’homicide de notre compagnon.
Alexis a été assassiné parce qu’il était jeune et rebelle, parce qu’il faisait partie de l’Autre Campagne, parce qu’il avait choisi le chemin de la transformation d’un système qui transforme la jeunesse en un délit puni par la peine de mort, n’importe quel jeune d’en bas, homme ou femme, sait qu’il est poursuivi comme un délinquant de par sa façon de s’habiller, sa coiffure, sa façon de parler, sa musique. Le tagueur, le skateur, le gothique, le punk, l’anarchiste, le libertaire, le rappeur, l’étudiant, l’ouvrier, le rockeur, l’employé, n’importe quel jeune d’en bas, est la proie favorite de la police, quelle que soit la couleur politique du gouvernement qui la dirige.
Et l’argument gouvernemental, c’est que les jeunes ont l’air de drogués, de voleurs, de criminels, alors que ceux qui n’en ont pas l’air en sont : patrons, députés, sénateurs, secrétaires d’État, présidents municipaux et de la République, fonctionnaires de tous niveaux, chefs de la police, généraux, épouses de présidents de la République, c’est parmi eux, et non parmi les jeunes que se trouvent les assassins, les voleurs, les criminels. Pourquoi s’étonnent-ils que les jeunes rejettent l’autorité, si c’est cette même autorité qui les poursuit, les emprisonne, torture, viole et assassine ? Quel respect peut se fonder sur les armes qui oppriment et les prisons qui enferment ?
Alexis Benhumea Hernández est mort, sa famille est en deuil, nous sommes en deuil, nous, La Otra. Le gouvernement dit qu’il regrette, qu’il comprend, et sort le carnet de chèques et demande combien vaut la mort d’Alexis, mais nous, ici, en bas et à gauche, nous ne demandons pas le prix de sa mort, nous le connaissons et nous en avons bien marqué le coût dans notre cœur.
Dans La Otra, nous nous demandons combien vaut la vie d’Alexis et avec elle, la vie de notre patrie ? Combien pour la vie d’Alexis ? Combien pour la femme, l’enfant, l’homme, le jeune, le vieux, qui est réprimé, violé, emprisonné, assassiné tous les jours avec l’alibi de la loi et de l’État de droit et nous, nous répondons, combien pour un Autre pays ? Pour un Autre Mexique ?
Un Mexique où le crime ne soit pas récompensé par des postes gouvernementaux mais puni par la prison.
Un pays où les jeunes ne soient pas poursuivis, frappés, violés, emprisonnés et assassinés à cause de leur âge, leur culture, leur mode de vie, mais où il existe pour tous éducation, récréation, sport, culture.
Un Mexique où la politique ne serait plus un business et cesserait d’être l’espace où s’applaudissent l’hypocrisie et la traîtrise.
Un pays où celui qui travaille gagne et vive avec dignité.
Un Mexique où personne ne construirait son bonheur à partir du malheur des autres.
Un pays où la démocratie ne soit pas une dispute pathétique entre partis politiques, qui ne sont rien d’autre que des produits commerciaux qui trompent dans tous les sens du terme le consommateur.
Un pays, un Mexique avec démocratie, liberté et justice.
Si, là-haut, ils pensent que la mort d’Alexis va semer la terreur et l’immobilisme dans nos rangs, ils se trompent, nous allons continuer, nous allons croître et nous allons organiser cette croissance, nous allons continuer et nous allons nous lever, et nous allons faire chuter non seulement ceux qui décident, mais aussi ceux qui possèdent tout, celui qui depuis là-haut décrète prison, douleur et mort pour ceux qui en bas sommes ce que nous sommes et avec tous ceux qui sont en bas nous trouverons la justice dont nous avons tant besoin, la liberté que nous méritons et la démocratie à laquelle nous aspirons.
Quand ce jour sera venu, lorsque nous auront accompli notre travaille, alors les rues et les champs de notre pays ne seront plus le lieu des rêves brisés, des lumières ratées à cause du cynisme, de la mort pour la vie.
Ce jour là notre pays, notre Mexique, sera un chemin vers la dignité.
Ce sera un autre pays, un Autre Mexique.
Longue vie à Alexis !
À mort la mort !
Merci compañeros.
Sous-commandant insurgé Marcos
Traduction : Narco News
Source : Enlace Zapatista