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Notre-Dame-des-Landes
Défendre nos manières d’habiter la ZAD

lundi 14 mai 2018, par ZAD

L’opposition au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes a pris, dès son commencement dans les années 1970, la forme d’une lutte habitée. En effet jusque dans les années 2000 le conseil général, en refusant de relouer les maisons de la zone d’aménagement différé, a tenté de vider progressivement la zone de ses habitant·e·s. Mais la résistance sur place a tenu bon en affirmant qu’« un territoire se défend avec celles et ceux qui l’habitent » et en invitant dès 2007 de nouvelles personnes à venir occuper les maisons laissées vides. Il s’ouvrait ainsi une nouvelle phase d’opposition par l’occupation des espaces à défendre.

Au fil des années, de nombreuses personnes aux sensibilités différentes ont ainsi rejoint cette zone en restaurant une maison existante ici ou en construisant une cabane là (yourtes, cabanes sur pilotis, dans les arbres, en terres, en bottes de paille, avec des matériaux récupérés...). Ces constructions ont souvent été pensées comme des moyens d’occuper le plus largement possible le terrain pour faire face aux menaces de travaux et, par là même, de destruction de milieux naturels précieux. Elles ont aussi amorcé une expérimentation sur la façon d’habiter un territoire en tentant de permettre à nos modes de vie d’avoir un impact positif sur tout ce qui nous entoure.

Aujourd’hui, la connaissance du bocage acquise par les personnes qui le vivent et l’arpentent est incroyablement dense. L’appropriation du territoire, d’abord sensible, s’est prolongée par les liens forgés avec les naturalistes en lutte et les histoires transmises par les habitant·e·s historiques et les voisin·e·s. L’évolution de nos savoir-faire agricoles, notamment à travers les rencontres entre occupant·e·s, habitant·e·s et paysan·ne·s historiques et de COPAIN, permettent aujourd’hui de produire une partie de la nourriture consommée sur place. Vivre ici signifie prendre en compte toutes les dimensions de l’acte d’habiter ; de la construction à la production en passant par tout ce que nécessite l’organisation collective d’un territoire si vaste. Au fil des années nous nous questionnons sur les formes de nos lieux de vie et sur leurs emplacements dans un environnement naturel fragile. En effet nos habitats ne sont pas posés ici et là sans avoir pris en compte toutes ces particularités du territoire. C’est en bord de haie qu’on construira plutôt qu’en plein champ, proche de telle activité en lien direct avec la nôtre, à l’écart des prairies fragiles… De même en 2012, suite à la violence des affrontements dans la forêt de Rohanne, nous avions décidé de ne plus y vivre et de démonter les cabanes existantes pour laisser l’écosystème forestier se régénérer. Malgré tout ce que pourront dire les différents aménageurs du territoire, jamais ils ne sauront prendre ce genre de décision au plus près de ce qui se vit sur place.

Face à nos pratiques, l’État ne voit que le potentiel agricole de ce territoire, en niant toute la dimension habitée de ces terres sauvées du béton. Cela s’est confirmé lorsqu’il a lancé une intervention militaire surdimensionnée et a détruit une trentaine de lieux sur la ZAD, soit près d’un tiers des habitations. Demander à des habitant·e·s de faire des projets agricoles tout en détruisant leurs lieux de vie ne semble pas déranger le gouvernement actuel. Dans sa vision bornée, l’État oublie aussi la grande richesse de la flore et de la faune, reléguant cette question à quelques mots-caution dans un cahier des charges « agro-environnemental ».

De notre côté, nous voyons la nécessité de repenser des modes de vie plus collectifs, celle d’imaginer de nouvelles façons de produire de la nourriture, loin des dictats de la Politique agricole commune (PAC), et de penser la préservation de la nature par celles et ceux qui l’habitent. C’est la diversité et le nombre des activités qui fait la force d’un territoire dans la durée, sa résilience, et non la productivité à l’hectare de quelques exploitants fragiles face aux lois du marché.

Alors que la taille des structures agricoles augmente tandis que diminuent le nombre et la diversité des petites fermes, nous croyons fortement qu’il faut lutter pour maintenir un entremêlement de nos activités dans le bocage landais. La présence humaine en campagne ne peut exister sans la diversité des activités s’articulant autour du soin, de la communication, de la gestion des conflits, des activités artisanales, culturelles, sociales... Sans quoi nous ne ferions que sculpter des campagnes aux parcelles immenses et productives certes, mais mortes de toute vie.

L’enjeu maintenant est de soustraire la ZAD des appétits productivistes agricoles et forestiers et cela ne pourra se faire qu’en poursuivant les formes d’habiter aux antipodes du monde consumériste que nous avons su repousser ici pendant plusieurs années. Car c’est bien dans la marge, dans l’expérimentation et l’observation des processus naturels que l’on cherche ici des manières originales d’habiter un territoire, dans le souci d’y inventer de nouveaux liens en considérant l’humain comme faisant partie de la nature et non au centre, en dehors ou au-dessus d’elle.

Cela ne pourra se faire que de manière collective, en prenant en compte la diversité des pratiques et des regards que portent chacun·e des personnes ayant participé à cette lutte. Le refus de l’État à accepter cela nous montre bien son incapacité à concevoir le monde en dehors de ses réglementations et autres schémas types destinés à nous rendre rentables avant tout. Certes les cabanes que l’État annonce vouloir détruire après le 14 mai sont difficilement compatibles avec certaines normes, mais elles sont pourtant bien moins nocives que les nombreux bâtiments agro-industriels qui sont construits puis abandonnés en toute légalité partout en France et en Europe.

Le combat pour défendre nos manières d’habiter ne fait que commencer. L’État a détruit certains de nos lieux de vie et il annonce revenir dès mardi prochain. Mais nous ne comptons toujours pas partir. Nous nous opposerons à ces destructions et nous reconstruirons nos habitats pour continuer à vivre dans le bocage. Nos manières d’habiter la ZAD continueront de s’élaborer collectivement depuis ce qui se vit ici à travers de nombreux moments de chantiers, d’actions, de débats, de réflexions et d’échanges, à commencer par des rencontres qui auront lieu le week-end du 26 et 27 mai.

Nous ne nous laisserons pas aménager cette fois non plus par des experts du zonage et nous continuerons à nous battre pour prendre soin des 1 650 hectares de ce territoire que nous avons sauvé de la folie du capitalisme en y vivant d’une façon hors normes.

Des habitantes & habitants du bocage, des paysans & paysannes
engagé·e·s dans la lutte, des naturalistes en lutte, des voisines & voisins

Source : zad.nadir.org
13 mai 2018.

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