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Mexico DF

Meeting sur la situation nationale le 1er octobre 2006

octobre 2006, par SCI Marcos

Meeting sur la situation nationale, le 1er octobre 2006
dans le local du Front populaire Francisco Villa - indépendant
Paroles de la Commission Sexta de l’EZLN.

Bonsoir compañeros et compañeras,

Tout d’abord nous voulons remercier le Font populaire Francisco Villa indépendant (UNOPII), l’amphitryon de cette réunion, et plus particulièrement les compas du Front ici à Pantitlan, qui nous accueillent.

Je vais présenter les compañer@s de la délégation :
La compañera comandanta Grabiela, déléguée un.
Le compañero comandante Zebedeo, délégué deux.
La compañera comandanta Miriam, déléguée trois.
La compañera Gema, déléguée quatre.
La compañera comandanta Hortensia, déléguée cinq.
La compañera Lupita, déléguée cinq et quart.
Le compañero comandante David, délégué six.
Le compañero comandante Tacho, délégué sept.

Ces compañeros et compañeras, commandants et commandantes, ont été désignés par les communautés pour porter un message spécial au peuple d’Atenco, et aux prisonniers et prisonnières politiques de ce mouvement. Hier nous étions là-bas et nous avons parlé avec l’assemblée des ejidatarios.

La comandanta Grabiela, le comandante Zebedeo et la comandanta Miriam vont rester ici à Mexico, unis aux compañeros d’Atenco, et dans les mobilisations de soutien pour la liberté et la justice des prisonniers et des prisonnières d’Atenco.

Et le compañero comandante David, la comandanta Hortensia, la compañera Lupita, la compañera Gema et le comandante Tacho vont retourner au Chiapas pour communiquer aux communautés zapatistes le message donné par les compañeros d’Atenco.

Assez souvent, dans la lutte, il nous faut relier notre perception générale de la réalité que nous vivons, autrement dit, la théorie aux souffrances qui nous poussent à la rébellion.

Quelquefois, on a tendance à divaguer sur les chemins apparemment infinis de la théorie, sur la formation d’hypothèses pour arriver au prétendu principe de la connaissance du moi cartésien : « Je ne sais qu’une chose : que je ne sais pas nager. »

D’autres fois, nous nous concentrons tellement sur un aspect de la réalité que nous ne pouvons pas voir à temps le coup qui nous fera tomber.

On peut dire que c’est pour ça qu’on applique les éléments théoriques à la réalité et qu’à partir de là on découvre les relations entre les individus et les choses et entre les individus entre eux.

La théorie qui nous regroupe dans l’Autre Campagne et au sein de l’EZLN nous permet de démonter dans l’abstrait les mécanismes du système capitaliste, en partie avec un ensemble de concepts : par exemple le fait d’établir les relations économiques comme la colonne vertébrale de tout un système social. C’est-à-dire que ce qui est en jeu dans n’importe quelle partie d’une société est une relation économique. Et aussi le fait de définir que, au sein de ces relations économiques, la propriété, le propriétaire des choses et des personnes est ce qui marque un système. Il ne suffit pas alors de démontrer qu’il existe des relations économiques, il faut aussi ajouter qu’il y a une relation de propriété. Quelqu’un est propriétaire d’une ou de plusieurs choses ou personnes qui sont en relation entre elles.

Selon notre façon de penser, dans le capitalisme il y a des relations de travail, ou de production, donc soit on est propriétaire d’une partie, soit on ne possède rien.

Il y a donc un fossé entre les concepts de base qui permettent de comprendre une société et ce qu’on voit, vit et meurt dans un endroit spécifique de cette société.

Il y a ceux qui effectuent une manœuvre compliquée que, avouons-le, nous avons du mal à comprendre. Par exemple, pour rendre accessible les concepts de base, ils ont recours à une analyse et à des exemples... de la Russie des tsars !

De l’État du Chiapas à Mexico en passant par le Quintana Roo, Yucatán, Campeche, Tabasco, Veracruz, Oaxaca, Puebla, Tlaxcala, Hidalgo, Querétaro, Guanajuato, Aguascalientes, Jalisco, Nayarit, Colima, Michoacán, Guerrero, Morelos et l’État de Mexico, le passage de l’Autre, c’est-à-dire l’écoute collective qui réunit, n’a pas trouvé des exemples mais des réalités qui confirmaient le présupposé fondamental de sa vocation : le système capitaliste est train de livrer une guerre sur tout le territoire national.

Il y a dix ans, nous avons exprimé que, dans le néolibéralisme, on détruit et on dépeuple, et presque simultanément on reconstruit et on réorganise. Les ruines de notre pays sont cachées non seulement sous le décor d’un Mexique qui voit la classe politique mexicaine schizophrénique (dont une partie « se réveille » sur le divan de la fraude électorale et trouve que la politique est ce qu’elle est, à savoir, de la merde), mais aussi sous les grands centres commerciaux, les chaînes hôtelières, les centres historiques privatisés, terrains de golf, courtiers industriels, usines qui apparaissent aussi vite qu’ils disparaissent.

Imaginons un territoire dévasté par la guerre, réduit à un tas de ruines, avec la population absente ou dispersée, sans aucun sens d’humanité, c’est-à-dire, de groupe qui lui donne identité, direction et rythme.

L’analyse de notre réalité qu’ont présentée les compañeros d’UNIOS, du Parti des communistes et du Front populaire Francisco Villa - indépendant (UNOPII), nous aide à comprendre ce qui se passe à grande échelle, à niveau national.

Les témoignages que nous avons recueillis dans l’Autre Campagne nous confirment dans des endroits précis, dans des situations précises, avec des prénoms et des noms de famille, ce que le système capitaliste fait dans notre pays.

Nous ne rajouterons rien à ce qui a été dit par les compañeros et les compañeras de ces organisations adhérentes à la Sixième Déclaration et à l’Autre Campagne. Nous sommes d’accord avec eux sur le fait que nous devons exiger à nouveau la liberté et la justice pour les prisonniers et les prisonnières d’Atenco. Et nous sommes d’accord, aussi sur le fait qu’Oaxaca ne représente pas seulement une urgence dont il faut s’occuper et qu’il faut soutenir, mais aussi un exemple d’organisation.

En tant qu’Armée zapatiste de libération nationale, nous voulons ajouter à ce qu’ont dit les compañeros d’UNIOS, du Parti des communistes et du Front populaire Francisco Villa - indépendant (UNOPII), que, nous les zapatistes, pour voir la situation nationale, nous regardons en bas, le plus bas possible.

Et en bas nous trouvons Lupita.

Pour elle, un conte...

(Le conte suivant est un fragment du prologue au livre L’Autre Campagne de santé sexuelle et reproductive pour la résistance indigène et paysanne au Mexique, publié par le collectif Brigada Callejera, de Mexico (adhérent à la Sexta et à l’Autre Campagne), à paraître prochainement.)

L’amour selon l’Andulio

C’était en août, mais il y a onze ans. Il pleuvait. Moi, j’étais dans la cahute de la Commandance. J’essayais de monter un piège pour une souris qui menaçait ma maigre bibliothèque de montagne. Je dois dire qu’il s’agissait, il faut le reconnaître, d’une souris cultivée, elle avait une franche préférence pour les classiques. Ayant dévoré les éditions de « Sachez combien » de L’Iliade et L’Odyssée, elle commençait à ronger la première partie de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche quand je l’ai découverte.

Le piège que je lui préparais était d’une cruauté sophistiquée : il consistait en une synthèse des propositions électorales des partis politiques.

Elle mourrait à coup sûr d’indigestion.

Alors, l’Andulio est arrivé et il s’est assis sur le petit banc à côté de moi. Contrairement aux autres fois où l’Andulio s’intéressait à ce que je faisais, cette fois il soupirait profondément, le regard perdu. Tout d’abord, je me réjouissais, je pensais que l’Andulio avait enfin compris que je n’aimais pas qu’il m’interrompe avec des questions existentielles.

Au septième soupir, j’ai commencé à me préoccuper et je lui ai demandé ce qu’il lui arrivait.

- La Rosita, a dit l’Andulio comme s’il disait « regardez cette blessure mortelle qui ne ferme pas et dans sa lumière se renouvelle ».

Je dois vous dire que la Rosita était à l’époque, une petite fille d’environ six ans (maintenant, elle doit être toute une célibataire) qui vivait dans le village de l’Andulio. La Rosita jouait avec la bande des enfants de « San Tito » qui se composait le plus souvent, en plus de l’Andulio, de la Mariya (qui était en quelque sorte la chef de la bande), de l’Andresito (qui était comme le nouveau celui dont tout le monde profitait), l’Huber (le voyou de la bande et le frère de la Rosita), et la Rosita (qui était la silencieuse et discrète).

Ce fut l’Andresito qui a expliqué ce qui arrivait à l’Andulio :

- Hé Chiup, si tu m’donnes un ballon, je te dis que l’Andulio est bien amoureux de la Rosita, mais si tu m’donnes pas, alors j’te dis pas.

Moi, ayant remarqué le manque d’habileté de l’Andresito pour négocier, j’ai cherché un ballon en regardant l’Andulio du coin de l’œil.

L’Andulio ne s’était même pas rendu compte que l’Andresito l’avait trahi, ce qui était grave.

J’ai dit à l’Andresito de m’accompagner pour aller pêcher dans la lagune.

La lagune n’était pas une lagune, mais une flaque très grande que les pluies formaient au milieu du bois dans les environs de « San Tito ». Comme c’était une flaque, il n’y avait pas de poissons, mais l’Andulio et l’Andresito m’invitaient souvent à « pêcher » chaque fois qu’ils devaient fuir la Mariya et ses réprimandes pour ne pas faire les devoirs de l’école autonome zapatiste. Je ne les accompagnais pas toujours mais de temps en temps, je m’asseyais avec eux au bord de la flaque et j’écoutais en silence la conversation de ces deux enfants zapatistes.

Personne ne paraissait gêné par le fait que nous n’avions même pas de fil pour pêcher, la version officielle était que nous pêchions. Et là, assis et en train de discuter, le temps passait jusqu’à ce que le soir diluait ses dernières couleurs dans l’ombre d’une nuit en avance.

La mère de l’Andulio m’a raconté une fois que quand les deux enfants arrivaient, ils racontaient des histoires incroyables, qu’ils avaient pêché un « monstre » dans la lagune et que le « monstre voulaient manger le Zup, que le Zup a eu très peur mais que l’Andulio avait frappé le monstre à la tête et il s’est évanoui, alors ils l’avaient remis dans l’eau, parce qu’ils ont vu que si le monstre s’était énervé c’était parce qu’on l’avait sorti de l’eau , et le Zup était content parce que l’Andulio lui avait sauvé la vie, et alors il leur a raconté une histoire et c’est pour ça qu’ils sont arrivés si tard mais que demain ils feraient les devoirs ».

Et la Mariya :
- Il n’y a pas de monstre dans la lagune. Il n’y a que des têtards et des crapauds.

Et l’Andulio :
- Il y a un monstre.

Et la Mariya :
- Y’en n’a pas.

Et l’Andulio :
- Si, pas vrai Andresito ? mais l’Andresito s’était déjà endormi, debout contre les jambes de sa mère.

- Y’en n’a pas, insistait la Mariya,

- Y’a un monstre, mais il sort pas quand y a des filles. Demande au Zup, disait l’Andulio pour clore la discussion.

Quelquefois, l’après-midi, quand l’école et les multiples tâches de la maison leur laissaient un peu de temps, la bande de l’Andulio apparaissait dans notre quartier général. La Mariya et la Rosita venaient aussi, mais pressentant ce que signifiait la pancarte qui sur le côté de la cahute disait « Club de Tobi. Interdit aux femmes », elles allaient avec les femmes insurgées faisant preuve de ce qu’on appelle « solidarité de genre ».

L’Andulio, sans que personne lui demande, s’approchait pour voir ce que je faisais, amorçait une discussion et, s’il n’était pas secondé, allait au coin du feu où la troupe insurgée préparait le deuxième des deux repas qui composaient le régime zapatiste.

Une fois, après le départ de l’Andulio, tous les hommes insurgés sont apparus à la porte de la Commandance. Quand je leur ai demandé ce qui se passait, ils ont répondu :

- C’est que l’Andulio a dit que le Sup regardait des femmes à poil.

- Heu... c’est pas des femmes à poil, c’est un livre d’anatomie, ai-je dit en cachant, avec un passe-montagne sale, un magazine plein de X.

Mais bon, je vous racontais cet après-midi-là quand nous sommes allés avec l’Andresito « pêcher » à la lagune de San Tito.

On a emmené l’Andulio qui marchait comme un zombie.

Pendant que l’Andresito ramassait des cailloux pour être prêt au cas où le « monstre » apparaissait, je me suis assis à côté de l’Andulio. J’ai allumé ma pipe et j’ai attendu en silence, sachant que les blessures infligées par l’amour ne tardent pas à chercher à se soulager, en vain, avec des mots.

L’Andulio a brisé le silence :

- Dis, Zup. Qu’est-ce que je vais faire ?

Il a ajouté :

- Tu crois qu’elle va m’aimer ?

J’allais décrire à l’Andulio différentes formes de suicide, quelques-unes élégantes, d’autres ordinaires, mais l’Andresito est revenu avec un chargement de cailloux qui, à en juger par leur taille, n’auraient fait aucun mal au prétendu « monstre » de la lagune.

- De toute façon, elle ne l’aime pas, moi je lui ai déjà demandé, a dit l’Andresito en rangeant les cailloux en petits tas.

- Et qu’est-ce que tu lui as demandé ? ai-je questionné en prenant une pierre et le lance-pierre de l’Andulio, pour si jamais c’était vrai l’histoire du « monstre » et moi désarmé et l’Andulio, gravement blessé et pratiquement moribond à cause de la Rosita.

- Ben, je lui ai demandé si elle allait se marier avec l’Andulio, a répondu l’Andresito, en chargeant son lance-pierre.

- Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ? ai-je insisté en visant un arbre. Je l’ai raté.

- Elle est partie en pleurant chez elle, mais j’ai vu dans ses yeux qu’elle allait dire non, a dit l’Andresito en touchant l’arbre.

Ça ne m’a pas paru une conclusion objective, alors j’ai essayé d’expliquer à l’Andulio que tout n’était pas perdu, que certainement l’Andresito n’avait pas bien vu les yeux de la Rosita et que ce qui était sûr c’est qu’on ne savait pas si elle allait l’aimer ou pas.

Que dans ce genre de cas, le mieux était de continuer à alimenter l’incertitude, parce qu’il fallait pas qu’elle ne l’aime pas et alors, moi, j’allais me retrouver sans défenseur et si le « monstre » apparaît, ça serait la fin de Rome.

L’Andulio m’a regardé avec attention en écoutant mon argumentation qui, à propos, était meilleure que celle des autorités électorales pour justifier l’imposition de Felipe Calderón comme président du Mexique.

Quand j’ai terminé, l’Andulio, pour montrer qu’il était sur une autre longueur d’onde, a demandé :

- Et cette Rome, elle est jolie comme les femmes à poil que vous regardez ?

Je n’ai rien dit, hésitant entre viser l’arbre ou la tête de l’Andulio.

- Parce que la Rosita, elle, elle est jolie, a dit l’Andulio en souriant, le visage illuminé.

- Comment elle peut être jolie si c’est une fille, est intervenu l’Andresito, montrant que, contrairement à l’Andulio lui était encore un garçon.

- Elle est jolie, a dit l’Andulio pendant qu’il récupérait son lance-pierre et prenait un caillou du tas.

L’Andresito a pris sa distance. Un roulement de tambour annonçait le duel. Bon, en réalité, on n’a rien entendu mais c’est juste pour vous donner une impression de l’ambiance. Par contre, si on n’a pas entendu de tambour, il y a bien eu un craquement qui annonçait la chute d’une branche d’un arbre.

- Le monstre ! a crié l’Andresito et il est parti en courant. Derrière lui, mais non moins rapide, s’en est allé l’Andulio. Je me suis levé avec une élégance du style Gandalf dans Le Seigneur des anneaux mais en mieux, après m’être assuré que personne ne regardait, et j’ai couru laissant derrière moi ma dignité et les cailloux que l’Andresito avait réunis.

Le lendemain après-midi, l’Andresito et l’Andulio sont arrivés à la cahute de la Commandance zapatiste.

L’Andresito a commencé la conversation :

- Dis, Chiup, on est venus voir si tu étais déjà mort.

- Je ne suis pas mort, ai-je menti avec orgueil.

- Et le monstre ? a demandé l’Andresito, nerveux, en regardant partout.

- Il est mort. Je l’ai battu, dérouté et je lui ai enlevé la peau, ai-je dit orgueilleux en montrant un morceau de vieille botte.

L’Andresito a ouvert de grands yeux où l’on lisait un mélange d’admiration et de terreur, mais il n’a quand même pas osé toucher la « peau » du « monstre ». Il est parti en disant qu’il allait voir s’il restait un os du « monstre » pour se faire une épée magique. L’Andulio est resté.

C’est alors que je me suis rendu compte que l’Andulio avait un sourire jusqu’aux oreilles qui disait « demande-moi comment ça s’est passé ».

- Comment ça s’est passé ? lui ai-je demandé en allumant ma pipe.

- Ben, je crois que oui, elle va m’aimer, en fait je ne sais pas, mais je pense que oui. C’est que j’étais assis et je buvais mon pozol. Je ne pensais à rien. J’étais là, je regardais rien, comme ça. Et alors la Rosita est arrivée et elle s’est assise à côté de moi.

- Et qu’est-ce qu’elle a dit ? ai-je demandé anxieux.

- Ben, elle a rien dit. Mais elle est restée assise avec moi jusqu’à ce qu’elle a fini son pozol.

- Et toi ? ai-je insisté intéressé.

- Moi, j’avais du mal à finir mon pozol. J’étais très nerveux, a dit l’Andulio avec une tête de « prends en charge la situation ».

- Et alors, qu’est-ce que tu vas faire ? ai-je demandé avec une curiosité malsaine.

- Moi ? Toi, toi tu vas lui écrire une lettre, une lettre d’amour et de ces choses.

- Mmh.... une lettre d’amour et de ces choses... Mais Andulio, la Rosita ne sait pas lire ! lui ai-je dit pour le décourager et pour éviter le travail.

- Pas encore mais elle va à l’école autonome zapatiste et un jour elle va savoir et elle va la lire et elle va être amoureuse de moi.

- Et après ? lui ai-je demandé.

L’Andulio s’est mis à penser. Comme si il n’avait pas pris en compte cette partie. Sur ce, L’Andresito est revenu.

- Pas d’os de monstre, a-il dit déçu.

- C’est que les monstres n’ont pas d’os. Ils ont à l’intérieur des fils de fer magiques... comme celui-ci, ai-je dit en prenant par terre un câble qui avait dû appartenir à un appareil de radio.

L’Andresito s’est mis à penser. Puis il a dit :

- Et si le monstre avait des enfants et ils ont grandi et ils sont très fâchés parce que tu as enlevé la peau de leur papa monstre et ils vont venir te manger tout entier ?

J’ai ravalé ma salive, mais je me suis remis rapidement :

- Tu crois que les monstres mangent les sous-commandants ?

- Non ? Et ils mangent les enfants ? a demandé pris de peur, l’Andresito.

- Seulement s’ils s’appellent Andrés, ai-je dit sans en avoir l’air.

Alors, c’est l’Andresito qui a ravalé sa salive, mais, lui aussi il s’est remis rapidement :

- Moi, figure-toi je vais me mettre un autre nom de lutte et je ne vais plus être « l’Andresito »,

- Ah oui ? Et comment tu vas t’appeler ?

- Chiup, a dit l’Andresito en prenant une de mes pipes.

- Impossible, parce que moi je m’appelle déjà comme ça, lui ai-je dit en lui enlevant la pipe.

- Oui, mais moi je suis... l’autre Chiup ! a exclamé l’Andresito en reprenant la pipe et il est sorti en courant.

Moi, j’ai hésité entre courir derrière l’Andresito avec une machette, avertir par radio le garde pour qu’il l’arrête et le torture jusqu’à ce qu’il donne la pipe, me plaindre à sa mère pour qu’elle lui donne une bonne raclée, essayer de le soudoyer comme s’il était un fonctionnaire électoral ou me consoler en pensant que la pipe était cassée du bec.

Avant que je me décide, l’Andulio interrompit mes pensées et me rappela la lettre pour la Rosita.

Je la lui écrivis et l’Andulio gribouilla son nom en guise de signature. Il la plia avec soin et la rangea dans un petit sac en plastique.

Et il partit.

Ce que je vous raconte s’est passé il y a plus de onze ans. Maintenant la Rosita doit être grande.

Peut-être que l’Andulio ne lui a pas donné la lettre.

Peut-être que si.

Peut-être que l’Andulio pense lui donner.

Peut-être que l’Andulio et la Rosita, cachés sous ces mots, trouveront leurs corps et se rencontreront au début de la nuit. Peut-être qu’un éclair parcourra leurs peaux. Peut-être que leurs soupirs renommeront chaque partie nouvelle qui naîtra des caresses.

Ou peut-être pas.

Peut-être que ce sont d’autres yeux qui empêchent de dormir l’Andulio, d’autres jambes qui se mêlent aux siennes, une autre humidité qu’il boit, assoiffé.

Peut-être que c’est une autre main qui parcourt la géographie de la Rosita, un autre bras qui serre sa taille, un autre corps qui remonte jusqu’à la douce fatigue.

Ou peut-être que l’amour, cet impertinent, guette encore dans l’ombre. Et peut-être que l’Andresito a finalement trouvé un os de monstre et qu’il s’est fait une épée magique et que maintenant il l’a brandi défiant le puissant, comme s’élèvent les révoltes dans l’Autre Campagne, dans tous les recoins du Mexique... et dans les terres zapatistes, dans les montagnes du Sud-Est mexicain.

Peut-être...

À bon entendeur salut et pour quoi que ce soit, peut-être que ce livre peut servir.
Le Sup aiguisant l’épée des premières heures du matin.
Mexico, août-septembre 2006.

Traduction : Narco News
Source : Enlace Zapatista

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