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Manifeste du collectif Stop EDF Mexique

jeudi 19 novembre 2020

Pourquoi vous parler de l’isthme de Tehuantepec ? De la lutte des différents pueblos ? Pourquoi y consacrer une page facebook, lancer une pétition, organiser des rencontres et tournées d’information ? À l’heure où tout semble aller à l’encontre de la vie... On ne sait pas vous, mais nous, aujourd’hui, on ressent le besoin d’imaginer d’autres chemins, d’autres directions, et de se joindre à celles et ceux qui cheminent à contre-courant.

Cette époque vacillante nous donne le vertige. De nombreux pays du monde entier sont ravagés par des « crises sociales » comme on aime les nommer — dessinant des sociétés rongées par les inégalités où la survie quotidienne des uns côtoie le luxe vide des autres.

Partout, ou presque, les pouvoirs politiques corrompus, noyautés par les intérêts économiques ont perdu tout crédit, toute légitimité. Partout, on se demande encore par qui — et pourquoi — nous sommes gouverné·e·s. Et en parallèle, le racisme, le colonialisme, tout comme le machisme continuent de tuer chaque année, des milliers de personnes de par le monde.

On se sent comme au bord du gouffre. On sait que ça va très mal, mais notre inquiétude est telle et les sujets si nombreux que cette immense envie d’agir butte contre un mur : l’on se sent soudain si petit·e et démuni·e, et cette volonté d’agir se transforme alors en inertie, en paralysie. On ne sait plus vraiment ce que l’on devrait faire, de toute façon, tout ça nous dépasse. De toute façon, il y a trop de sujets et les problèmes sont trop énormes, systémiques, endémiques. On continue à lutter, à vouloir s’engager, mais au fond, on devient des militant·e·s tristes, comme dirait Miguel Benasayag.

On a quand même pas envie de passer notre vie à être triste. Qu’est ce qui nous sauvera donc ? Peut-être d’essayer de comprendre comment nous en sommes arrivé·e·s là. Alors on fouille dans le passé. On se rend compte rapidement que ces luttes ne datent pas d’hier. Que ces désastres sont les conséquences actuelles d’une histoire au long cours, d’une histoire coloniale et capitaliste mondiale, associée à de multiples systèmes de domination. Une histoire qui a fondé il y a des siècles notre rapport à la terre et au vivant. L’histoire d’hommes qui ont vu en d’autres des marchandises à exploiter n’est-elle pas étroitement liée à celle qui voit en chaque lopin de terre une ressource à piller ? En chaque femme un territoire à conquérir ? Comment ne pas lier notre passé colonial aux développements économiques et sociaux qui ont pris place par la suite, et aux rapports binaires hommes-femmes qui ont germé au cours des siècles ?

Ce que nous voulons dire, c’est que tous ces systèmes de domination, ces systèmes dans lesquels nous sommes tou·te·s pris·e·s : coloniaux, hétérosexistes, racistes, étatistes, capitalistes et productivistes et on en passe...sont interreliés.

Comment pouvons-nous nier que les enjeux climatiques actuels sont intimement liés au système économique en cours, qu’il s’agit du même combat, comme nous l’avons si souvent lu sur les pancartes des manifestations ? Comment peut-on encore regarder la misère des pays dit du « Sud global » comme une « erreur de parcours » de leur part et non pas comme une conséquence directe de ces systèmes, puisque — parmi de nombreuses autres raisons — leurs richesses et leurs populations ont été pillées et exploitées, et continuent de l’être ? Dans la même logique, les conditions de vie des femmes dans le monde entier ne découlent-elles pas du besoin de main-d’œuvre gratuite nécessaire à la reproduction sociale capitaliste ?

Nous envisageons cette compréhension du monde — celle de l’imbrication de ces systèmes d’oppression — comme un appel à penser de façon complexe l’ensemble des phénomènes auxquels nous sommes confronté·e·s, plutôt que de les penser séparément. C’est un appel à la radicalité, qui dans son sens premier, signifie de revenir à la racine, remonter aux causes premières des problèmes auxquels nous sommes confronté·e·s aujourd’hui. Ainsi, cette forme d’intersectionnalité nous éclaire et nous donne des clés salvatrices pour nos luttes.

C’est bien ce cheminement et cette compréhension du monde qui nous ont amené·e·s à nous solidariser avec les peuples de l’isthme de Tehuantepec au Mexique, et à rejeter les projets éoliens destructeurs qui envahissent leurs territoires.

L’Isthme compte aujourd’hui plus de 1 800 éoliennes installées pour la plupart par des firmes étrangères. Une grande partie de la population locale, en particulier indigène, est en lutte depuis plusieurs décennies contre l’installation de ces parcs.

En effet, ces parcs éoliens industriels sont d’abord à l’origine de nombreuses dégradations environnementales : pollutions des eaux et des terres arables dues au ruissellement de l’huile des turbines, circulation des eaux souterraines perturbées par les fondations en béton, massacre d’oiseaux migrateurs et des chauves-souris qui régulent la population de moustiques ce qui favorise la propagation de la dengue dans la région, etc.

Mais l’installation des parcs a surtout des conséquences sociales graves, en contribuant à la désintégration du tissu social istmeño et à la violation des droits humains : ces projets portés par des multinationales comme EDF reposent sur la privatisation illégale de terres communales, dépossédant ainsi les peuples autochtones de l’Isthme de leurs usages traditionnels et de leurs territoires. Ils divisent la population, favorisent les conflits locaux et les violences contre les opposant·e·s aux projets.

À l’heure de la crise écologique que nous traversons, du changement climatique dû à l’utilisation des énergies fossiles qui menacent la vie sur cette planète, qui pourrait contester que le fait de développer des sources d’énergies renouvelables fasse partie de la solution ?

Et pourtant, il nous faut nous interroger : ces solutions doivent-elles être mises en place à n’importe quel prix ? Au prix des droits humains ? De l’autonomie des peuples autochtones et de leurs formes de vie ? En reproduisant les mêmes schémas de domination qui nous ont mené·e·s dans le mur ?

Comment peut-on accepter que, dans une prétendue logique « verte », nous soyons encore en train de reproduire les exactes attitudes qui nous ont elles-mêmes mené·e·s vers cette crise écologique — soit des attitudes d’exploitation, de pillage des ressources et de violence inouïe face aux peuples et au vivant dans son ensemble ?

Il est profondément injuste et paradoxal que les communautés paysannes et les peuples autochtones, qui ont le moins bénéficié du développement généré grâce à l’utilisation de leurs ressources historiquement (y compris les énergies fossiles), doivent (encore) supporter le poids d’une transition énergétique, qui se veut durable mais qui en réalité ne fait que reproduire les logiques de pillage et de domination coloniale.

Nous ne sommes ainsi pas dupes des logiques à l’œuvre : les grandes entreprises se cachent derrière la légitimité acquise par le discours de l’écologie, de la transition énergétique et de l’énergie « propre », pour mieux faire perdurer par d’autres moyens leurs velléités prédatrices, celles du profit et de l’exploitation.

C’est en cela que l’analyse et la compréhension du monde décrite plus haut est salvatrice : elle nous montre le chemin, nous fait comprendre que l’on ne résoudra pas un problème (la crise écologique) en alimentant les mêmes dynamiques destructrices qui en sont la cause (le capitalisme, le colonialisme, les dominations en général), puisque ces systèmes sont imbriqués.

Ce sont les luttes de ces peuples istmeños qui nous montrent aussi le chemin, ou du moins un chemin. Les formes de lutte mais aussi les formes de vie qui prennent corps dans ces territoires, sont autant d’inspirations possibles pour reconstruire un rapport différent au quotidien, au temps, au vivant dans son ensemble, et méritent d’être préservées pour elles-mêmes.

Nous avons une certitude : nous ne laisserons pas le premier fournisseur d’électricité de France participer à leurs destructions. Nous refusons cette écologie coloniale basée sur la dépossession des peuples autochtones, ce capitalisme vert qui continue l’exploitation effrénée des ressources et les logiques extractivistes.

Non seulement nous pensons qu’il n’y aura pas de sortie de crise sans des changements profonds de société, dans nos modes de vie et de consommation, dans nos façons de nous relationner les un·e·s aux autres et avec le vivant, mais nous sommes aussi convaincu·e·s qu’il est possible de développer des formes alternatives d’approvisionnement en énergie, par le bas, sans exploitation.

Rejoignez-nous !

Publié sur le site de l’Amassada
le 18 novembre 2020.

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