Armée zapatiste de libération nationale.
Mexico.
Octobre 2007.
Frères et sœurs,
Compañeras et compañeros,
Aux autorités et gouvernants de la Tribu Yaqui,
À nos sœurs et à nos frères délégués, représentants, autorités et gouvernants de tribus, nations et peuples indigènes d’Amérique.
Aux hôtes, observateurs et observatrices venus de tous les pays d’Amérique et du monde.
Nous, commandantes et commandants, nous sommes venus en représentation de l’EZLN, notre organisation, et de nos peuples indigènes tzotzil, tzeltal, tojolabal, ch’ol, zoque et mam, du Sud-Est mexicain.
C’est avec grand enthousiasme que notre délégation, nommée par nos peuples, vient participer à la Rencontre de peuples indiens d’Amérique, la première rencontre de ce type organisée dans l’histoire de notre continent, qui a lieu dans la communauté de Vícam de la Tribu Yaqui, État de Sonora, Mexique.
Comme vous le savez et comme le monde entier le sait, nous les pauvres travailleurs des campagnes et des villes, mais plus encore nous, les propriétaires originels des terres de ce continent, nous sommes exclus et mis à l’écart de tout.
Le prétendu gouvernement mexicain démontre actuellement qu’il est résolu à empêcher coûte que coûte l’organisation des peuples indiens et le plein exercice de leurs droits en toute autonomie et dans la libre détermination ; aussi mobilise-t-il l’ensemble de ses forces politiques, économiques, idéologiques et militaires pour les lancer contre nous.
Nous les indigènes, nous sommes confrontés au totalitarisme, à la toute-puissance et à la décadence de ce serviteur du néolibéralisme. Nous n’avons qu’une seule chose à lui dire, c’est qu’il ne parviendra pas à empêcher notre parole de parcourir le monde entier.
Les commandantes et les commandants de l’EZLN n’ont pas pu participer en personne à cette rencontre, mais notre compañero sous-commandant insurgé Marcos est parmi vous.
Par sa voix parlent toutes les communautés, toutes les bases de soutien, tous les hommes, toutes les femmes, tous les jeunes, les enfants, les anciennes et les anciens ainsi que tous les commandants et toutes les commandantes de l’EZLN.
Durant toute la durée de cette rencontre des peuples indiens d’Amérique, dans nos communautés nous serons à l’écoute et suivrons attentivement son déroulement et tout ce qui pourrait survenir.
Voilà notre parole, recevez tous nos encouragements pour cette rencontre et pour vos luttes dans votre territoire.
En cinq cent quinze ans, ils n’ont pas réussi à nous éliminer. Ils y parviendront encore moins aujourd’hui que nous allons être tous unis contre un ennemi commun.
Fraternellement.
Commandant David
Commandant Zebedeo
Commandant Guillermo
Commandante Susana
Commandante Míriam
Commandante Hortencia
Commandante Florencia
Compañera Elena
Et les petites Lupita et Toñita.
Mexique, le 6 octobre 2007.
Armée zapatiste de libération nationale.
Mexico.
Paroles de l’EZLN prononcées lors de l’inauguration
de la Rencontre continentale de peuples indiens d’Amérique
Vícam, État de Sonora, Mexique. Le 11 octobre 2007.
Sœurs et frères,
Par ma voix s’exprime l’Armée zapatiste de libération nationale.
Et ma voix vous apporte le salut fraternel des hommes, des femmes, des enfants et des anciens, tous et toutes zapatistes, indigènes de souche maya, qui vivent et luttent dans les montagnes du Sud-Est mexicain.
Nous saluons les peuples, nations et tribus qui constituent la source de vie de ce continent.
Nous saluons les nombreuses couleurs en qui réside la couleur de la terre.
Nous saluons les peuples indiens du nord-ouest du Mexique qui nous accueillent : le peuple Kumiai, le peuple Pai Pai, le peuple Kiliwa, le peuple Cucapá, le peuple Tohono O’odham, le peuple Comcaá, le peuple Pima, le peuple Mayo Yoreme, le peuple Raramuri et le peuple Guarijío.
Et nous saluons tout particulièrement l’homme et la femme Yaqui qui nous reçoivent et sur ces terres et sous ces cieux qui hébergent la parole des cultures originelles d’Amérique.
Nous saluons les autorités traditionnelles de Vícam et celles des autres peuples de la Tribu Yaqui présentes aujourd’hui.
Nous saluons le Congrès national indigène, la voix et l’oreille qui nous a appelés à nous réunir.
Nous saluons les femmes et les hommes du Sonora, du Mexique, d’Amérique et du monde qui nous aident, nous soutiennent et nous accompagnent.
Cette Première Rencontre des peuples indiens d’Amérique arrive alors que tout semble ligué contre elle : les distances à parcourir, les langues, les frontières, les gouvernements, les mensonges, les persécutions et les morts, sans compter les fausses divisions que l’en haut nous impose.
Et, comme dans les songes qui nous habitent dans cette garde que l’on nous impose d’en haut, la veille de ce jour semblait impossible il y a quelques heures, quelques jours ou quelques mois, il y a cinq cent quinze ans.
Aujourd’hui nous accompagnent des délégations et représentants de peuples, de nations et de tribus qui font vivre l’Amérique entière, de l’Alaska à la Patagonie.
De toutes sortes d’endroits nous arrivent l’écoute et la parole.
Nous entendrons tantôt leur chant, tantôt leur silence.
Nous verrons tantôt leur couleur, tantôt leur souvenir.
C’est pourquoi nous tenons à saluer tous ceux qui sont bien là comme tous ceux qui sont là sans être présents.
Avec nos mémoires nous les saluons, avec l’histoire et nos histoires.
À l’autre extrémité de ces terres mexicaines, dans les montagnes du Sud-Est mexicain, une légende raconte que, quand la Lune n’est qu’une ombre tout juste griffée par une courbe de lumière, une question se forme dans l’espace que créèrent les dieux premiers, ceux qui mirent bas le monde, pour que la peau se hérisse sous la caresse qui soulage en fatiguant.
Et la légende raconte que cette question est répétée par le drap nocturne qui survole les peuples indiens de l’ensemble du continent, tandis que la nouvelle lune traverse nos cieux.
La même interrogation s’inscrit dans le ciel du nord de l’Amérique, en terre HAUDENOSAUNEE, qui abrite les nations Mohawk, Oneida, Cayuga, Onondaga, Seneca et Tuscarora, sur le TSONERATASEKOWA, le Grand Arbre aux feuilles toujours vivaces ; elle traverse la terre des Wayúu et s’étire jusque dans le ciel des Mapuche, à l’extrême sud de notre continent.
À chaque nouvelle lune, une ancienne question :
Y aura-t-il une vie pour la terre, la première parmi les mères ?
Et les plus anciens parmi nos anciens, les gardiens de la mémoire, rapportent que la réponse à cette question n’a pas été donnée en même temps que les dieux premiers parmi les premiers ont créé le monde.
Ils rapportent que cette réponse a été laissée en suspens par les Créateurs et les Créatrices, comme pièce primordiale de cette énigme à résoudre qu’est le monde.
Les anciens racontent que c’est dans le toit de la terre qu’ils et elles l’ont laissée et qu’ils et elles l’ont faite de telle sorte qu’elle y apparaisse régulièrement, pour que la mémoire ne se perde pas.
Ensuite vint l’argent en maître commander à la mort sur ces terres.
Il apporta la destruction et lui donna le nom de « modernité ».
Il apporta la destruction et lui donna le nom de « civilisation ».
Il apporta l’arbitraire et lui donna le nom de « démocratie ».
Il apporta l’oubli et lui donna le nom de « mode ».
Car en effet, racontent nos sages, cette question n’apparaît nulle part dans les coupoles de l’argent à Wall Street, dans les tours de verre des grands trusts, dans les bunkers de ces mauvais gouvernements qui font souffrir sur toute l’étendue de notre continent.
Et ils racontent que c’est pour cela que seuls les peuples premiers peuvent lire dans le ciel cette question et d’autres que le commencement du monde, les premiers pas de la terre, nous a laissées.
Depuis ce temps-là, racontent les plus anciens parmi nos anciens, de nombreuses réponses ont été tentées, qui se sont faites chant, danse, langue, tissus et peaux de couleur, parole, histoire, culture, mémoire.
Celui d’en haut, le Grand Maître, l’argent, n’a qu’une seule et même réponse à donner, solide comme son compte en banque, abondant comme sa cupidité, croissante comme son ambition.
« Non ! répond l’argent, il n’y aura aucune vie pour la terre. »
« Il y aura le business », dit-il, pour ne pas avoir à dire « il y aura la mort ».
En revanche, au sein de nos peuples, nations et tribus originelles, la réponse à cette question est entrecoupée, brisée en beaucoup de morceaux, disséminées au long des calendriers et de la géographie, perdue à l’intérieur des frontières que la mort érige et gouverne.
Il y a cinq cent quinze ans, les dominateurs nous ont découverts, parfois affrontés les uns aux autres, parfois divisés, mais fragmentés toujours.
Ils ont alors conquis le sang brisé que la terre unissait pourtant.
Cinq cent quinze ans durant lesquels nos peuples, nations et tribus ont cherché à résister, survivre, lutter.
Nous allons entendre aujourd’hui l’histoire multiple de cette souffrance et de cette dignité rebelle.
Nous laisserons parler l’écoute et la parole pour savoir ce que nous sommes et où nous en sommes.
On nommera la souffrance de notre sang et un nom sera donné au responsable de cette souffrance : l’argent.
On nommera notre expérience et notre sagesse et un nom sera donné à nos peuples.
On nommera nos demandes : la justice que nous exigeons, la démocratie dont nous avons besoin, la liberté que nous méritons posséder.
On nommera ce qui nous appartient et qui nous a été et continue d’être enlevé.
Nous écouterons notre cœur et celui des nôtres.
Ainsi apprendrons-nous peut-être que la réponse qu’attend la terre, la première parmi les mères, ce « oui » à la vie qu’elle réclame, ne commencera à se dessiner dans les cieux qui sont nôtres que quand cette réponse sera collective, quand ce continent aura retrouvé sa voix qui est aujourd’hui rendue muette par le feu, par l’oubli et par le bruit.
La voix première parmi les premières, la voix originelle, la nôtre.
Alors, qui sait, à l’instar de cette lune nouvelle qui entame aujourd’hui son passage de l’ombre à la lumière, chez nos petites filles et chez nos petits garçons surgira cette réponse qui sera vie dans leur chemin, à chacun de leur pas, en leur compagnie.
Pour que cela soit, peut-être faudra-t-il regarder en arrière et très loin, c’est ainsi que les nôtres appellent la mémoire ; sans doute faudra-t-il être dignes, ici et maintenant, c’est ainsi que les nôtres appellent la rébellion, et sans doute faudra-t-il marcher et parcourir des mondes qui n’existent pas encore mais qui attendent la main qui leur donne forme, la bouche qui les chante, le pas qui les parcoure, c’est ainsi que les nôtres appellent la lutte.
Sœurs et frères,
Nous avons décidé que pour une telle occasion notre propre histoire en tant que zapatistes devait rester muette. Nous savons que nos souffrances seront nommées quand le seront les souffrances de nos autres sœurs et de nos autres frères indigènes, comme le seront également nos rêves et nos espoirs, ainsi que les luttes qui conduiront à en faire une réalité.
Aujourd’hui, comme en d’autres occasions, il nous incombe d’être un pont qui permette aux voix des uns et des autres de passer d’un côté à l’autre, pour qu’elles bénéficient d’une oreille généreuse, pour que leurs couleurs soient vues et leurs mémoires montrées.
Ainsi ont parlé les femmes et les hommes qui sont nos chefs, les gardiens :
Que l’autre, homme et femme, parle et que notre cœur écoute.
Que l’autre, homme et femme, enseigne et que notre cœur apprenne.
Que notre silence soit salut, hommage, respect et gratitude adressé à tous ceux et à toutes celles qui, du Canada au Chili, nous rappelle que nous n’avons pas été vaincus, que la lutte continue et que la victoire, nous la vivrons dans un autre monde, un monde où aient leur place tous les mondes que nous sommes et que nous serons.
Qu’il en soit ainsi.
Merci beaucoup.
De Vícam, État de Sonora, Mexique, continent américain, planète Terre, système solaire.
Au nom des hommes et des femmes, des enfants et des anciens indigènes zapatistes.
Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, octobre 2007.
Traduit par Ángel Caído.