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Les zapatistes et La Otra : les piétons de l’histoire (II)

Les chemins suivis par La Otra

mercredi 20 septembre 2006, par SCI Marcos

Deuxième partie
Les chemins suivis par La Otra

En août 2003 sont fondés les Caracoles zapatistes et, avec eux, les Conseils de bon gouvernement.

Un pas supplémentaire a donc été franchi vers une séparation entre l’appareil politico-militaire de l’EZLN et l’organisation civile des communautés zapatistes. Parallèlement, nous avons opéré une restructuration du commandement au sein de notre état-major et nous avons réglé les derniers détails de la défense et de la résistance pour faire face à une éventuelle attaque de l’armée fédérale. Les premiers préparatifs à la Sixième Déclaration et à ce qui allait être L’Autre Campagne s’effectuaient...

1. Tou(te)s seul(e)s ?

Au cours du second semestre de 2004, l’EZLN publiait en plusieurs chapitres les bases de sa position critique envers la classe politique mexicaine et émettaient des « signaux » laissant deviner la direction que prendrait toute cette affaire. Dès le début 2005, les prémices sur lesquelles s’appuierait la Sixième Déclaration étaient posées.

La compétition électorale, en avance sur l’échéance des élections présidentielles, avait démarré depuis un bon moment. L’EZLN avait le choix entre trois chemins différents : rejoindre la « marée » lopézobradoriste en ignorant les indices et les données en notre possession quant à ses véritables objectifs (autrement dit, en faisant preuve, quant à nous, d’inconséquence), conserver le silence et attendre de voir ce qu’allait donner la campagne électorale ou lancer le projet que nous nous préparions à lancer.

Ce n’est pas au commandement zapatiste qu’il appartenait de décider, mais aux communautés. Nous avons donc commencé les préparatifs de ce qui allait être, plus tard, l’alerte rouge, la consultation à l’intérieur des communautés et, en fonction des résultats de cette consultation, la Sixième Déclaration.

C’est le texte intitulé « La géométrie (impossible ?) du Pouvoir » qui constituerait le prélude immédiat de la Sexta. Ensuite est venue l’alerte rouge, que certains observateurs interprétèrent comme l’annonce d’une offensive zapatiste ou une sorte de « réponse » aux incessantes patrouilles de l’armée. Ce n’était ni l’une ni l’autre, mais uniquement une précaution face à une éventuelle intervention militaire ennemie... encouragée par les attaques médiatiques d’une intelligentsia progressiste. Celle-ci, déçue de constater que nous ne nous joignions pas à ses louanges d’AMLO - et aussi parce que nous gardions le silence - nous attaquait désormais sans plus aucuns scrupules.

La Sexta est donc consultée auprès des communautés zapatistes, qui décident et disent : « Nous sommes disposés [à emprunter ce chemin], même si nous devons nous retrouver tout seuls. » À savoir, à parcourir le Mexique tout(e)s seul(e)s, à écouter les gens d’en bas, à élaborer avec ces gens un Programme national de lutte en vue de transformer notre patrie et de créer un nouveau pacte social, une nouvelle Constitution. Pendant trois ans, en effet, nous nous étions préparés à cela : à nous retrouver tout(e)s seul(e)s.

Mais finalement, ce n’est pas ce qui s’est passé.

Rapidement, des adhésions à la Sixième Déclaration ont commencé à arriver. De partout au Mexique sont parvenus des messages qui montraient clairement que la Sexta n’avait pas seulement été comprise et acceptée, mais aussi que beaucoup de gens y adhéraient, la faisant leur. Jour après jour, la Sexta grandit et prit des proportions nationales.

2. Les premiers pas... et premières frictions

Comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs, nous avions envisagé un processus lent. Notre idée était d’appeler à une série de rencontres préparatoires pour que ceux et celles qui avaient embrassé cette cause et adopté cette voie fassent connaissance. Ces rencontres devaient d’emblée être différentes de celles qui avaient déjà eu lieu en d’autres occasions. Cette fois, en effet, ce sont les oreilles zapatistes qui devaient jouer un rôle primordial.

Nous avons entamé cette série de rencontres par une réunion des organisations politiques, dans le but de leur préciser la place que nous leur accordions. Ensuite, ce fut le tour des communautés et organisations indigènes, pour bien signaler que nous n’allions pas abandonner notre combat mais l’englober dans une lutte plus grande. Puis celui des organisations sociales, pour reconnaître l’importance d’un terrain sur lequel avaient construit leur expérience d’autres que nous. Plus tard, celui des ONG, des groupes et collectifs de divers horizons qui nous avaient accompagnés, et celui des familles et individus, pour signifier qu’à nos yeux tout le monde, tous et toutes, comptait, quelle que soit leur taille ou leur nombre. Enfin, ce fut le tour des Zotres, pour marquer le fait que notre vision de l’extérieur pouvait être limitée (comme c’est effectivement le cas).

En juillet, en août et en septembre 2005, les « Réunions préparatoires » ont donc eu lieu. Nous y avons montré que nous tenions parole, écoutant attentivement et dans le respect TOUT ce qui s’y est dit, y compris les reproches, les critiques, les menaces... et les mensonges (bien que nous ne sachions pas, à ce moment-là, que c’était des mensonges).

Il y a un an, le 16 septembre 2005, en présence de la commandante Ramona, aujourd’hui décédée, la direction de l’EZLN livrait formellement « L’Autre Campagne », comme on l’a appelée, aux mains de l’ensemble des adhérents et adhérentes. L’EZLN informait également de ce qu’elle participerait à ce mouvement, non seulement avec la participation des communautés zapatistes, mais aussi avec une délégation de sa direction, la « Commission Sexta », et annonçait la « sortie » du premier explorateur, le délégué numéro zéro (pour indiquer que d’autres délégué(e)s suivraient par la suite), délégué dont la mission était de rencontrer et d’écouter dans tout le Mexique tous les compañeros et toutes les compañeras qui n’avaient pas pu assister aux réunions préparatoires et d’explorer les conditions dans lesquelles les travaux permanents de la Commission Sexta se dérouleraient.

Au cours de cette première session plénière, l’EZLN proposa que l’on réalise un des objectifs de la Sexta, qui consistait à construire une autre manière de faire la politique, et que l’on tienne compte de la parole de tous et de toutes, qu’ils ou elles aient participé ou non aux réunions antérieures.

C’est aussi lors de cette plénière qu’eurent lieu les premières tentatives de certaines organisations pour incorporer l’Autre Campagne à la liste des signataires de la « Promotora », du « Frentote » et dudit « Dialogue national ». Devant de telles tentatives, l’EZLN proposa que rien ne soit décidé à ce stade, que l’on argumente et que l’on discute, mais que l’on ne prenne aucune décision SANS LA PARTICIPATION DE TOU(TE)S LES ADHÉRENT(E)S. Ceux qui avaient misé sur le fait que l’on décide dans des assemblées en l’absence de la grande majorité des adhérent(e)s ont éprouvé en cette occasion leur première déconvenue et ont dû constater que les participants à la plénière voulaient que les fameux « 6 points » soient discutés par tous et par toutes dans l’ensemble du pays. Par la suite, lors de réunions ultérieures, l’EZLN prit peu à peu ses distances avec les organisations en question, étant donné leur tentative de manipulation.

Les dirigeants de ce petit nombre d’organisations, de groupes et de collectifs n’ont pas été honnêtes. Comme on allait le voir par la suite, ils avaient cherché à se joindre à ce mouvement pour en prendre la tête, pour le saborder... ou pour négocier une meilleure position sur le « marché » qu’était en train de devenir le mouvement qui soutenait AMLO. Ils étaient tellement persuadés que López Obrador serait président - enfin, officiellement président - qu’ils avaient l’impression de perdre le coche (du budget) et de ne pas avoir pris leur billet à temps. La Otra était ainsi la marchandise qu’ils escomptaient échanger contre des prébendes, des candidatures et des postes.

3. Les premiers accrocs

Dans la plénière mentionnée, on put aussi constater qu’existait un réel déséquilibre. Les groupes et collectifs (pour qui les assemblées sont un milieu naturel où ils sont à l’aise pour discuter et prendre des décisions) bénéficiaient d’un net avantage sur les organisations politiques et sociales, sur les familles et les individu(e)s... et sur les peuples indiens.

Ici, nous devons faire remarquer que la plus grande partie des adhérents à la Sixième Déclaration est constituée d’indigènes (sans même compter les zapatistes). Si cette réalité n’apparaît pas reflétée dans les manifestations et dans les réunions, c’est dû au fait que les peuples indiens ont d’autres espaces de participation, et de lutte, moins « visibles ». Qu’il suffise de dire à ce stade que si on réunissait tou(te)s les adhérent(e)s le même jour au même endroit, il y aurait (au minimum) 10 indigènes pour chaque personne appartenant à des organisations politiques ou sociales, à des ONG, à des collectifs, à une famille ou à titre individuel. Si seulement c’était possible ! Les peuples indiens auraient ainsi l’occasion de montrer à tous et à toutes que nous n’employons pas le « je » mais le « nous » pour nous nommer et pour être ce que nous sommes.

Nous avons remarqué cela et aussi d’autres choses (par exemple, qu’il n’y avait ni mécanisme de prise de décision ni place réelle pour le débat et que les groupes et collectifs cherchaient à imposer leur point de vue aux organisations politiques et sociales, et vice-versa), mais sans nous inquiéter. Nous pensions qu’il fallait d’abord nous rencontrer tous et toutes et qu’ensuite seulement, entre tous et toutes, nous définirions un profil, encore incomplet de La Otra.

4. Les délais

De notre point de vue, lancer La Otra et « sortir » entamer la première tournée prévue en pleine période électorale présentait plusieurs avantages. L’un d’eux, attendu notre posture anti-classe politique, était que nous n’aurions aucun « attrait », sur les kiosques et dans nos réunions, pour quiconque se trouvait, et se trouve, sur la piste du cirque électoral. Aller à contre-courant des « bien pensants » démasquerait ceux et celles qui s’étaient rapprochés auparavant de l’EZLN uniquement pour être sur la photo et les inciterait à nous éviter et à se démarquer (dans leurs livres, dans leurs déclarations... et dans des candidatures) du néozapatisme.

Un autre tout aussi important était que, comme nous partions écouter ceux et celles d’en bas, la parole des autres luttes deviendrait visible, au même titre que leur histoire et leur trajectoire. « Se montrer » au sein de La Otra serait donc également « se montrer » comme cible à une répression de la part des caciques, du gouvernement, des industriels et des partis. À notre sens, être en période électorale élèverait le « coût » d’une action répressive et rendrait moins vulnérables les luttes et les petites organisations. Un autre avantage était que, absorbés comme ils l’étaient là-haut par la campagne électorale, ils nous laisseraient tranquilles pour mener notre projet et le néozapatisme ne serait plus une mode en prêt-à-porter.

Alors, nous avions envisagé les étapes suivantes :

- 6 mois de tournée d’exploration et de rencontre dans l’ensemble du pays, de janvier à juin 2006. Après quoi, compte-rendu à La Otra : « voilà ce que nous sommes, où nous en sommes et quelle est notre histoire ». Puis laisser passer les élections et préparer l’étape suivante ;

- Ensuite, une nouvelle étape d’approfondissement de la rencontre et de création des moyens de communication et de soutien (le réseau) entre les adhérent(e)s pour pouvoir touts et toutes nous soutenir et nous défendre (avec l’entrée dans la danse d’autres délégué(e)s de la Commission Sexta (septembre 2006 à fin 2007), avec des interruptions pour informer les communautés et les adhérent(e)s et effectuer la relève des délégué(e)s ;

- Plus tard encore, exposition, débat et définition du profil de La Otra en fonction des vœux de tou(te)s les adhérent(e)s pour créer son propre visage et sa propre voix, façonnés par tous et par toutes. Et alors, là, oui, s’atteler à l’élaboration d’un Programme national de lutte, de gauche et anticapitaliste, avec et pour ceux et celles d’en bas.

Rappelons que selon l’analyse que nous en faisions, cette année-là la « baudruche lopézobradoriste » se serait dégonflée d’elle-même. Au même moment, notre patrie ne se retrouverait pas avec pour tout avenir devant elle la déception, le découragement et le désespoir, mais qu’il y aurait « autre chose »...

5. Le chemin vers Atenco : être des compañeros ?

Notre tournée a commencé et... il est arrivé ce qui est arrivé. La douleur que nous avions pensé trouver est de loin incomparable avec celle que nous rencontrions, écoutant et faisant connaissance, sur notre passage. Administrations et gouvernements locaux de tous les partis politiques (y compris ceux qui se disent « de gauche » - PRD, PT et Convergencia) alliés aux caciques, aux grands propriétaires terriens et aux industriels pour spolier, exploiter, mépriser et réprimer les paysans des ejidos, les communautés indigènes, les petits commerçants et les vendeurs ambulants, les travailleurs et les travailleuses du sexe, les ouvriers, les employés, les professeurs, les étudiants, les jeunes, les femmes, les enfants et les anciens ; pour ravager la nature, pour marchandiser l’histoire et la culture ; pour renforcer une pensée unique et agir dans l’intolérance, la discrimination, le machisme, l’homophobie et le racisme. Et rien de tout cela n’apparaissait dans les grands médias.

Cependant, tandis que le Mexique d’en bas que nous rencontrions distillait une douleur indignante, les rébellions organisées qui nous apparaissaient, et qui s’unissaient, montraient (et révélaient) un « autre » pays, un pays en ébullition, en lutte, en pleine construction d’alternatives autonomes.

Tandis qu’au début le circuit entamé par la Commission Sexta fut décrit comme une « boîte de réclamations ambulante » par le regard maladroit de ceux qui ne regardent que vers le haut, il a bien vite pris une autre tournure et la parole de l’autre, de tous et toutes, acquit rapidement des proportions énormes à la mesure du silence organisé par ceux d’en haut qui les avait dissimulées jusque-là. Des récits extraordinaires d’héroïsme, de persistance et de sacrifice pour résister à la destruction propagée par le haut ont pu trouver un écho dans les oreilles attentives des autres adhérent(e)s honnêtes.

C’est ainsi que nous sommes arrivés dans l’État de Mexico et au DF chargés d’un bagage qui comprenait le meilleur de toutes les couleurs qui luttent, en bas. Le calendrier indiquait les 3 et 4 mai 2006 quand la douleur et le sang couvrirent la ville d’Atenco et les compañeras et compañeros de La Otra.

Le FPDT, le Front communal pour la défense de la terre, donnant une véritable leçon de ce que signifie être compañeras et compañeros au sein de l’Autre Campagne, se mobilisa pour soutenir ceux de Texcoco. La municipalité (PRD) fit mine de dialoguer et de négocier, pendant qu’elle appelait la police de cet État (PRI) et la police fédérale (PAN) pour déclencher la répression. Les partis les plus représentatifs, PRD, PRI et PAN, unirent leurs forces pour frapper La Otra. Près de 200 compañeras et compañeros furent agressé(e)s, frappé(e)s, violé(e)s et emprisonné(e)s. Un adolescent mineur, Javier Cortés Santiago, fut assassiné par la police. Notre jeune compañero Alexis Benhumea Hernández, adhérent de La Otra et étudiant à l’UNAM, après une longue agonie, mourut, assassiné lui aussi.

La plus grande partie d’entre nous a réagi et nous avons entrepris des actions de solidarité et de soutien, de dénonciation et de pression. Faisant preuve d’un minimum de décence et de camaraderie, la tournée de la Commission Sexta de l’EZLN s’est interrompue et nous nous sommes consacrés avant toute chose à contrecarrer la campagne de discrédit et de mensonges lancée par les grands médias contre le FPDT (ce qui révulsa certain(e)s compañeras et compañeros des médias alternatifs), puis à des activités pour réunir des fonds pour les prisonniers et les prisonnières d’Atenco ainsi qu’à des manifestations pour exposer la vérité sur les événements.

Contrairement à la majorité des participants à l’Autre Campagne, certaines organisations ne se sont préoccupés et ne se sont mobilisées que tant que leurs militants étaient en prison ou seulement quand les manifestations étaient spectaculaires. Quand leurs compañeros ont été remis en liberté et qu’Atenco « a cessé d’être à la mode », ils ont abandonné le combat pour la libération et la justice pour les autres prisonniers. Ce sont aussi les premières qui allaient se précipiter pour rejoindre le piquet-campement d’AMLO sur le zócalo et sur l’avenue Reforma de Mexico. Ce qu’ils n’ont pas fait pour Atenco, ils l’ont fait pour López Obrador... parce que c’est avec lui qu’étaient « les masses » ! Hum, et puis les projecteurs aussi.

D’autres organisations profitèrent de l’occasion pour tenter habilement d’imposer à l’Autre Campagne une politique d’alliance avec ceux qui lorgnaient, et lorgnent, vers le haut. Sous le prétexte que « nous devons tous et toutes nous unir à la lutte pour les prisonniers et pour les prisonnières », elles cherchèrent (en manipulant des assemblées plénières) à imposer des accords qui liaient La Otra aux calculs électoraux d’organisations jaune criard ou honteux. Qui plus est, leurs membres se consacrèrent à semer la discorde et la division, en prétendant que l’EZLN voulait imposer aux habitants d’Atenco une politique d’alliance sectaire. Ça n’a pas marché.

Il y eut même une organisation dont des compañeras et compañeros ne cessaient de dire que les prisonniers et les prisonnières ne sortiraient pas de sitôt et qu’il n’y avait pas lieu de consacrer tant d’efforts à leur libération, que « quelqu’un » (pas eux ou elles, bien entendu) s’en chargerait, que l’Autre Campagne devait continuer et que la Commission Sexta de l’EZLN avait commis une erreur en interrompant son voyage, que cela avait été une décision « unilatérale » et qu’il valait mieux qu’elle poursuive son chemin... jusqu’aux endroits où ils avaient un travail politique à faire ou qu’ils aimeraient faire.

L’attitude de telles compañeras et de tels compañeros fut cependant dépassée par l’activité solidaire de la majorité des participant(e)s à La Otra. Dans l’ensemble du Mexique, et dans plus de 50 autre pays dans le monde, l’exigence de la libération et de la justice pour les prisonniers et pour les prisonnières d’Atenco brilla de nombreuses couleurs.

6. Indiens vs métis et province vs DF

Alors que l’EZLN avait envisagé pour l’Autre Campagne un processus pausé et long, avec une ou deux plénières par an, au cours des mois de mai et de juin 2006, il y eut jusqu’à 4 plénières, toutes dans le DF, étant donné que c’est là que se concentrèrent la plupart des actions en faveur d’Atenco.

Lors de ces réunions, les « professionnels de l’assemblée » manœuvrèrent pour en faire des organes de décision, en dépit du fait que cela contredisait l’un des buts essentiels de l’Autre Campagne, qui était de tenir compte de l’avis de tout le monde. Convoquées en soutien à Atenco, ces assemblées allaient subir une tentative de manipulation de la part de certaines organisations et de certains groupes et collectifs, principalement dans le DF, pour prendre des décisions et se définir... en fonction de ce qui leur convenait. Une telle logique allait se généraliser.

Certaines des discussions et des décisions étaient, pour ne rien dire d’autre, ridicules. Par exemple, lors d’une de ces plénières, une personne qui effectue un travail culturel qui touche la langue nahuatl proposa que cette langue soit la langue officielle du Mexique et que le manifeste en faveur de cette revendication soit livré à l’EZLN (qui est formée à 99,99 % par des indigènes qui parlent des langues de souche maya). L’assemblée vota oui, par acclamation. De sorte qu’une plénière de La Otra décidait de tenter d’imposer ce que n’avaient réussi à imposer ni les Aztèques, ni les Espagnols, ni les gringos, ni les Français, ni les etc., ni aucun des gouvernements depuis l’époque coloniale : déposséder les communautés zapatistes de leur langue maternelle... qui n’est en aucune façon le nahuatl. Par la suite, au cours d’une autre assemblée, l’estrade voulait soumettre à débat le fait de savoir si les peuples indiens étaient un secteur ou non... sans que les compañeras et compañeros indigènes aient rien demandé. Après 500 ans de résistance et de lutte, et 12 ans après la rébellion armée zapatiste, cette assemblée allait discuter de ce qu’étaient les peuples indiens... sans leur donner la parole !

La répression lancée contre Atenco nous a obligés à répondre de façon organisée comme mouvement, mais aujourd’hui le vide créé par l’absence de principes clairement définis (par exemple le lieu du débat, la forme et la manière de prendre des décisions) nous fait courir le risque de le voir comblé par les propositions et par les « méthodes » de ceux qui ne se distinguent pas seulement du reste des adhérent(e)s par le fait qu’ils peuvent participer aux assemblées, mais aussi par le fait qu’ils sont capables de supporter des heures et des heures d’attente jusqu’à ce qu’arrive le moment opportun (c’est-à-dire quand ils vont gagner) pour voter leur proposition... ou le moment opportun pour saboter le vote avec des « motions » (c’est-à-dire quand ils vont perdre).

Dans une assemblée, ceux qui parlent ont du poids, pas ceux qui font le boulot. Et surtout ceux qui parlent castilla (espagnol). Parce que si on ne parle qu’une langue indigène, les « hispanophones » en profiteront pour aller aux toilettes, pour manger ou pour roupiller. Tous et toutes les zapatistes ont repassé au crible la Sixième Déclaration et nulle part il est dit que pour être adhérent(e) il faille parler espagnol... ou savoir la rhétorique. Cependant, dans les assemblées, la logique de ces organisations, de ces groupes ou collectifs l’a imposé dans la pratique.

Il y a plus. Dans ces assemblées, on votait à main levée. Or il se trouve que, comme elles se tenaient en un lieu géographique (disons le DF), les gens de l’Autre Campagne d’autres régions et d’autres États y envoyaient et y envoient des délégués porteurs de la pensée issus des accords des adhérents de ces autres régions. Au moment de voter, cependant, on n’en tenait pas compte. Pour l’assemblée, le vote d’un délégué d’un État ou d’une région valait la même chose que celui d’une personne membre d’un groupe ou d’un collectif. Il y avait donc des compañeras et des compañeros qui devaient effectuer plusieurs jours de voyage pour assister à l’assemblée et à qui cette assemblée accordait uniquement les mêmes trois minutes de temps de parole qu’à une personne qui était arrivée en métro au lieu de la réunion. Et si un délégué d’un État ou d’une région devait s’en aller parce qu’il avait plusieurs jours de voyage de retour devant lui et ne pouvait pas rester jusqu’à la fin de la réunion (c’est-à-dire le moment où les participants - comme lors de la plénière du 1er juillet - faisaient voter des résolutions exclusivement avec des adhérents du DF - qui s’entassaient tous devant les portes de sortie parce qu’on éteignait déjà les lumières de la salle -), eh bien, rien à faire ! Et si la dernière résolution était un accord pour une prochaine réunion quinze jours plus tard, là-bas au DF, et que le ou la compa était délégué(e) d’une communauté indigène, il n’avait plus qu’à se dépêcher de rentrer dans son village et imposer le rythme de la ville à un peuple indien qui a adhéré à l’Autre Campagne parce qu’il pensait que c’était un lieu où serait respecté sa méthode... et son rythme.

Les actes et les attitudes de ces groupes et de ces collectifs (qui sont minoritaires au sein de La Otra au niveau du DF et à l’échelon national, mais qui font masse comme si c’était le contraire) ont provoqué l’apparition de deux tendances bien visibles au sein de l’Autre Campagne.

- L’une, que des compañeras et compañeros de la province estiment maintenant que tous ceux du DF ont une façon autoritaire (déguisée en « démocratique », « antiautoritaire » et « horizontale ») et prétentieuse de participer, de parler et de prendre un accord. Le résultat, c’est que même si on n’est pas partisan de cette manière de « saborder » les réunions, la majorité des compañeras et des compañeros du DF font l’unanimité contre eux ;

- L’autre, que des compas du Congrès national indigène identifient le mépris et l’indélicatesse de tels groupes à un « comportement » de tous les métis. Car le fait est que s’il y a bien quelqu’un qui sait participer, discuter et prendre des accords dans une assemblée, ce sont les peuples indiens (et il est rare qu’ils en arrivent à voter pour savoir qui va gagner). Le résultat est une nouvelle injustice, parce que l’immense majorité des non-indigènes de l’Autre Campagne respectent les indigènes.

Toutes ces deux tendances sont injustes et erronées. Le problème, pensons-nous, nous, les zapatistes, réside cependant dans le fait que les assemblées prêtent le flanc à de telles erreurs, parce que certains groupes et collectifs et certaines organisations présentent comme émanant de tous et de toutes, ou de la majorité, leurs pratiques sales et malhonnêtes de discuter et de passer des accords.

Eh bien, non ! Quant à nous, nous pensons que les assemblées servent à informer et, en tout cas, à discuter et à accorder des interventions, mais pas à discuter, à passer des accords et à définir.

Nous pensons aussi que c’est une erreur de l’EZLN de ne pas avoir abordé dès le début de l’Autre Campagne la question de la définition des espaces et des mécanismes pour informer, débattre et prendre des décisions. Cependant, constater et faire remarquer notre différence en tant qu’organisation et en tant que mouvement ne résout pas le problème. Ces principes de base continuent de faire défaut. En ce qui les concerne et en ce qui concerne les « 6 points », nous ferons une proposition dans le chapitre final de ces réflexions.

7. Un autre « problème »

Certains groupes et certaines personnes ont critiqué le « rôle de protagoniste » et le prétendu « autoritarisme » du Sup. Nous comprenons parfaitement qu’il y ait des gens pour qui la présence d’un militaire (même s’il est « autre ») dans l’Autre Campagne constitue une offense, attendu que c’est la personnification de la hiérarchie, du centralisme et de l’autorité. Sans parler du fait que ces personnes « négligent » ce que l’EZLN et la lutte qu’elle mène représentent pour des millions de Mexicains et de Mexicaines et de personnes dans le monde entier, nous devons leur répondre que nous n’avons jamais « utilisé » pour notre propre bénéfice l’autorité morale que nos communautés se sont acquise au long de plus de douze ans de guerre. Dans notre participation à La Otra, nous avons défendu loyalement toutes les personnes qui en font partie... même si nous ne sommes pas d’accord avec leurs symboles ou avec leur point de vue.

Avec notre voix, nous avons défendu le marteau et la faucille des communistes, le A sur fond noir des anarchistes et des libertaires, les skinheads, les darketos, les bandas, les raza, les gens en faveur de l’autogestion, les travailleuses et les travailleurs du sexe, les gens qui prônent l’abstention ou qui s’opposent au vote ou que cela n’ait aucune importance de voter ou non, le travail des médias alternatifs, les gens qui usent et abusent de la parole, les intellectuelles et les intellectuels qui participent à La Otra, le travail politique silencieux mais efficace du Congrès national indigène, la camaraderie d’organisations politiques et sociales qui, sans s’en vanter, ont misé TOUT ce qu’elles avaient dans l’Autre Campagne et dans la lutte pour la liberté et pour la justice pour les prisonniers et les prisonnières d’Atenco, le libre exercice de la critique, qu’elle soit grossière et hautaine (comme les reproches faits à des organisations politiques et sociales du DF qui fournissent les lieux, les chaises et la sono pour des assemblées et des réunions de La Otra et qui se voient en retour accusées... de se donner le beau rôle !) ou qu’elle soit, comme bien souvent fraternelle et amicale.

Nous avons aussi été la cible de véritables bêtises, déguisées en « critiques ». Nous n’y avons pas répondu. Du moins, pas encore... Mais nous avons fait la différence entre elles et les critiques honnêtes qui visent à nous signaler nos erreurs et à nous rendre meilleurs.

8. Tendances face à la mobilisation postélectorale d’AMLO

La fraude électorale dont a été victime López Obrador a notamment provoqué une forte mobilisation. Nous dirons quelle est notre position sur cette question plus tard. Pour l’instant, nous nous limiterons à noter certains des différents positionnements qui existent au sein de l’Autre Campagne, d’après ce que nous avons pu en juger :

- Il y a la position malhonnête et opportuniste de quelques-unes, peu nombreuses, des organisations politiques de gauche. Elles affirment que nous nous trouvons à un tournant historique décisif et dans une situation préinsurrectionnelle (ça pète de partout, mon pote, et avec ce qui tombe il faut un parapluie), mais qu’AMLO n’est pas un leader capable de conduire les masses à l’assaut du palais d’Hiver... Du palais du gouvernement, quoi. Mais, fort heureusement, les avant-gardes conscientes sont là pour répondre aux attentes angoissées des masses que rassemble aujourd’hui ce dirigeant du PRD et qui les appellent de leurs vœux les plus chers.

C’est pourquoi elles ont rejoint le piquet-campement et les mobilisations lopèzobradoristes, « afin de faire prendre conscience aux masses », d’« arracher » le mouvement à cette direction « réformiste » et « boiteuse » et de conduire la mobilisation « à un niveau supérieur de lutte ». Dès qu’elles ont pu réunir leurs économies, elles ont déclaré « morte et enterrée » l’Autre Campagne (« Marcos ? Bah ! Un cadavre [politique] »), se sont acheté une tente de camping ou autre et se sont installées sur l’avenue Reforma. De là, elles appelèrent à envoyer des vivres.

Mais non, pas pour tou(te)s les compas qui poursuivent avec héroïsme leur piquet devant Santiaguito en soutien aux prisonniers et aux prisonnières d’Atenco. Non, pour le piquet lopézobradoriste.

Là, ces organisations organisent des conférences et des tables rondes, distribuent des tracts et des journaux « révolutionnaires » truffés de « profondes » analyses sur la conjoncture, sur le rapport de forces et sur l’apparition de fronts de masse, de coalitions populaires... et de nouvelles coordinations et dialogue nationaux ! Ouais ! Hourra !

Et alors, elles ont patiemment attendu sur place que les masses se rendent compte de leur erreur (de l’erreur des masses, bien entendu) et acclament leur clarté et leur détermination (celles de ces organisations, bien sûr) ou que López Obrador ou Manuel Camacho ou Ricardo Monreal ou Arturo Núñez accourent leur demander conseil, orientation, soutien, di-rec-tion... Mais en vain.

Après quoi, elles participèrent impatiemment à la Convention nationale démocratique pour y acclamer AMLO et le proclamer président légitime.

Au même endroit, elles acceptèrent sans rechigner la direction et le contrôle politique de Dante Delgado, de Federico Arreola, d’Ignacio Marván, d’Arturo Núñez, de Layda Sansores, de Ricardo Monreal et de Socorro Díaz, entre autres « éminents » « révolutionnaires » (si vous en trouvez un qui n’a pas été du PRI, je vous tire mon chapeau). Autrement dit, ils applaudirent aux piliers de la « nouvelle » République mexicaine, la « nouvelle » génération du futur « nouveau » parti politique. (Zut ! Je m’avance peut-être ?)

Les masses sont rentrées chez elles, ont repris leur travail et leurs luttes, mais ces organisations sauront attendre le bon moment... Et arracheront à López Obrador la direction du mouvement ! (Foutre !)

À tout bien, tout honneur : n’est-ce pas touchant de leur part ?

- Au sein de l’Autre Campagne, il y aussi une tendance de gens honnêtes qui se soucient sincèrement de « l’isolement » que pourrait entraîner le fait de ne pas avoir rejoint le mouvement de soutien à AMLO. Ils s’imaginent qu’il est possible de soutenir cette mobilisation sans que cela signifie soutenir López Obrador. Elles et eux considèrent qu’il y a là des gens d’en bas et qu’il faut se rapprocher du mouvement parce que le nôtre, de mouvement, est avec et pour les gens d’en bas, et parce que si nous ne le faisons pas le prix à payer en termes politiques sera très élevé.

9. La Otra qui existe réellement

Enfin, il y a la tendance qui est majoritaire, d’après ce que nous avons pu voir et entendre, au sein de l’Autre Campagne. Sa position (qui est aussi la nôtre en tant que zapatistes) soutient que les mobilisations lopézobradoristes ne correspond pas au chemin que nous suivons et qu’il faut continuer de regarder vers le bas et que La Otra continue de grandir, sans chercher quelqu’un à diriger et à commander et sans soupirer après quelqu’un qui vienne nous commander et nous diriger.

Cette tendance soutient fermement que les considérations n’ont pas changé qui sustentent la Sixième Déclaration : à savoir, créer et faire prospérer un mouvement d’en bas, anticapitaliste et de gauche.

Car en dehors de ces quelques problèmes que nous avons remarqués et signalés, en effet, problèmes qui existent mais se limitent à certain(e)s compas distribués en plusieurs endroits du pays (pas seulement au DF, donc) et à quelques organisations (qui n’ont jamais été et ne seront jamais ailleurs que là où il y a des masses, à attendre une avant-garde, nous le voyons et le comprenons bien maintenant), l’Autre Campagne fait son chemin dans l’ensemble du Mexique et n’abandonne ni ses objectifs ni son destin.

C’est La Otra des prisonnières et des prisonniers d’Atenco, celle d’Ignacio del Valle, de Magdalena García, de Mariana Selvas et de tous les noms et les visages d’une telle injustice.

C’est La Otra de toutes les prisonnières et de tous les prisonniers politiques du Chiapas, d’Oaxaca, de Puebla, du Guanajuato, du Guerrero, de l’Hidalgo, du Jalisco, du Tabasco, de l’État de Mexico et de l’ensemble du pays. La Otra de Gloria Arenas et de Jacobo Silva Nogales.

C’est La Otra du Congrès national indigène (région Centre-Pacifique) dont les contacts s’étendent à la péninsule du Yucatán et à la Basse-Californie, ainsi qu’au Nord-Est, et qui continue de grandir.

C’est La Otra qui fleurit au Chiapas sans perdre ni identité ni racines, qui parvient à organiser et à coordonner des zones et des luttes qui étaient toujours restées séparées et qui avance dans son explication et dans sa définition de l’Autre lutte de la dimension de genre.

C’est La Otra qui, dans des groupes et dans des collectifs culturels et d’information, continuent d’exiger la libération et la justice pour Atenco, qui renforce les réseaux qu’elle a créés, qui émet une Autre musique pour d’Autres oreilles et qui danse avec d’Autres pieds.

C’est La Otra qui, dans le piquet de Santiaguito, résiste et devient un phare et un message pour nos compañeras prisonnières et pour nos compañeros prisonniers : « Nous ne les oublions pas, nous les sortirons de là. »

C’est La Otra qui, dans des organisations politiques de gauches et dans des organisations sociales, renforce ses liens et ses engagements avec une nouvelle façon de faire la politique.

C’est La Otra qui, dans les États du nord du Mexique, et de l’autre côté du Río Bravo, ne s’est pas contenté d’attendre la Commission Sexta et poursuit ses travaux.

C’est La Otra qui, dans l’Aguascalientes, au Campeche, au Colima, dans le District fédéral, au Guerrero, dans la Huasteca du Potosí, dans l’Hidalgo, au Jalisco, au Morelos, au Nayarit, à Puebla, au Querétaro, au Quintana Roo, dans l’État de Mexico, au Michoacán, au Tabasco, au Tlaxcala, au Veracruz et au Yucatán, apprend à dire « nous » en luttant.

C’est La Otra qui, dans l’Oaxaca, en bas et sans vedettariat, fait grandir le mouvement qui étonne aujourd’hui le Mexique.

C’est La Otra de tou(te)s les jeunes, des femmes, des enfants, des ancien(ne)s, des homosexuels et des lesbiennes.

C’est La Otra du peuple d’Atenco.

C’est La Otra, de ce qui ce fait de mieux sous les cieux mexicains.

(À suivre...)

Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général
de l’Armée zapatiste de libération nationale.
Commission Sexta de l’EZLN.
Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, septembre 2006.

Traduction : Ángel Caído.

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