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La géométrie (?) – impossible – du Pouvoir au Mexique

samedi 18 juin 2005, par SCI Marcos

Ou est-ce la géographie ? Non, la géographie concerne le Nord, le Sud, le Levant et le Couchant. Ou alors la géologie ? Non, elle, elle traite des pierres (comme ce truc qui dit : « Quel joli petit caillou sur lequel trébucher ! »). La géométrie, c’est affaire de surface, de volume, de longueur, de largeur et de « honni(e) soit qui mal y pense ». Hum ! Ça y est, me revoilà à jouer sur les mots. C’est sans doute parce que beaucoup sont ceux et celles qui ne vont pas aimer ce que nous allons dire. Nous allons en effet nous référer à la prétendue différence entre la droite, le centre et la gauche, en politique faite « d’en haut ». Immédiatement, bien sûr, ça se complique : extrême droite, droite modérée, droite « confessionnelle », gauche « fidèle aux institutions », extrême gauche ou gauche radicale, gauche modérée, centre, centre-gauche, centre-droite, centre-centre, défense centrale et avant-centre. Mais, là-haut, tous prétendent être l’un ou l’autre, selon le bon vouloir du nouveau diktat, c’est-à-dire du « taux d’audience ». De sorte que certains sont un jour à un endroit et aussi bien le jour suivant à l’opposé. Ça fait même tourner la tête de les voir sautiller d’un côté et de l’autre. Alors, une petite pause. Ou une géométrie impossible.

Pour tenter de comprendre une telle géométrie, il faut à notre avis tenir compte du fait que le capitalisme a engagé, dans cette phase de mondialisation néolibérale, une véritable guerre mondiale, partout et sous toutes ses formes. Cette guerre ne se contente pas de détruire, entre autres, les rapports sociaux. Elle tente également de les restructurer selon la logique des vainqueurs. C’est dans les décombres produits par cette guerre de reconquête que gisent les bases matérielles et économiques de l’État-nation traditionnel. Mais il n’y a pas que lui. Les instruments et les formes de domination traditionnels (les rapports dominant-dominé et les rapports dominés-dominés), eux aussi, ont été détruits ou sérieusement endommagés. Semblable destruction affecte donc également la classe politique traditionnelle et sa composition, ses rapports internes, ses rapports avec le reste de la société (et pas uniquement avec les dominants) et ses rapports avec les classes politiques d’autres pays (ce que l’on appelle les relations internationales). De sorte que la guerre néolibérale a transfiguré la politique traditionnelle et la fait marcher au rythme des spots publicitaires. Or la destruction causée par la bombe néolibérale dans la politique mexicaine a été si effective que, également selon notre modeste point de vue, là dans la sphère de tout en haut, il n’y a rien à faire. Ou alors si, des programmes comiques. Là haut, en effet, il est censé par exemple exister un centre, une gauche et une droite ; mais en période électorale, tout le monde vient s’entasser au centre. Tout se passe comme si la géométrie rétrécissait et que tous s’entassent au centre en hurlant : « J’EXISTE ! »

« J’existe ! », dit le PAN, le Parti d’action nationale.

Le PAN. Le parti de la nostalgie pour la lutte démocratique, pour Gómez Morín et « l’humanisme politique ». De la nostalgie pour l’Opus Dei, pour l’ACIM et Canoa. De la nostalgie pour la guerre des Cristeros, le Saint Suaire et la colline du Cubilete. De la nostalgie pour la bonne conscience, les bonnes manières, les gens comme il faut. De la nostalgie pour le triomphe de la culture et la rubrique Société dans les journaux (quand elle était distincte de la rubrique policière). De la nostalgie pour Maximilien, Charlotte, Elton John et l’époque où le Mexique était un empire. De la nostalgie pour l’aspirine dominicale administrée par le pédéraste de service, pour le ring side lors de la visite du (ou au) pape et pour les retraites spirituelles du « sauvons le monde du méchant diable communiste, soyons les soldats de Dieu ! ». De la nostalgie pour les soirées de bridge, le thé-canasta, les chevaliers de Colomb. De la nostalgie pour l’autodafé des bulletins de vote de 1988 et la cohabitation avec le PRI. De la nostalgie pour un ordre du jour où ne figureraient pas les zapatistes. De la nostalgie pour « La patrie, chef, c’est l’histoire recluse dans un couvent ! ».

À l’instar du gouvernement fédéral actuel, le PAN est aujourd’hui dirigé par l’organisation d’extrême droite El Yunque. Le PAN historique et toute sa nostalgie pour les familles bien au chaud sous leurs couvre-lits douillets gît sous le poids de cette « Enclume ». Et c’est cette même organisation (qui l’eût cru ?) qui essaie de nous convaincre que le PAN est aujourd’hui une organisation politique du centre. Aussi nous présente-t-elle comme éventuels candidats à la présidence une constellation de médiocres, où se distingue, honneur à qui de droit, le triste « croupier » Santiago Creel Miranda — qui fut, si je ne m’abuse, ministre de l’Intérieur dans la période Fox-Sahagún et que l’on peut trouver maintenant pleurnichant dans les bras de la « Coyote » Fernández de Cevallos. Une liste de précandidat où la seule qui ait quelques possibilités réelles n’apparaît pas... Pour l’instant. Elle préfère tirer les ficelles que le Yunque lui fournit pour se mettre sur les rangs. D’abord, pour décrocher un poste qui lui confère l’impunité — impunité promise par AMLO sans que personne ne lui ait rien demandé ; enfin, en tout cas, pas publiquement —, et, ensuite, quand la baudruche Creel aura fini de se dégonfler, pour céder aux clameurs issues des catacombes de la droite l’implorant, la suppliant, lui demandant, exigeant qu’elle soit candidate à la présidence du Mexique. Candidate du centre, bien entendu.

« J’existe ! », dit le PRI, le Parti révolutionnaire institutionnel.

Le PRI, le parti du « développement stabilisateur ». L’inventeur du système de parti d’État, disséqué à l’époque par les analyses de José Revueltas, Adolfo Gilly, Daniel Cosío Villegas et Pablo González Casanova. Le parti de « Mister Amigou ». Le parti de la répression des médecins, des cheminots et des électriciens. Le parti du massacre du 2 octobre 1968 et de celui du 10 juin 1971. De la « guerre sale » des années 1970 et des années 1980. Le parti des dévaluations et des fraudes électorales. Le parti de l’affaire des ratones locos, de celle des casillas zapato, de l’Opération Tamal et de la démocratie parlementaire réduite à la consigne « casque et matraque, sandwich et boisson fraîche ». Le parti du vol, du pillage, de la fraude et de l’assassinat d’ouvriers, de paysans, d’étudiants, de professeurs et d’employés. Le parti de Fidel Velásquez, Rodríguez Alcaine, Jonguitud, Elba Esther Gordillo. Le parti de la colline del Perro. Le parti d’Absalón Castellanos. Le parti de la fraude électorale de 1988 et du clan Salinas de Gortari. Le parti de l’amendement à l’article 27 de la Constitution et de l’entrée frustrée du Mexique dans le premier monde. Le parti du massacre au marché d’Ocosingo. Le parti du laissé-pour-compte Aburto et de Colosio, plus abandonné encore. Le parti de la trahison de février 1995. Le parti de la TVA. Le parti d’Acteal, d’El Charco et d’Aguas Blancas. Le parti du début du cauchemar à Ciudad Juárez. Le parti du « Je signe un accord et je ne le respecte pas » et celui du « J’apporte pas le fric ». Le parti de l’arrêt brutal mis à la grève des étudiants de l’UNAM, en 1999. Le parti de l’histoire comme propagande électorale et des politiques néolibérales forcées qui ont emporté les fondations du Mexique. Le parti de la privatisation des services publics et para-étatiques. Le parti du vote pour l’exclusion parlementaire et celui du crime organisé en parti politique. Le parti de « La patrie, chef, c’est une putain maquée par le plus malin : autrement dit, par moi ! ».

Il n’y a pas grand-chose à ajouter en ce qui concerne le PRI et ses méfaits. Issu de la révolution mexicaine de 1910, le PRI est à ce jour le parti qui a le plus de possibilités de provoquer une révolution dans l’ensemble du pays. Le PRI n’est pas lié au crime organisé, non, il fait directement partie intégrante des cartels de la drogue, des enlèvements, de la prostitution et de la traite des êtres humains. Le cynisme avec lequel ses dirigeants méprisent la mémoire les conduit à parler et à agir comme si cela ne faisait pas soixante-dix ans qu’ils abusent du pouvoir et se remplissent les poches à chaque mandat. Les précampagnes et campagnes électorales du PRI constituent actuellement le meilleur véhicule pouvant provoquer l’indignation générale... Et la révolte des Mexicains.

Vous en voulez des exemples ? Enrique Jackson finance sa campagne avec l’argent du crime organisé, à savoir, celui issu du narcotrafic, de la prostitution et du rapt. L’argent servant à la publicité télévisée, il le tire des rançons versées pour récupérer les membres des familles aisées à qui il se permet de promettre le retour à « l’ordre » en prime time. À ses côtés, Roberto Madrazo, un gangster sans scrupules, est passé de la planification de l’élimination de ses adversaires à la planification de sa propre sécurité pour ne pas être assassiné, lui (même si en s’entourant du chaud lapin Albores, dit « Croquetas », il n’assure pas vraiment sa protection). Pendant ce temps-là, Montiel, Yarrington et Martínez, de leur côté, donnent leurs listes à leurs tueurs à gages, tandis que la Paredes soupire, c’est-à-dire qu’elle reste à l’affût. Dans la pure tradition priiste, la candidature à la présidence se décidera dans les égouts du pouvoir politique (autrement dit, c’est Elba Esther qui décidera). La vague de violence criminelle qui ravage notre pays est plus qu’une simple lutte entre différents cartels pour la candidature présidentielle du PRI. Les perdants et leurs chefs priistes atterriront, non pas en prison, mais au PRD ! Et le candidat qui restera en lice nous assurera qu’il est « du centre ».

« J’existe ! », dit le PRD, le Parti de la révolution démocratique.

Le PRD, le parti des « erreurs tactiques ». L’erreur tactique qui consiste à fomenter, avec ses pactes électoraux, le négoce de familles déguisées en partis. L’erreur tactique de s’être allié avec le PAN, dans certains États, et avec le PRI, dans d’autres. L’erreur tactique de la contre-réforme indigène et des paramilitaires de Zinacatán. L’erreur tactique de Rosario Robles et du scandale des bandes vidéo. L’erreur tactique du harcèlement et de la répression du mouvement des étudiants de l’UNAM en 1999. L’erreur tactique de la « loi Ebrard » et de la « loi Monsanto ». L’erreur tactique d’avoir cédé le Zócalo de Mexico aux monopoles des jeux et spectacles. L’erreur tactique de faire équipe avec les salmistes, de cette « tolérance zéro » d’importation et de la persécution des jeunes, des homosexuels et des lesbiennes pour « délit » de différence. L’erreur tactique de trahir la mémoire de ses morts, de faire de leurs assassins des candidats et de recycler les exclus parlementaires des candidatures priistes. L’erreur tactique de sa manipulation de la mort de Digna Ochoa et de celle de Pável González pour complaire à la droite. L’erreur tactique de son positionnement flou en ce qui concerne les mouvements de résistance et de libération d’autres pays, de sa soumission au pouvoir nord-américain et de sa tentative de s’attirer les bonnes grâces des puissants. L’erreur tactique de ses guerres intestines et de ses fraudes dans les élections au sein du parti. L’erreur tactique de son alliance avec le narcotrafic dans le DF. L’erreur tactique qui consiste à demander aux gens de l’argent et de mentir en leur disant que c’est pour aider, « sous la table », les zapatistes. L’erreur tactique de la cour honteuse qu’il fait aux secteurs les plus réactionnaires du clergé et celle de se prévaloir de ses militants morts dans la lutte pour commettre impunément des vols, pour spolier, corrompre et réprimer. L’erreur tactique de se précipiter au centre, tout content de sa cargaison d’erreurs tactiques. L’erreur tactique de « La patrie, chef, ce n’est qu’un budget qu’on se dispute ! ».

Et au centre du PRD, « J’existe ! », dit AMLO, Andrés Manuel López Obrador.

Contre AMLO s’est jeté le couple (heureux, il fut un temps) présidentiel, la PGR dans une main, la Cour suprême de justice dans l’autre, le Congrès de l’Union muselé et les médias pour compenser la « perte d’audience » de ses reality shows et leur comptoir de clowns. Le processus d’exclusion parlementaire d’AMLO fut, en dehors d’un drame tragi-comique, un bon indicateur du mécontentement populaire (eh non, chef, on ne peut plus se moquer du monde comme avant) mais aussi, et surtout, un excellent tremplin électoral... Pour celui qui a été exclu.

Et contre AMLO se jette Cárdenas Solórzano, qui l’accuse de s’être dit du centre dès le début au lieu de suivre comme lui la tradition et commencer par se dire de gauche, pour ensuite seulement courir au centre à mesure qu’avance la campagne électorale. Qui le critique pour le contrôle du PRD qu’il détient et l’usage immodéré qu’il en fait, alors que Cárdenas n’a rien fait d’autre pendant des années. Qui lui reproche ses alliances, en oubliant que c’est à celles qu’a faites Cárdenas que des clans (comme le Parti de la société nationaliste, des Riojas) doivent de s’être enrichis, et qui lui reproche les liens du PRD avec le synarchisme (le Parti de l’action sociale) — les mêmes qui ont mis une capuche sur la tête de la statue de Juárez —, alors que c’est Cárdenas qui a autorisé la formation de ces deux partis, en 2000.

López Obrador. Le bon AMLO, projeté dans les hautes sphères de la démocratie « moderne » (autrement dit, le règne des sondages) par l’absurde et ridicule campagne électorale du couple présidentiel. Celui qui a converti la mobilisation des citoyens contre l’arbitraire de l’exclusion parlementaire en une campagne de promotion personnelle et de strip-tease électoral. Celui qui, lors de la marche contre l’exclusion parlementaire, n’a pas prononcé la seule phrase qui convenait, à savoir : « Aucun dirigeant n’a le droit de prendre la tête d’un mouvement fondé sur une cause juste pour en faire, en mentant à la majorité des participants, un projet de recherche personnelle du pouvoir et ne négocier que dans ce but. » Celui qui a convoqué une marche silencieuse et qui, au lieu de la respecter, s’en est servi pour s’adresser au pouvoir, imposant à tout le monde la parole d’un seul. Celui de l’étrange alchimie qui transforme un million six cent mille silences en la voix de don Porfirio — voix qui, malgré les sifflets (pour le coup, effectivement de proportion « historique »), a été entendue par le réel interlocuteur de cette manifestation : le Pouvoir. Celui qui s’est approprié (et a dévalué) le triomphe populaire de la marche du 24 avril pour en faire une victoire personnelle dans sa course à la présidence. L’ex-exclu parlementaire qui a condamné l’arbitraire du Pouvoir pour ensuite échanger avec lui excuses et démentis mutuels. Qui dénonce des « complots » pour traiter ensuite d’hommes d’État ceux qui les ont tramés et dont un des meilleurs « comités de soutien » indigènes chiapanèques n’est autre que les caciques et les paramilitaires de Zinacatán, ceux-là mêmes qui ont attaqué la marche zapatiste du 10 avril 2004. Celui qui se voit déjà arborant l’écharpe présidentielle. Celui qui a déjà offert l’impunité, entre autres promesses de son éventuel mandat, aux responsables d’assassinats et de disparition de personnes engagées dans la lutte sociale et à ceux qui ont plongé le Mexique dans la misère et se sont enrichis avec les souffrances de tous. Celui dont les actes parlent d’eux-mêmes et disent tout son mépris des gens, « même sans mandat parlementaire ».

López Obrador, qui s’est comparé à Francisco I. Madero, oubliant au passage que sa ressemblance avec Madero ne s’arrête pas à l’incarcération de ce démocrate par Porfirio Díaz. Elle va plus loin et continue avec le même Madero, qui forme ensuite un gouvernement avec les porfiristes qui l’ont fait emprisonner (et notamment avec celui qui l’avait trahi), et avec le même Madero qui, tournant le dos aux exigences des dépossédés, a tout fait pour conserver le système économique d’exploitation, de pillage et de racisme du régime porfiriste. Le bon AMLO et les moineaux qui picotent à ses côtés ont « oublié » ces quelques détails.

Mais surtout, ils ont « oublié » que les zapatistes de l’époque ont arboré le Plan d’Ayala contre Madero, un plan dont Madero s’est permis de dire, plus ou moins : « Publiez-le, que tout le monde sache que ce Zapata est cinglé. » Mais assez avec le passé et les comparaisons ! Nous sommes au début du XXIe siècle et non du XXe, en pleine lutte pour une succession avançant à marche forcée à cause de l’ambition démesurée d’une seule femme.

Pour connaître les projets du candidat aspirant au pouvoir, il ne faut pas écouter ce qu’il déclare à l’attention de ceux d’en bas, mais ce qu’il dit à ceux d’en haut — dans les interviews accordées au New York Times et au Financial Times, par exemple. Il faut écouter ce qu’il propose à ceux qui ont réellement le pouvoir.

La proposition centrale du programme présidentiel d’AMLO n’est pas de s’installer au Palais national et de faire de la résidence de Los Pinos un nouveau secteur du bois de Chapultepec. C’est la « stabilité macro-économique », c’est-à-dire « toujours plus de profits pour les riches, une misère et une dépossession croissante pour les pauvres, et un ordre qui contrôle le mécontentement de ces derniers ». Lorsqu’on critique le projet d’AMLO, il ne s’agit pas de critiquer un projet de gauche, parce que ce n’en est pas un, comme il l’a lui-même dit et promis au Pouvoir de l’étage supérieur. Il a été très clair à ce sujet et les seuls à ne pas le comprendre sont ceux qui ne le veulent pas (ou que cela arrange de ne pas le faire) et qui s’efforcent de le voir et de le présenter comme un homme de gauche. Le projet de López Obrador est, comme il l’a défini lui-même, un projet du centre.

Et on sait que le centre n’est qu’une droite modérée, une porte donnant sur la clinique de chirurgie esthétique qui transforme les personnes engagées dans la lutte sociale en despotes et en cyniques, une stabilité macro-économique avec résidence secondaire et conférences de presse au petit-déjeuner.

Nous autres, nous avons suivi et analysé de près les agissements d’AMLO au gouvernement du DF. Pas dans la presse, ni dans les hautes sphères ni dans les résidences secondaires, non, mais en bas, dans la rue. Nous pensons que tout indique chez lui la gestation d’un projet autoritaire et un arrivisme qui transcendent le mandat sexennal. L’image de Carlos Salinas de Gortari construite par AMLO n’est en réalité qu’un miroir. De là l’équipe dirigeante dont il s’est entouré. De là aussi son programme, si proche du « libéralisme social » saliniste. J’ai dit « proche » ? C’est plutôt la continuation du libéralisme saliniste. Voilà un secret de Polichinelle qui reste encore caché à cause de la bêtise des larbins de l’extrême droite (qui évoquent un éléphant dans un magasin de porcelaine) et du chaos qui règne au sein de la classe politique mexicaine, mais il ne tardera pas à sortir au grand jour. C’est d’ailleurs une telle myopie qui fait que certains intellectuels et intellectuelles et des personnes bien connues pour leur engagement dans la lutte sociale contribuent de leur chaude haleine à couver l’œuf du serpent déposé au sein du gouvernement de la ville de Mexico.

Face à López Obrador, on ne se trouve pas confronté à un dirigeant nostalgique du passé nationaliste révolutionnaire, mais à quelqu’un qui a un projet bien établi pour le présent... Et pour l’avenir. AMLO ne pense pas réaliser ce projet en un seul sexennat (ce qui explique que son équipe est la même que le cabinet du célèbre « Nous sommes là [au gouvernement] pour longtemps ») et, contrairement à ce que pensent certains, López Obrador ne propose pas un retour au populisme d’antan qui effraye tant le pouvoir économique. Non, AMLO propose une médiation et une administration « moderne » (autrement dit, achever ce qu’avait laissé en chantier Salinas de Gortari), mais aussi, allant plus loin, il propose de poser les fondations d’un État « moderne », raison pour laquelle il veut tant se distinguer d’un Lula, d’un Chávez, d’un Castro ou d’un Tabaré. Évidemment, il ne fait pas cette proposition à ceux d’en bas ou à ce qui subsiste de la nation mexicaine, mais à qui tient réellement la barre : au pouvoir financier international. L’administration de López Obrador ne sera pas une administration néolibérale appliquée avec la main gauche (Lula, au Brésil, Tabaré, en Uruguay, Kirchner en Argentine) ni un gouvernement socialiste (Castro à Cuba) ni un nationalisme populaire (Chávez, au Venezuela), mais constituera LE NOUVEAU MODÈLE D’ÉTAT NON NATIONAL (cet avorton monstrueux issu de la guerre néolibérale) en Amérique latine.

Si Carlos Salinas de Gortari a été l’archétype de la mise en œuvre de la destruction néolibérale au Mexique, López Obrador, quant à lui, veut être l’exécutant modèle du réaménagement néolibéral. Voilà quel est son projet. Pour autant qu’on le laisse faire ou qu’il y parvienne.

Nous ne voulons pas nous acharner à disqualifier AMLO (laissons cela au PRD, qui s’en chargera mieux que quiconque, surtout au coup d’envoi de la lutte pour la candidature au gouvernement du DF), mais nous considérons qu’il est de notre devoir d’avertir, de définir et nous définir. C’est d’autant plus nécessaire que, dans le jeu du « guépard » qui se joue en haut, se définir de manière floue devient aussitôt un soutien explicite : « S’il n’est pas contre nous, il est avec nous. » Il est donc indispensable de définir ses positions face à (et non pas à côté de) López Obrador. Ce qu’il propose — et en cela il n’y a aucune différence avec ce que proposait Cárdenas dans le PRD, ni avec ce que propose n’importe lequel des précandidats au sein du surpeuplé « centre » politique du Mexique de la mi-2005 —, c’est de combler D’EN HAUT ET POUR QUI EST EN HAUT le vide provoqué par l’hécatombe néolibérale.

En résumé, en haut règne l’indécence, le culot éhonté, le cynisme et la crapulerie.

Voilà ce que nous pensons de la géométrie politique du Mexique d’en haut. Dire quoi que ce soit d’autre serait mentir et vouloir tromper ceux que nous n’avons jamais trompés : en premier lieu, nous-mêmes, mais aussi tous les gens en général. Nous n’éprouvons que rage et indignation devant ce que nous voyons et nous nous battrons pour empêcher que ces crapules parviennent à leurs fins.

L’heure est en effet venue de commencer à lutter pour que tous leurs semblables là en haut, qui méprisent l’histoire et nous avec elle, rendent des comptes. Pour qu’ils payent.

Allez. Salut et vigilance, en bas l’horloge marque déjà la sixième heure.

Des montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant insurgé Marcos
Mexique, en ce sixième mois de l’an 2005.

P-S : À PROPOS DU CHIAPAS. Auparavant, les conseils de bon gouvernement avaient annoncé qu’ils entretenaient certaines relations avec le gouvernement de cet État, mais aujourd’hui ils tiennent à signaler que, depuis le mois de décembre dernier, tout contact a été rompu en raison du non-respect des quelques engagements pris par ledit gouvernement. Aucune indemnisation ni aucune régularisation n’ont été obtenues et la justice n’a pas été rendue dans les quelques cas où on lui avait demandé son intervention. Il n’a pas respecté ses engagements parce que, au fond, il est aussi raciste que tous les autres. Ses fonctionnaires font preuve d’autoritarisme et de superbe, comme d’habitude, la justice locale se consacre à la traite d’êtres humains, les budgets sont dépensés avec les dames des annonces classées des journaux locaux ou avec celles qui « travaillent » dans « la zone galactique », l’argent est gaspillé dans de ridicules et honteuses campagnes médiatiques visant à discréditer les opposants (comme celle entreprise contre le mouvement des instituteurs, il y a quelques semaines) ou à promouvoir le culte de la personnalité. Non, merci !

Traduit par Ángel Caído.

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