L’armée est déployée en Méditerranée et le long des frontières, les murs s’érigent en Hongrie, en Bulgarie, des nouveaux camps d’enfermement ouvrent en Italie, en Grèce, dans les Balkans…
L’Union européenne déclare hypocritement qu’elle fait face avec humanité à la situation de milliers de personnes qui essaient et/ou réussissent à rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure. En réalité, la situation à laquelle les migrant·e·s sont confronté·e·s est celle d’une guerre menée par les États européens.
En Méditerranée, l’opération militaire conjointe Eunavfor Med continue. Après une première phase de « reconnaissance » la phase 2, rebaptisée « opération Sophia », permet aux forces militaires d’arraisonner en pleine mer les navires de migrant·e·s ainsi que de détruire les bateaux sur les côtes libyennes qui pourraient être utilisés par des passeurs. Six bateaux de guerre européens (italiens, français, allemand, britannique et espagnol) et mille trois cents militaires sont mobilisés pour cette opération qui est comme toujours présentée comme une lutte contre le trafic d’êtres humains et une action humanitaire pour empêcher les naufrages. Mais cette opération s’inscrit dans la continuité de dizaines d’autres, menées depuis des années au large de l’Europe par l’agence de surveillance des frontières Frontex et a en réalité pour but d’empêcher les migrant·e·s d’atteindre les côtes européennes et d’arrêter et d’enfermer ceux/celles qui y parviennent.
Pendant ce temps, les naufrages continuent. Les conséquences de ces opérations, ce sont les mêmes que depuis des années : des routes de plus en plus dangereuses, donc de plus en plus de mort·e·s (près de cinq mille personnes ont trouvé la mort en tentant de rejoindre le territoire européen depuis janvier 2014, plus de trente mille depuis vingt ans), et des tarifs de plus en plus chers, car la loi des passeurs est celle de l’économie capitaliste : plus c’est compliqué et risqué, plus c’est cher.
À travers ses politiques répressives, l’Europe enrichit ceux qu’elle prétend combattre et assassine ceux/celles qu’elle prétend sauver. À terme, une troisième phase de cette opération prévoit des opérations au sol, notamment en Libye. Dans les Balkans, à l’est de l’Europe, des murs sont construits, l’armée se déploie le long des frontières pour empêcher les migrant·e·s de passer et les contenir dans des camps d’enfermement où ils/elles sont trié·e·s, identifié·e·s et autorisé·e·s au compte-gouttes à passer ici où là.
Après la Hongrie, qui a érigé deux murs de barbelés à ses frontières avec la Serbie et la Croatie, l’Autriche, la Slovénie et la Macédoine envisagent à leur tour d’en construire. Aux confins de l’Europe, les murs anti-migrant·e·s se font de plus en plus nombreux et de plus en plus barbares : les pieux et les lames de rasoir sont là pour mutiler quiconque aurait l’audace de tenter le franchissement.
En Slovénie ou en Hongrie, l’armée est déployée le long des frontières et a ordre de tirer. En octobre, un migrant afghan a été tué par balle par les garde-frontières bulgares alors qu’avec un groupe il tentait de passer la frontière à pied.
En se parant d’un vernis humanitaire, l’Union européenne joue la division entre bon et mauvais migrant·e·s et annonce qu’elle va accueillir cent soixante mille réfugié·e·s sur deux ans, dans le cadre du « Programme européen de relocalisation ». Ces « bons réfugié·e·s » doivent maintenant être répartis entre les vingt-huit pays de l’UE, comme on se répartit des sacs de merde. Mais n’en doutons pas, ceux/celles qui seront choisi·e·s seront ceux/celles qui occupaient une situation sociale aisée dans le pays qu’ils ont fui, ceux/celles qui seront « intégrables » et « utiles » pour l’économie capitaliste : diplomates, journalistes, médecins, universitaires, etc.
Le versant de ce « programme de relocalisation », c’est le « plan d’action pour le retour », qui prévoit l’expulsion de quatre cent mille personnes. Cette politique d’expulsion massive sera confiée à l’agence européenne Frontex qui voit son budget et son champ d’action élargi, avec la création d’une unité spéciale expulsions.
Pour mener à bien cette politique de « gestion des flux migratoires », des « centres d’identification et de tri », appelés hotspots, sont ouverts, pour l’instant à titre expérimental en Italie et en Grèce. Ces prisons pour étrangers, comme il en existe déjà à travers tout le continent européen et au-delà, sont coorganisées par les agences européennes Frontex (surveillance et blocage des frontières), Europol (coordination des polices européennes), Eurojust (coordination judiciaire européennes) et Easo (coordination de la politique d’asile) et servent de lieux de tri entre les « bon réfugié·e·s » qui auront le droit à l’asile et les « mauvais migrant·e·s » qui seront expulsé·e·s vers leur pays d’origine ou des pays tiers. Toutes les procédures d’identification et de gestion des migrant·e·s y sont menées : prises d’empreintes, fichage dans les bases de données européennes (Eurodac), enquêtes sur les réseaux de passeurs, expulsions collectives. La photographie et la prise d’empreinte digitale sont fondamentales dans ce système dont l’objectif est de ficher et de trier. Il est prévu que les migrant·e·s refusant de s’y soumettre fassent l’objet de mesures coercitives.
À travers la mise en place de ces camps, l’UE veut contenir les migrant·e·s aux portes de l’Europe, les empêcher de continuer leur voyage vers d’autres pays et faciliter les expulsions. Des négociations sont en cours, notamment avec la Turquie, afin d’ouvrir des hotspots dans les pays frontaliers, dits « tampons » et externaliser la gestion et l’enfermement des migrant·e·s.
Depuis des années, les États d’Europe délèguent leur politique répressive aux pays frontaliers afin de bloquer les migrant·e·s en amont. L’Europe apporte un soutien financier et matériel à de nombreux pays en échange de leur coopération à la gestion des frontières européennes.
À l’opposé, partout en Europe, personnes migrantes et personnes solidaires s’organisent collectivement pour passer les frontières, déjouer les contrôles, trouver des logements et exiger des papiers pour tou·te·s (ou pour personne). Des solidarités concrètes et auto-organisées se mettent en place allant à l’encontre des logiques caritatives et humanitaires, qui sont une énième forme d’oppression et de contrôle. L’humanitaire n’est qu’une autre facette de la répression des migrant·e·s, car il crée un rapport de domination entre la personne qui donne et celle qui reçoit, reléguée à une position subalterne, dépossédée de toute autonomie. Mais personne n’est dupe et ne se laisse aveugler par les discours et les promesses des businessmans de la charité.
Partager un repas, échanger des informations pratiques, écrire et diffuser un journal sur les luttes et les expériences communes, organiser des manifestations, résister aux rafles et aux expulsions, passer les frontières, occuper un bâtiment vide, etc., sont autant de pratiques qui abattent les murs qui nous séparent et tendent vers des rapports d’égalité et d’échange, à l’encontre des logiques paternalistes et racistes dans lesquelles le pouvoir veut nous enfermer.
Aujourd’hui plus que jamais, alors que cette guerre s’intensifie et que dans toute l’Europe, le pouvoir réprime et traque celles et ceux qui lui prouvent chaque jour que sa forteresse n’est pas si bien gardée, nous devons être solidaires des luttes auto-organisées des migrant·e·s et multiplier réflexions et initiatives contre le contrôle, les frontières et les États.
Novembre 2015
Sans papiers ni frontières