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Face au pillage capitaliste, la défense de la terre et du territoire

L’arbre ou la forêt

dimanche 29 juillet 2007, par SCI Marcos

Paroles de l’EZLN prononcées par le sous-commandant insurgé Marcos lors du séminaire « Face au pillage capitaliste, la défense de la terre et du territoire » organisé à Mexico, le 17 juillet 2007.

Nous voudrions saluer et remercier les compañeras et compañeros de Via Campesina en Inde, au Brésil, en Corée du Sud et dans le monde entier pour les mots qu’ils nous proposent d’écouter de la parole très autre de leur représentant.

Le cadeau de leur voix est un honneur pour nos oreilles, et une immense joie pour notre parole l’aimable hospitalité de cœurs si lointains sur la carte géographique d’en haut et si proches dans la blessure d’en bas.

Nous saluons cette nouvelle rencontre avec les compañeras et compañeros du Congrès national indigène, lieu où nous autres, les zapatistes, nous faisons voguer notre lutte en tant que peuple indien que nous sommes.

Nous voulons aussi remercier les compañeras et compañeros du Club de journalistes de ces lieux et du temps qu’ils ont bien voulu accorder afin de pouvoir réunir ces paroles si différentes mais pourtant si semblables au moment de dire nos souffrances et nos luttes.

Je vous apporte la voix des femmes et des hommes zapatistes de l’EZLN. La voix d’une poignée de femmes et d’hommes, en grande majorité des indigènes, qui vivent et luttent dans les montagnes du Sud-Est mexicain, ce lieu le plus reculé de notre pays. En ce qui nous concerne, nous nous consacrons à subvertir l’ordre établi, à scandaliser les bonnes consciences et à mettre le monde sens dessus dessous. De notre part à tous et à toutes, nous les plus petits, recevez ce salut.

Les commentateurs en tout genre ont pour coutume d’utiliser cette expression qui dit que « c’est l’arbre qui cache la forêt ». Ou inversement. Devant une telle situation, il nous reste la possibilité de regarder les deux... ou d’aller voir ailleurs.

Même s’il est vrai qu’en ce qui concerne la terre, ou le territoire dans le sens le plus large, comme nous l’a expliqué d’une façon claire et nette le Congrès national indigène, il semble de plus en plus difficile de trouver un arbre, pour ne rien dire de forêts. Qui plus est, il est rare aujourd’hui dans les campagnes mexicaines de trouver des paysans ejidatarios ou comuneros, sans parler de terres ejidales ou communales.

Alors, puisque nous ne trouvons ni les uns ni les autres, cherchons donc et trouvons la cause de leur disparition.

La guerre de néo-conquête dans les campagnes mexicaines

Nous avons déjà parlé, en d’autres occasions, du capitalisme au Mexique comme nouvelle guerre de conquête.

En nous rendant dans différents recoins du Mexique d’en bas, nous avons pu voir un territoire ravagé, dont les ruines étaient parfois encore fumantes, tandis qu’ailleurs les constructions du conquistador, le grand capital, se dressaient déjà à l’emplacement de ce qui était autrefois un champ cultivé, des villages de pêcheurs, des terres communales et des ejidos, des territoires indigènes. En maintes occasions, nous avons entendu parler de villages entiers devenus déserts, leurs habitants originels partis vivre et travailler dans des terres très lointaines en terme de distance, de langue et de culture.

Ailleurs, nous avons observé une sorte de relève de la population, c’est-à-dire l’expulsion d’ejidatarios et de comuneros à qui on substituait des travailleurs agricoles, des domestiques d’entreprises touristiques, des employés et des serviteurs amenés là d’autres terres, sur le modèle des esclavagistes du Nord tumultueux et brutal qui trafiquaient avec les habitants de l’Afrique et de l’Asie pour remplacer la population originelle qu’ils avaient anéantie et les faire travailler comme esclaves dans leurs plantations.

Nous avons pu observer aussi une autre désertification humaine, qui peut très bien passer inaperçue. On voit bien des villages, des quartiers, des villes. On voit bien les gens qui y vivent. Mais il n’y existe plus le sens de la collectivité, d’une appartenance à quelque chose de commun. Ils n’ont pas d’identité culturelle. Il n’y a pas de communauté.

Un territoire peuplé de fantômes qui errent parmi les ruines de ce qui fut autrefois la campagne mexicaine, voilà ce que laisse derrière lui le capitalisme sauvage, le néolibéralisme, sur son passage dans sa nouvelle guerre de conquête de notre pays : la guerre de pillage et de destruction de la terre et du territoire.

Il existe déjà des données brutes, des symptômes faits de chiffres et de pourcentages qui nous permettent de constater qu’il ne s’agit pas d’un phénomène isolé. Le Centre d’analyse pluridisciplinaire (CAM) de l’équipe assistant la Commission Sexta de l’EZLN a pu rassembler les données suivantes :

En 2005, un peu plus de 30 millions de personnes vivaient dans les campagnes mexicaines. Près de 27,5 millions d’entre elles n’avait pas les revenus nécessaires pour satisfaire leurs besoins essentiels.

La seule alternative à mourir ou vivre mal à la campagne, c’est d’abandonner sa terre et sa famille pour émigrer ailleurs en quête de meilleurs revenus. Les politiques gouvernementales, les crises agricoles, la baisse des prix des produits agricoles et la hausse des prix des semences et de tout ce qui sert à la récolte ont provoqué au cours des dernières années une augmentation de 40 % de l’émigration de populations des communautés rurales vers la ville ou à l’étranger.

En dix ans, de 1995 à 2005, le nombre de foyers qui survivaient grâce à ce qu’envoyaient les membres de leur famille travaillant à l’étranger est passé de 600 000 à plus de 4 millions. Dans la même période, les remises en dollars envoyées au Mexique ont quadruplé.

Or ce dépeuplement de la campagne mexicaine et du pays tout entier est aussi un juteux commerce concernant l’envoi de ces remises. Un exemple : les recettes du groupe Elektra (appartenant à la famille Salinas Pliego) ont notablement augmenté grâce aux commissions grevant ces envois.

Par le biais de Western Union, monsieur Salinas Pliego (propriétaire aussi de TV Azteca, la « bonne télévision », selon AMLO) a empoché près de 20 dollars sur chaque 300 dollars envoyés au Mexique durant 2005.

La spoliation ne s’effectue cependant pas seulement par des bas salaires et par le racket des envois de devises. La réforme de la Constitution promue par ce voleur de Carlos de Salinas de Gortari, qui est devenu président du Mexique en recourant à la fraude électorale, comme l’a fait Felipe Calderón, a en effet permis au grand capital de s’emparer des terres ejidales et communales, comme à l’époque coloniale et à l’époque de Porfirio.

Avec la réforme de l’article 27 de la Constitution, la promulgation de la Loi agraire et la mise en place du programme Procede, les terres ejidales ou les terres communales ont rejoint le marché des terres. Et ce, à travers plusieurs mécanismes différents, qu’il s’agisse de contrats aliénant les droits des habitants d’ejidos (cession, achat-vente, don) ou de la contribution de terres d’usage collectif effectuée par les ejidos et les communautés à des sociétés civiles ou mercantiles.

En résumé, le Procede (Programme de certification des droits de l’ejido et d’attribution des sols) - qui consiste à conférer des titres de propriété individuels des parcelles que travaille une famille d’ejidatarios ou de comuneros, ces îlots agraires pouvant désormais être loués, vendus, commercialisés ou hypothéqués sous garantie - comme le Procecom, qui en est l’équivalent pour les terres communales, s’inscrivent dans une politique globale plus vaste.

Les réformes de l’article 27 de la Constitution mexicaine s’accompagnent de l’intention de privatiser, de spolier et de fournir les conditions minimales permettant au capital sous toutes ses formes de croître et d’accumuler des bénéfices.

L’application de cette politique aura comme effet sur les campagnes un nouveau processus de concentration des terres, de dépossession et de dévastation des cultures mexicaines.

En décembre 2005, selon le Centre d’études et de publications du ministère de l’agriculture, 22 % du total des terres ejidales et communales était en voie de requalification pour devenir des propriétés privées.

Le nouveau marché des terres en est arrivé à constituer des latifundiums. À cela, il faut ajouter la présence des compagnies multinationales et tenir compte du fait que ces entreprises ne convoitent pas l’ensemble des terres mais uniquement celles qui leur garantissent des bénéfices, comme le sont les zones forestières et celles dont les ressources naturelles peuvent être exploitées.

L’appauvrissement des familles dans les campagnes ayant augmenté, c’est aussi le nombre des terres ejidales et des terres communales concernées par la cession des droits d’usage en vue de leur location ou de leur requalification qui s’est accru. Ce sont essentiellement les chaînes hôtelières qui ont profité de ces requalifications ou qui ont pu ainsi exploiter les ressources locales.

Les îlots agraires situés sur le littoral mexicain ont eux aussi subi cette requalification affectant la possession de la terre. À travers le programme Procede, 609 ejidos et biens communaux ont ainsi été requalifiés.

La majorité des ejidos et des communautés qui ont été capturés par le Procede et par le Procecom possèdent des ressources touristiques, écologiques, piscicoles et urbaines à développer. Ils se trouvent concentrés dans les États de Veracruz, de Sonora, de Nayarit, de Sinaloa, en Basse-Californie du Sud, dans le Tabasco, le Jalisco, la Basse-Californie, le Quintana Roo. le Tamaulipas, le Guerrero, le Michoacán, le Yucatan, le Colima, le Campeche et le Chiapas.

Selon le tribunal agraire, c’est dans ces États que se concentrent un grand nombre des litiges et conflits agraires, qui portent le plus souvent sur la gestion et sur l’emploi de leurs ressources. Il en est de même pour les ressources forestières, l’eau et les terres.

Entre 1994 et 2005, 22 % des conflits agraires du pays concernaient l’opposition aux formes suivantes de capitalisme : groupes immobiliers, hôtels, centres de loisir, complexes touristiques, « Développement sous l’égide du gouvernement » (expropriation), développements privés, industries, exploitation des ressources naturelles et centres commerciaux.

Le Procede et le Procecom ne sont cependant pas arrivés tout seuls, ils furent accompagnés par l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena, en espagnol TLCAN, Tratado de Libre Comercio de América del Norte).

Conséquence directe de l’Alena, les importations de maïs en provenance des États-Unis se sont multipliées par quinze depuis son entrée en vigueur.

À cette asservissante concurrence nord-américaine s’est ajoutée une « politique plus libérale » du gouvernement mexicain qui, dans le cas du maïs, a libéralisé le marché au-delà de ce qu’exigeait ce même accord et a ainsi permis l’entrée de mais transgénique.

L’Alena a représenté l’effondrement de l’agriculture mexicaine. Notre pays survit aujourd’hui grâce aux 20 milliards de dollars annuels que les émigrés envoient à leurs familles. L’émigration, l’inégalité, la concentration de la richesse dans les mains d’un très petit nombre et un déséquilibre toujours plus accusé du commerce agricole international, en raison de l’ouverture agressive des marchés, en sont les résultats les plus évidents.

Les paysans ne sont pourtant pas les seuls à avoir souffert des effets de cette guerre de conquête. Le capitalisme détruit et pollue également la nature.

On calcule qu’au cours des dix dernières années les dégâts dus à la pollution ont entraîné dans notre pays une dépense de 36 milliards de dollars. Le taux de déforestation actuel est de 631 000 hectares par an. Nous possédons le titre qui n’a rien d’honorable de premier destructeur de forêts dans le monde. Il y a également toujours moins de sources d’eau pure et toujours plus de nappes phréatiques polluées.

En outre, les amendements à l’article 27 dégagent les particuliers de tout risque sur le plan financier, attendu qu’ils ne sont même pas tenus d’acheter la terre et peuvent y accéder par d’autres moyens, le Procede et le Procecom leur donnant cette possibilité. Il est en effet possible aujourd’hui d’obtenir des droits d’accès à la terre en corrompant les autorités municipales ou leurs représentants afin de pouvoir exploiter des terres communales ou ejidales.

Les groupements qui ont été traînés devant les tribunaux pour avoir obtenu des concessions dans des ejidos et des communautés sont essentiellement des clubs de golf, des parcs thématiques et des complexes touristiques.

Les chaînes hôtelières concernées par la plupart des plaintes déposées sont : Hôtels Fiesta Americana, Sheraton, Hôtels Hilton, Holliday Inn, Hôtels Radisson Flamingos, Hyatt, Presidente Intercontinental. Ces mêmes entreprises accumulent aussi un grand nombre de querelles et de plaintes déposées auprès de Profeco pour ségrégation et emploi abusif de zones sous juridiction fédérale.

Dans cette guerre de conquête, personne de l’en-haut ne veut être en reste. À l’instar des entreprises du bâtiment, les grandes entreprises immobilières cherchent des terrains pour faire leurs affaires. Un exemple parfait nous est fourni par l’expansion du Groupe GEO dont les recettes ont triplé avec l’achat de terrains à 10 pesos le mètre carré pour les revendre à 300 pesos et même 400 pesos le mètre carré.

Auparavant, l’État se portait garant de la production nationale des paysans, mais aujourd’hui un gigantesque marché a été livré à l’intervention du capital sous ses différentes formes : industrielle, financière, commerciale, bancaire, immobilière, etc.

Il en résulte une concentration des terres, d’abord chez des petits et moyens propriétaires, puis tout indique que la tendance fera que la terre dotée du meilleur rendement (ressources naturelles et exploitation touristique) sera concentrée au sein de latifundiums, d’entreprises, de compagnies du secteur et même de multinationales au capital mexicain ou étranger ou de ligues, de fusions, d’associations ou de conventions entre les deux.

Nous avons donc, d’une part, un exode dans les campagnes mexicaines (migration vers la ville et vers l’étranger, surtout les États-Unis) et un repeuplement (injection d’ouvriers agricoles, principalement d’indigènes dépossédés de leurs terres, dans les nouvelles grandes propriétés et dans l’agro-industrie, et d’autre part une destruction (de la nature, de la terre, des forêts, de l’air, de l’eau et de la faune, mais aussi des relations communautaires) et une reconstruction (des terres auparavant cultivées sont remplacées par des terrains de golf, des centres commerciaux, des hôtels et des parcs d’attraction).

Le tout sous un nouvel ordre, celui du marché mondial capitaliste.

Si je ne m’abuse, c’est exactement ce qui se passe dans une guerre de conquête : il s’agit de conquérir, de détruire, de dépeupler, puis de reconstruire, de repeupler et de réorganiser.

Nous avons parlé de la campagne dans notre pays, le Mexique, mais aujourd’hui nous voyons, nous entendons et nous apprenons qu’il est en train de se passer la même chose sur les cinq continents. Ce qui nous permet d’affirmer qu’il s’agit d’une guerre de conquête concernant l’ensemble de la planète : une guerre mondiale, la Quatrième Guerre mondiale.

Que l’on choisisse de voir « l’arbre » ou « la forêt », la conclusion est la même.

Il y a cependant quelque chose, pour nous, les zapatistes, qui fait de cette guerre quelque chose de spécial. C’est que les effets qu’elle entraîne sur la terre et sur le territoire, c’est-à-dire sur la nature, sont définitifs et irréversibles. C’est donc la planète tout entière qui est en train d’être détruite alors que nous n’avons pas d’autre endroit où vivre, de sorte que c’est au bout du compte l’espèce humaine tout entière qui est victime de cette guerre.

C’est pour cette raison que nous disons que c’est une guerre contre l’humanité.

La résistance et la défense de la terre et du territoire

Dans la seconde partie de cette discussion, qui aura lieu à San Cristobal de Las Casas, au Chiapas, certains de nos chefs indigènes zapatistes vont prendre la parole ; de même, au cours de la Rencontre des peuples zapatistes avec les peuples du monde, on écoutera la parole des femmes et des hommes indigènes zapatistes appartenant aux bases de soutien de l’EZLN.

Tous et toutes, ils raconteront bien mieux comment nous résistons et nous défendons la terre et le territoire dans les zones où nous vivons et où nous luttons, dans les montagnes du Sud-Est mexicain.

Je me contenterais pour l’instant d’avancer ce qui suit :

Premièrement. Pour nous, les zapatistes, les peuples indiens du Mexique, de l’Amérique et du monde, la terre est la mère, la vie, la mémoire et le lieu du repos de nos ancêtres, la maison de notre culture et nos coutumes. La terre est notre identité. C’est en elle, par elle et pour elle que nous existons. Sans elle nous mourrons, même si nous continuons à vivre.

Deuxièmement. Pour nous, la terre n’est pas seulement le sol sur lequel nous marchons, que nous semons et sur lequel grandit notre descendance. La terre est aussi l’air qui, devenu vent, monte et descend de nos montagnes. Elle est eau des sources, des rivières, des lagunes et des pluies qui sèment la vie dans nos plantations ; ces arbres et ces forêts qui donnent naissance aux fruits et créent de l’ombre ; ces oiseaux qui dansent dans le vent et chantent sur les branches ; ces animaux qui avec nous grandissent, vivent et se nourrissent. La terre est tout ce que nous vivons et tout ce que nous mourons.

Troisièmement. Pour nous, la terre n’est pas une marchandise, pas plus que ne sont des marchandises les êtres humains ou les souvenirs ou les saluts que nous donnons et recevons de nos morts. La terre ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. C’est à nous qu’il a échu d’en être les gardiens, d’en prendre soin et de la protéger, comme elle a pris soin de nous et nous a protégés pendant ces cinq cent quinze ans de souffrance et de résistance.

Quatrièmement. Nous, nous sommes des guerriers. Non pas pour vaincre et asservir l’autre différent de nous, celui qui habite un autre lieu, celui qui a d’autres manières de faire les choses. Nous sommes des guerriers qui défendent la terre, notre mère, notre vie. Pour nous, c’est la dernière bataille. Si la terre meurt, nous mourrons. Il n’y a pas de lendemain sans la terre. Ce qui veut détruire aujourd’hui la terre, c’est un système tout entier. Voilà l’ennemi à abattre. « Capitalisme » s’appelle l’ennemi.

Cinquièmement. Nous, nous pensons qu’il est impossible de gagner cette bataille si nous ne la livrons pas aux côtés des autres peuples qui sont comme nous de la couleur qui est celle de la terre, si nous ne menons pas cette lutte aux côtés d’autres qui sont d’une autre couleur et dont le temps et les coutumes diffèrent, mais qui éprouvent la même souffrance. C’est pour cela que nous avons traduit en paroles cette pensée avec la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone. C’est pour cela que nous avons parcouru, oreilles et cœur ouverts, les endroits les plus reculés de notre pays. Pour chercher et rencontrer tous ceux qui disent ou qui veulent dire ¡Ya basta !, « Ça suffit », tous ceux qui ont trouvé que leur ennemi porte le même nom que celui qui nous tue et nous fait souffrir, nous.

Sixièmement. Nous, nous pensons qu’il ne suffit plus de ne faire que résister et attendre les attaques répétées de celui qui aime commander et de l’argent. Nous pensons que la force nécessaire aujourd’hui pour survivre est suffisante pour en terminer avec les menaces qui pèsent sur nous. L’heure est venue.

Septièmement.Ni l’arbre ni la forêt. Nous, en tant que zapatistes que nous sommes, pour comprendre et savoir ce qu’il faut faire, nous regardons vers le bas. Non pas en signe d’humilité, non pas pour soumettre notre dignité, mais pour lire et pour apprendre ce qui n’a pas été écrit, ce pour quoi il n’y a pas de mots mais uniquement des sentiments, pour voir dans la terre les racines qui soutiennent, tout là-haut, les étoiles.

Liberté et justice pour Atenco !
Liberté et justice pour l’Oaxaca !

Merci beaucoup.

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, juillet 2007.

P-S : Qui raconte une histoire surgie de deux coins à la peau sombre du Mexique d’en bas

L’histoire du mangeur d’hommes

Ceci est une histoire venue d’une terre auparavant lointaine et aujourd’hui toute proche. Ce sont les paroles sœurs des chefs yaquis et des chefs zapatistes qui ont recollé des histoires et des terres autrefois unies mais que le riche, le Yori étranger, a brisé et rejeté loin l’une de l’autre.

C’est donc de deux terres éloignées, et racontée par deux frères jumeaux mais différents, qu’émane cette histoire.

De loin, mais pourtant de près, nous vient cette histoire.

De l’endroit où est planté et se dresse bien droit le bâton qui parle. Le « bayalté qui parle », comme nous l’appelons, nous, les femmes et les hommes zapatistes issus de cette terre qui est au sud-est du nord-ouest de cette histoire incomplète qu’on nomme le Mexique.

Et aussi de l’endroit où se dresse l’arbre dont les racines conservent la mémoire du bon rêve, la Ceiba, le fromager qui soutient le monde.

Cette histoire vient de plus loin vers là-bas que cet ici où nos paroles se rencontrent aujourd’hui.

De là-bas où le Soleil se vêt de rouge pour pénétrer le désir des ombres de la nuit. De là-bas où l’Autre Sonora est occupée à préparer les sols et les cieux en vue de la grande rencontre de ceux qui ont peuplé à l’origine ce continent. C’est de là-bas, de la vallée du Yaqui, du Vícam, du Sonora, du Mexique, que vient une partie de cette histoire qui nous parle de souffrances, de luttes, de lendemains.

Et aussi de là où naissent les ombres qui accouchent de la nuit et stoppent le Soleil qui fait le jour sur son chemin. De là où l’Autre Chiapas prépare la parole pour en faire un pont tendu vers d’autres qui viendront de loin. C’est de là-bas, des montagnes zapatistes du Sud-Est mexicain, du Chiapas, du Mexique, que vient l’autre partie de cette histoire enfin complète.

Les plus savants parmi les guerriers yaquis, les plus anciens parmi les anciens, les anciens sages racontent cette histoire.

Tandis qu’avec d’autres mots et d’autres symboles, elle est racontée aussi par les plus jeunes parmi les jeunes guerriers zapatistes, les Vigilants, ceux qui entrevoient au loin à travers géographies et calendriers.

Tous, ils racontent que le monde connaissait autrefois la terreur qui est actuelle aujourd’hui.

Ils disent que le Mangeur d’hommes était déjà venu auparavant.

Celui que les Yaquis nomment Yéebua’éeme.

Celui que les Mayas nomment Dzul Caxlán.

Ils disent que son ambition jamais n’était rassasiée et que le Mangeur d’hommes ne respectait rien.

Que les gens et leurs manières d’être étaient dévorés et que rien n’était fait pour l’empêcher.

Que quand le Mangeur d’hommes régnait, il le faisait assisté de son fidèle Général Peur et que de la sorte le monde pleurait doublement : il sanglotait des larmes de peur, et gémissait des larmes de mort.

Que tout était détruit et dévoré.

Que des personnes, des mots, des temps et des lieux étaient ainsi engloutis.

Et l’histoire dit aussi que le Mangeur d’hommes s’est emparé d’une femme et qu’il l’a brisée et réduite en poudre.

Mais l’histoire dit aussi qu’avant de mourir la femme avait pu accoucher de deux garçons jumeaux.

Et que, comme le corps de leur mère avait été coupé en morceaux, un des garçons est resté d’un côté tandis que l’autre est allé tomber d’un autre côté.

Ils gisaient chacun à l’une des extrémités du long chemin que parcourt le Soleil.

L’un à l’endroit où le Soleil entame son périple et l’autre, à l’endroit où le Soleil achève sa journée.

Bien que très loin l’un de l’autre, ils furent tous les deux élevés par la Grande Mère, notre mère-grand, la Terre, la première mère parmi les mères.

Grande et portant très loin était la magie de notre mère-grand et avec sa magie elle protégea les jumeaux, bien qu’ils soient loin l’un de l’autre.

Et de son sang elle fit surgir des sources, et de sa chair des arbres et des fruits.

De sa voix elle appela les animaux pour accompagner et alimenter les jumeaux, et elle enjoint aux biches et aux cerfs de se rendre d’un côté et de l’autre pour veiller au bien-être de chacun d’eux et pour qu’ils n’oublient pas que leur mémoire était commune.

Les jumeaux grandirent comme des guerriers, d’un côté et de l’autre de la vaste nagüa de la Terre.

Et d’un côté comme de l’autre, ils connurent l’histoire du Mangeur d’hommes, et d’un côté comme de l’autre, ils conçurent la pensée de combattre et de vaincre celui qui faisait tant de mal.

La plus vieille des mères, la Terre, les réunit pour que l’accord se fasse entre les jumeaux différents.

Mêmes et à la fois différents, tous deux se concertèrent et s’en allèrent chercher dans sa haute demeure le Mangeur d’hommes.

Ils allèrent le défier, le gronder, le combattre.

Les jumeaux luttèrent avec bravoure, d’un côté comme de l’autre.

Et le Mangeur d’hommes fut vaincu.

Très contente était la Grande Mère, la Terre.

Et très contents aussi étaient les femmes et les hommes du monde.

Aujourd’hui, dans ce calendrier que nous sommes, en bas, d’un côté comme de l’autre du chemin que parcourt le Soleil, aujourd’hui nous savons que deux forces ne suffisent pas pour vaincre le Mangeur d’hommes qui est revenu étendre la peur et la mort sur nos terres.

Nous savons que tous ceux et toutes celles qui sont de la couleur qui est de la terre, ainsi que tous ceux et toutes celles qui voient leur travail et leur dignité spoliés, doivent unir leurs forces.

Pour combattre et vaincre le Mangeur d’hommes. Pour être libres.

Dans notre géographie, dans notre calendrier, l’heure est venue.

Allez. Salut, et que la veille du jour dit nous trouve unis bien que différents.

Sup Marcos

Traduit par Ángel Caído.

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