D’une petite lutte très localisée contre un projet de bétonisation comme il en existe tant, s’est construit durant dix ans, sans préméditation, en tâtonnant, en bidouillant, un quartier riche de la diversité de ses activités (de maraîchage en autoconstruction, de petits jardins en fêtes de quartier), riche aussi des personnes qui le traversent, le font vivre, y jardinent et y habitent. Et riche en imaginaires possibles. Ensemble on se réinvente sans cesse collectivement.
Forcément, ces derniers mois, on est comme tout le monde : on est ébranlé·e·s par la crise sanitaire qui agite notre planète. Dans ces moments de doutes, pouvoir échanger des avis, exprimer nos peurs, discuter de nos limites, débattre pour, au final, tenter de se mettre d’accord collectivement sur les mesures que l’on met en place pour prendre soin de nos santés et continuer à créer du commun, ça nous semble d’autant plus cohérent. L’autogestion qu’on expérimente et qui s’éprouve ici au quotidien nous permet cela. Ça n’a rien d’évident, et c’est un processus encore en cours, mais c’est une démarche nécessaire. Loin d’une politique pyramidale qui inspire la défiance, loin d’une vision individualiste de la responsabilité, loin d’une stratégie de la culpabilisation, on a l’intention de continuer à se faire confiance pour apprendre à élaborer ensemble une pensée pertinente politiquement.
Ce texte est une invitation à venir dans ce quartier libre, qui fait partie intégrante de la ville (n’en déplaise à la mairie). On ne construit pas ici un en dehors du monde, mais un espace ouvert, poreux et que l’on souhaite accueillant. En ces temps de confinement où la plupart des lieux de sociabilité que l’on peut trouver en ville ont fermé leurs portes, où certaines associations sont empêchées de mener leurs actions, il nous semble d’autant plus nécessaire de rappeler que la liberté de circuler et de s’organiser, encore en cours ici, est accessible à tout le monde.
En effet, alors qu’on entend à la radio que pour prendre soin de nos proches, il ne faut plus les approcher, nous on se dit à l’inverse que se retrouver pour flâner au grand air avec des gens qu’on aime, c’est fondamental. Qu’un monde où la sociabilité n’est permise qu’au sein du travail et de l’espace familial, pour beaucoup d’entre nous, ça ne correspond à aucun schéma connu. Que jardiner, ça peut assurer le bien-être psychologique de personnes qui se sentent vite coincées sans leurs quelques mètres carrés. Qu’on n’a pas envie de se recroqueviller et que faire des trucs ensemble, c’est comme ça qu’on envisage l’apprentissage. Que pour continuer à se rencontrer, on a envie d’aller distribuer des légumes sur le rond-point d’à côté.
De fait, le quartier continue à vivre. Ses résident·e·s, humain·e·s, hérissons ou limaces, s’y déplacent librement, sans avoir à « attester » d’une bonne raison d’être là où elles et ils sont. Les récoltes de légumes d’automne sont abondantes, et demandent à être partagées au plus grand nombre. C’est le moment de l’assolement et de la préparation des sols pour l’hiver. On ne peut pas mettre le vivant en pause. Depuis quand ne fait-on plus partie du vivant ?
Alors, n’hésitez pas à passer nous voir au quartier quand vous voulez ou à venir prendre quelques poireaux (accompagnés d’un café) le vendredi matin devant le rond-point ! Nous proposerons cette distribution pendant tout le temps du confinement.
On vous invite aussi à soutenir autant que vous le pouvez les Jardins de l’Engrenage, aujourd’hui menacés d’expulsion, ainsi que d’autres espaces de liberté et de circulation qui se font expulser, ne peuvent pas voir le jour ou se maintenir. Faisons-les vivre et défendons-les !
[bleu violet]Le Quartier libre des Lentillères[/bleu violet]
30 novembre 2020.