Paroles du commandant David
Compagnons et compagnes, frères et sœurs indigènes, du Mexique et du monde et à tous ceux et toutes celles qui adhèrent à la Sixième Déclaration,
Au nom du Comité clandestin révolutionnaire indigène, Commandement général de l’EZLN, nous vous disons ceci :
En tant qu’indigènes de notre pays, le Mexique, et de tout notre continent, nous sommes ceux à qui tout a été nié, jusqu’à notre existence. Depuis la conquête jusqu’à nos jours, ils nous ont dominés, ils nous ont dépossédés de toute notre richesse, de toute notre science et de toute notre culture millénaire.
Pendant plus de cinq cents ans nous avons été humiliés, ils nous ont fait taire et ont essayé de nous exterminer, mais pendant de longues années de douleur et de souffrance, ils nous ont enseigné à résister ; c’est pour cela qu’ils n’ont pas pu éteindre notre lutte, notre résistance, notre rébellion et notre indignation contre les injustices et la soumission.
La colère et la révolte des peuples indigènes du Mexique et de toute l’Amérique ont été alimentées par les conquistadores eux-mêmes et leurs descendants avec leurs cruautés et leurs barbaries contre les indigènes. Nos peuples n’oublient pas leur histoire, leur douleur et leur lutte : elles sont dans le cœur et dans la pensée de nous tous qui sommes les premiers de ces terres mexicaines et d’Amérique ; parce que la vie et le sang de plusieurs millions de frères indigènes tombés et massacrés réclament encore justice et liberté. C’est pour cela que pendant plus de cinq cents ans d’histoire douloureuse il y a eu des mouvements, des luttes de résistance et des guerres des indigènes contre leurs oppresseurs et les mauvais gouvernements.
Dans le cas de notre cher pays, depuis la conquête jusqu’à nos jours, le Mexique a été souillé et fertilisé avec le sang de millions d’indigènes. Au temps de la conquête, des milliers d’indigènes sont tombés et des centaines de milliers ont été soumis à l’esclavage. Au temps de la guerre d’indépendance de 1810, menée par le père Hidalgo, ce sont nous, les indigènes, qui avons versé le plus de sang pour l’indépendance et la liberté de notre patrie. Et précisément aujourd’hui, 16 septembre 2005, nous nous souvenons avec fierté de nos frères indigènes tombés et de tous ceux qui ont donné leur vie pour nous donner la liberté et l’indépendance. Mais, après cette guerre d’indépendance et de liberté, nous, les indigènes, nous occupons toujours la même place d’esclaves, de pauvres, d’humiliés et d’oubliés ; le sang de nos morts et l’existence des survivants ont été ignorés.
Alors il n’y a pas eu de liberté ni d’indépendance pour les indigènes, seuls ont changé les maîtres et les seigneurs. Dans les lois qui ont été élaborées en ce temps-là, nous n’avons pas été inclus ni reconnus.
Après, à la révolution de 1910, ce sont aussi nous, indigènes et paysans, qui avons donné le plus de sang et de vies pour la terre et la liberté ; parce que ce sont nos frères indigènes et paysans qui se sont battus avec courage et héroïsme sans avoir peur de perdre plus que leur propre vie. Mais, après cette révolution, il n’y a pas eu non plus de terre et de liberté pour les indigènes et les paysans. Ceux qui ont pris le pouvoir au nom de la révolution après l’assassinat de notre général Emiliano Zapata ont aussi oublié les indigènes ; des lois ont été élaborées comme la Constitution de 1917, mais nous n’avons pas non plus été inclus ni reconnus dans cette Constitution mexicaine.
Comme indigènes et paysans, nous sommes toujours aussi miséreux, si ce n’est plus, parce que nous n’avons le droit à rien, ni à la terre, ni à la santé, ni à l’éducation, ni à l’alimentation, ni à une vie digne, ni au respect.
Ainsi, luttes et révolutions sont passées et nous, les indigènes et les paysans, nous en somme toujours restés au même point. Toujours mis de côté, toujours marginalisés et oubliés.
Compagnons et compagnes, frères et sœurs, cette triste histoire que nous souffrons depuis des siècles, nous ne devons plus permettre qu’elle continue de se répéter, nous ne devons plus permettre qu’ils continuent à se moquer de nous.
Tous les indigènes, les paysans et tous les hommes et femmes honnêtes qui habitent notre patrie mexicaine, notre continent et notre monde entier, nous avons le droit et le devoir de changer cette réalité et de construire une nouvelle histoire, l’histoire de l’humanité, l’histoire du monde. C’est pour cela que, dans cette lutte que nous menons, les zapatistes, et ce grand mouvement que nous sommes en train de construire avec tous les indigènes et les paysans, nous ne serons plus exclus, nous serons une partie importante de l’histoire et des nations.
C’est pour cela que, quoi qu’il arrive et de quelque manière que ce soit, nous conquerrons la place qui nous revient et que nous méritons, nous les indigènes, les paysans et tous les exploités. C’est notre lutte, notre patrie et notre histoire.
Paroles de la commandante Esther
Bonsoir compagnes et compagnons,
Au nom du Comité clandestin révolutionnaire indigène, Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale,
Nous voulons dire quelques mots à toutes les femmes présentes et absentes qui se sont jointes à la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone : nous devons continuer à lutter en tant que femmes pour défendre nos droits, parce que, pendant plus de cinq cents ans, les mauvais gouvernement et les puissants nous ont nié le droit et la place qui nous reviennent en tant que personne, et ils nous ont traités comme des objets, et ils l’ont imposé ainsi à nos parents et grands-parents ; c’est pour cela que maintenant certains de nos pères, frères, époux nous disent que nous ne servons à rien, que nous servons seulement à nous occuper de nos enfants et de la maison, et que nous sommes faibles, que nous ne savons pas penser ni prendre des décisions ; ces mauvaises idées nous asservissent, toutes les femmes de la campagne et de la ville. Mais tout cela n’est pas vrai, nous, les femmes, nous sommes capables de nous organiser, d’avoir un poste et de prendre des décisions tout comme les hommes ; c’est pour cela que nous vous disons de continuer à lutter ensemble pour défendre le droit que nous méritons comme femmes et comme êtres humains.
Si nous ne faisons rien, nos filles et petite-filles continueront à vivre ce qui se passe maintenant dans notre pays parce que la majorité des femmes ne sont pas prises en compte, nous ne sommes pas respectées, nous n’avons pas de travail digne ; c’est pour cela que de nombreuses femmes partent chercher du travail dans d’autres pays comme aux États-Unis, et là-bas elles connaissent la maltraitance, l’humiliation, le mépris, l’exploitation, la mort et leurs droits sont très souvent violés par les patrons. Mais cette situation qui se vit dans notre pays ne peut plus continuer ainsi, nous voulons que les femmes aient un travail sûr, un salaire juste, un traitement digne et respectueux.
Pour y arriver, il faut du temps, des sacrifices, de la responsabilité, de la patience et de la résistance ; ce travail et cette organisation que nous allons entreprendre ensemble connaîtra de nombreux problèmes et obstacles, mais il ne faut pas arrêter de lutter pour autant, parce qu’il ne s’agit pas d’essayer un temps ; il va falloir des années pour réussir ce que nous voulons, et pour cela il faut être fermes et fortes et toujours chercher une solution aux problèmes que nous allons rencontrer.
C’est pour cela qu’il est temps d’unir nos forces pour atteindre notre objectif ; courage, compagnes ouvrières, enseignantes, docteurs, artistes, lesbiennes, intellectuelles, jeunes, femmes aux foyer, et de tous les secteurs de la société ; ne vous découragez pas parce qu’il n’y a pas d’autre chemin à suivre que celui de lutter ensemble, hommes, femmes, jeunes, filles et garçons, anciens et anciennes pour que nous soyons prises en compte dans notre pays, le Mexique.
Mais nous voulons aussi parler un peu de la lutte de la femme indigène. Nous, en tant que femmes indigènes, nous luttons aussi face à la même situation, parce que nous souffrons une triple exploitation : du fait d’être des femmes, d’être indigènes et d’être pauvres ; en tant que femmes, ils ne tiennent pas compte de nous, nous sommes humiliées, méprisées ; en tant qu’indigènes, nous sommes discriminées à cause de nos vêtements, notre couleur, notre langue et nos cultures ; à cause de notre pauvreté, nous n’avons pas droit à la santé, à l’éducation et ils nous maintiennent dans l’oubli. C’est pour cela que nous avons décidé de nous organiser et de lutter ensemble pour sortir de cette situation ; nous nous moquons des persécutions, des emprisonnements, des enlèvements et même de la mort si c’est nécessaire ; malgré tout, nous sommes là et nous continuerons à lutter et nous ne nous rendrons ni ne nous vendrons pour quelques oboles du mauvais gouvernement et nous accepterons encore moins un poste gouvernemental.
Merci à la lutte qui nous a donné cet espace pour participer, unir nos forces et lutter ensemble, hommes et femmes, parce que sans les hommes ou sans les femmes, la lutte n’avance pas, c’est pour cela que la participation de toutes et tous est très importante, et sans distinction de race ou de couleur.
Enfin, nous voulons seulement vous dire d’unir nos forces pour atteindre la démocratie, la liberté et la justice pour tous.
Paroles du lieutenant-colonel insurgé Moisés
Bonsoir à tous compagnons et compagnes,
Ainsi, comme l’a dit le compagnon sous-commandant insurgé Marcos, je parle au nom de mes compagnons et compagnes de la partie politico-militaire. Les compagnons et compagnes commandantes et commandants sont la partie politique organisatrice, ceux qui nous guident sur le chemin de la lutte. Nous sommes les soldats du peuple qui avons laissé nos pères et mères et tout le reste. Il y a des compagnons et des compagnes insurgés qui ont quitté leur famille à tout jamais parce qu’ils sont tombés en accomplissant leur devoir. Ceux d’entre nous qui sommes toujours vivants, nous combattons le mauvais gouvernement, les exploiteurs et nous n’arrêterons pas de combattre ces mauvais gouvernements exploiteurs. Nous, les insurgés et insurgées, sommes là par conscience, la grande rétribution que nous recevrons un jour sera de voir ce peuple qui s’appelle le Mexique enfin libre ; c’est pour cela que nous sommes une armée politico-militaire qui a pris les armes pour protéger et défendre nos compagnons et compagnes de nos peuples en lutte.
Vous voyez qu’à force de lutter, de parler très clairement de la manière dont on nous exploite, dont on nous humilie, et de nous organiser et lutter contre cela, la répression arrive. Ils ne veulent pas qu’on apprenne à faire de la politique nouvelle et une autre manière de faire de la politique. C’est pour cela que nous sommes des défenseurs de nos peuples organisés qui luttent politiquement.
C’est précisément ce que nous sommes en train de faire maintenant avec ces peuples qui sont là et encore plus avec ceux qui ne sont pas là aujourd’hui, nous voulons lutter politiquement et pacifiquement. Nous ne sommes pas une armée militariste, nous utilisons les armes pour nous défendre, pour conquérir la liberté, la justice et la démocratie. Politiquement nous comprenons que le peuple du Mexique doit faire sienne la démocratie, et nous organisons cela, et exigeons qu’elle soit pratiquée.
Nous avons dû former une armée du peuple pour que la démocratie soit réelle et soit réellement du peuple. Nous sommes très différents, c’est un autre type d’armée, un peu fous, mais très salutaires pour le peuple. Prêts à aller jusqu’au bout, à mourir si c’est nécessaire par le peuple et pour le peuple du Mexique. C’est tellement vrai que l’EZLN avec ses peuples et ses régions pratique la démocratie, consulte sa population sur ses initiatives de lutte, comme en 1993, quand nous avons demandé si nous commencions notre lutte, et comme dans plusieurs occasions, et comme maintenant avec la Sixième Déclaration, et la grande majorité de nos peuples ont répondu oui.
C’est facile de donner des ordres mais nous ne l’avons pas fait, parce que ce ne serait pas une démocratie, donc nous leur avons demandé s’ils étaient d’accord avec l’initiative. Avec ce nouveau plan que nous mettons en place maintenant, nous voilà réunis dans la Sexta, et il y a quelque chose que je veux vous dire ou vous raconter. Ce n’est pas facile pour moi de vous le raconter, mais c’est comme ça quand on lutte véritablement, et qu’on est prêt à aller jusqu’au bout, c’est de cela dont il s’agit ce que je veux vous dire, mais je vais voir si j’y arrive.
Moi, lieutenant-colonel Moisés, je suis arrivé dans les montagnes pour me préparer à être un insurgé et - comme c’est toujours le cas quand quelqu’un arrive pour faire partie des rangs insurgés - on apprend, ensuite on vous donne une responsabilité de commandement pour enseigner à d’autres. Mon responsable pendant de nombreuses années a été notre inoubliable compagnon sous-commandant insurgé Pedro.
Un jour il m’a dit - je ne me souviens pas de la date exacte, mais c’était en 93 - il m’a dit, ou plutôt il m’a appelé "Moy, viens", et je suis allé là où il se trouvait, c’est-à-dire à son abri, dans un des campements que nous avions, mais là ce que je vous raconte c’était dans le campement "collectif". Je suis arrivé et il m’a dit : "Écoute Moy, comme on est sur le point de sortir et d’apparaître à la lumière publique pour commencer notre lutte de libération nationale, quoi qu’il arrive ou qu’il m’arrive, tu seras mon second au commandement, tu te charges des compagnons et compagnes, et de continuer la lutte, et de continuer le travail. Comme moi - m’a-t-il dit - je suis le second sous les ordres du compagnon sous-commandant insurgé Marcos." Et vous savez ce qui s’est passé ? Je n’ai pas envie de vous raconter, parce que ce n’est pas un conte, ce n’est pas une histoire qui fait plaisir à raconter, c’est très amer, douloureux et mélangé avec de la rage et de la tristesse. Quand tu es proche d’un compagnon et que tu es sous ses ordres, voir mort un compagnon fidèle avec qui tu as vécu longtemps c’est quelque chose... je préfère ne pas vous dire...
Mais nos commandants, ceux qui savent tenir parole, accomplissent leur devoir si les circonstances le permettent.
Je me souviens de la dernière fois que le sous-commandant insurgé Pedro et le sous-commandant insurgé Marcos se sont vus, j’étais là, j’ai entendu personnellement les dernières indications que le sous-commandant Marcos a données au sous-commandant insurgé Pedro ; le Sub Marcos a dit au Sub Pedro : "Pedro, tu es mon second, souviens-toi, alors tu te protèges au cas où je tomberais", a dit le sous-commandant Marcos et le sous-commandant Pedro a répondu : "Nous nous protégeons compagnon." Ça a été la dernière parole qu’ont échangée le sous-commandant Marcos et le sous-commandant Pedro.
Le sous-commandant Pedro était très gai, je me souviens qu’il nous réunissait, les compagnons et compagnes insurgés du Premier Régiment, et il nous disait : "Compagnons, compagnes, nous allons apparaître à la lumière du jour, il vont maintenant savoir pour qui nous luttons, pour le peuple du Mexique. Nous devons nous organiser avec eux, les ouvriers, et il disait, je viens de là-bas, parce qu’il était ouvrier, il n’était pas indigène, mais il est devenu indigène avec nous et il est mort parmi les indigènes. Un ouvrier qui s’est sacrifié pour nous physiquement n’est plus, mais ce que nous sommes en train de faire maintenant, il en a rêvé, il a rêvé d’être là avec des ouvriers, des paysans, des indigènes, des enseignants, des étudiants, des gens des quartiers, des artistes et parmi beaucoup d’autres comme il nous disait. Ce rêve dont il rêvait, ce dont il a rêvé, c’est ce que nous sommes en train de faire en ce moment et c’est pour ça que je vous parle de lui, parce que pour nous, il n’est pas mort, comme ne sont pas mortes la grande misère, l’inégalité que nous subissons. Pour nous, il n’est pas mort et même si nous triomphons, pour nous il n’est pas mort, parce qu’il y a encore ce qu’il reste à construire et même si nous construisons ce qui reste à construire, pour nous il n’est pas mort parce qu’il vivra entre les vivants du peuple du Mexique libre. Mais pour qu’il y ait des êtres vivants libres au Mexique, il faut savoir donner la vie quand c’est nécessaire et c’est exactement ce qui est arrivé. Il est tombé au combat à l’aube du 1er janvier 1994 à Las Margaritas ; il est là-bas avec nous quelque part où nous avons enterré son corps, son cadavre, mais il est ici avec nous et nous voulons qu’il soit avec les compagnons et compagnes qui se sont associés à la Sexta et avec tout le reste.
Comme nous l’ont appris nos commandants, eh bien poursuit celui qui poursuit et dans ce cas c’est moi qui ai dû continuer le travail qu’a laissé en tombant le compagnon sous-commandant insurgé Pedro.
Je me souviens aussi que j’ai voulu parler au compagnon sous-commandant Pedro quand je suis arrivé à l’endroit où il était tombé et je lui ai dit : qu’est-ce qui s’est passé sous-commandant, qu’est-ce qui s’est passé ? Un silence m’a répondu pour lui. Ça fait mal de voir et perdre un ami de lutte cher, et à la fois c’est votre commandant, mais comme je vous dis, eh bien nous continuons ceux qui continuons.
Nous sommes nés ainsi, organisés comme des soldats. Nous sommes préparés pour ces situations. Comme aujourd’hui, compagnons et compagnes. Plusieurs des compagnons et compagnes commandantes et commandants les connaissent, mais un jour nous ne les reverrons plus, selon les circonstances de la lutte, les missions à accomplir, pour l’engagement de lutter pour un Mexique libre.
Plusieurs des compagnons et compagnes, commandants et commandantes vont sortir pour le travail de l’Autre Campagne ; on leur a demandé de décider volontairement pour faire le travail de l’Autre Campagne, parce que justement nous les protégeons, elles, eux et le peuple. Nous allons sortir nous aussi les insurgés et insurgées, mais pas volontairement, mais selon les ordres, si on nous dit compagnon, compagne, tu vas sortir pour le travail de l’Autre Campagne, ou si on nous dit compagne, compagnon, vous restez pour protéger nos peuples et mieux organiser la résistance, nous le ferons. Quels que soient les ordres, nous les respecterons.
Pour nous, il est de notre devoir d’explorer le terrain où nous allons emmener nos compagnons et compagnes de nos peuples, nous sommes comme ça, les militaires, il y en a toujours qui partent en avant-garde. Nous appelons avant-garde ceux qui vont devant, et qui voient ce qu’il y a au-delà du terrain, que nous ne connaissons pas encore, et leur tâche est de détecter ce qu’il y a ; si le terrain est marécageux, pierreux, épineux, et d’autres situations que l’avant-garde observe et dont elle nous informe pour savoir quoi faire et comment le faire.
Nous savons que vous concevez l’avant-garde comme celui qui va diriger, ou ceux qui savent comment on doit lutter ou ceux qui commandent, et que ce sont les seuls et qu’ils ont raison et savent plus et mieux et que pour cette raison ce sont les principaux.
Nous, nous ne l’entendons pas ainsi, l’avant-garde pour nous est comme je vous l’ai déjà dit, c’est celui qui va reconnaître le terrain, qui est pour nous un terrain inconnu, et où il est nécessaire d’aller pour avancer dans la lutte ; ce travail nous revient à nous, les militaires, l’exploration du terrain. Pour ce travail nous sommes déjà organisés, très organisés, et la succession du commandement est déjà prête.
Le travail de reconnaissance du terrain de l’avant-garde pour l’Autre Campagne est revenu au compagnon sous-commandant insurgé Marcos. Ce sera le premier à sortir, et derrière lui nous aussi, nous relayant pour faire le travail. Compagnons et compagnes, c’est déjà planifié et décidé ainsi.
Le compagnon qui est le second au commandement du compagnon sous-commandant insurgé Marcos est déjà prêt. Il est à l’abri et protégé par nous, les insurgées et insurgés.
Compagnons et compagnes, la mission de lutte incombe au compagnon sous-commandant insurgé Marcos, nous vous confions sa sécurité dans tout ce que vous pouvez parce qu’il va sortir de notre contrôle, mais nous serons très vigilants.
Nous connaissons ceux qui veulent qu’il y ait des morts, et qui voudraient que meurent ceux qui luttent et surtout, surtout que ce soit les zapatistes qui meurent, ceux-là oui le projettent, comment ils vont nous tuer. C’est pour cela que nous vous le confions, compagnons et compagnes.
Si cela arrive, notre lutte ne s’arrêtera pas, nous sommes déjà prêts et préparés pour cela.
Écoutez-le bien, compagnons et compagnes, notre sortie est politique, idéologique et pacifique, notre initiative n’est pas celle de balles qui parlent, mais la parole, et la pensée, et les idées.
Hommes et femmes de la presse nationale et internationale, bon, nous pouvons aussi les appeler compagnons, compagnes, s’ils souscrivent au travail de la Sixième Déclaration. S’il n’y souscrivent pas, qu’ils soient au moins de bons communicateurs, qu’ils disent ce qui se dit et n’inventent pas.
Écoutez donc bien, notre compagnon sous-commandant insurgé Marcos va sortir, sans armes, il part seulement avec ce que Dieu lui a donné et notre initiative est politique, pacifique, elle est faite d’idées, de pensée et de parole.
Toute tentative du mauvais gouvernement et des exploiteurs pour en finir avec notre lutte n’aboutira pas, pour cela nous, nous restons, notre lutte de libération continuera.
Compagnons et compagnes, le compagnon sous-commandant ne va pas aller diriger le peuple, nous ne commandons pas parce que nous croyons que nous sommes l’avant-garde d’une lutte, que nous sommes les meilleurs et uniques. Il ne va pas aller promouvoir la lutte armée, il va pour ce que veut le peuple pauvre du Mexique, la lutte politique et pacifique. Il n’emmène rien, rien de plus que notre parole qui dit que nous voulons nous associer à tous nos frères et sœurs pauvres du Mexique.
Nous, les soldats du peuple nous n’avons rien, la seule chose que nous ayons est la conscience de lutter, tout ce que nous avons, notre équipement et nos armes ne sont pas à nous, ils sont à nos peuples, nous en prenons soin et nous les utilisons pour la lutte.
Ainsi, le compagnon sous-commandant Marcos n’emmène rien, nous comptons sur vous, compagnons et compagnes, pour lui donner ce dont il a besoin pour la tâche que nous lui avons assignée. Bon, il va emmener quelques petites choses - vous savez déjà de quoi je parle, n’est-ce pas - bon, n’ayez pas les idées mal placées. Il va emmener ses pipes, mastiquées bien sûr, qui font partie de sa vie, sa compagne fidèle et inséparable. Il emporte aussi son ordinateur pour qu’il nous écrive et nous dise comment évolue son exploration de l’environnement. Aujourd’hui nous vous chargeons donc de ce qui lui manquera dans son travail.
Une fois de plus, nous répétons que nous n’allons pas provoquer des actions de guerre pour qu’il y ait des morts, non, nous ne cherchons pas cela. Au contraire, nous voulons des vie vivantes, pas mortes. Compagnons et compagnes, nous donnons tout : nos chefs supérieurs, pour nos peuples pauvres, bientôt nous verrons ce que vous donnerez, compagnons et compagnes.
Bon, compagnons et compagnes, peuple du Mexique pauvre, notre heure est arrivée, c’est l’heure de dire ensemble, les pauvres : ¡Ya basta !
Hommes et femmes, tous et toutes, luttons pour cette patrie, celle qui nous a vus naître et que d’autres veulent s’approprier ; ne le permettons pas, défendons-la comme nous l’ont enseigné nos amis chers tombés dans la lutte. Aujourd’hui c’est notre tour, personne ne le fera pour nous, sinon nous-mêmes. Personne ne viendra nous libérer de cette pauvreté dans laquelle nous maintiennent les malfaisants.
Marchons donc, compagnons et compagnes ! Allons tous vers la lutte de libération. Vivre pour la patrie ou mourir pour la liberté !
Paroles du commandant Tacho
Compagnes et compagnons,
À tous ceux qui ont souscrit à la Sixième Déclaration,
Au nom du CCRI-CG de l’EZLN et des compagnes et compagnons bases de soutien des peuples rebelles zapatistes, voici notre parole.
À la classe politique et aux dirigeants, nous avons dit la vérité, nous leur avons dit clairement ce qu’ils sont et comment ils sont ; de cela ils se sont sentis blessés et offensés, et pour cela, sûrement, ils essayerons de nous le faire payer, parce qu’ils n’aiment pas que quelqu’un leur dise leurs vérités. Et c’est parce que les politiques des partis politiques qui ont été au pouvoir sont responsables de beaucoup de délits face au peuple du Mexique. Dans le cas du PRI, ils sont responsables de leurs actes dans le massacre de 1968, de ceux qui réclamaient leurs droits. Comme ils sont aussi responsables d’autres répressions et persécutions d’autres mouvements sociaux et étudiants.
À la campagne, les mêmes dirigeants de la Fédération et des États ont utilisé la force répressive pour réprimer et déplacer des paysans indigènes, dans plusieurs endroits du pays ; mais pas seulement, ils ont aussi emprisonné et assassiné des paysans injustement. Jusqu’à aujourd’hui, ils sont privés de liberté et sont dans leurs tombes et dans les prisons de haute sécurité comme s’ils étaient des criminels, pendant que les vrais criminels continuent à profiter de leur liberté avec de bons salaires, déguisés en retraites.
Avec ce même parti du PRI, mené par Carlos Salinas, les réformes de l’article 27 de la Constitution ont été faites afin d’enterrer les idéaux de notre général Emiliano Zapata ; tout cela a été et est encore fait pour exécuter les plans néolibéraux visant à laisser aux mains des puissants l’argent et la souveraineté nationale.
C’est pour cela que nous disons qu’ils sont responsables de nombreux délits, parce qu’ils ont préparé eux-mêmes ce plan et continuent de le mener à bien comme le TLC [traité de libre commerce, ndt], le Plan Puebla-Panama et l’ALCA [Aire de libre commerce des Amériques, ndt]. Ces traités sont ceux qui exigent du gouvernement mexicain la réforme les lois qui garantissent ces plans. C’est en cela qu’a consisté le sale travail du PRI sur le dos du peuple mexicain.
Le comble, c’est qu’ils ont les couleurs de notre drapeau et qu’ils disent être des révolutionnaires, mais en réalité il ne sont rien de tout ça. Parce que la révolution signifie un changement réel pour le bien du peuple. Alors que pour eux la révolution c’est piller la richesse et vendre la patrie.
Les successeurs de ce plan néolibéral continuent aujourd’hui avec une autre couleur et un autre nom mais ils réalisent le même plan et c’est le Parti d’action nationale - PAN. Ce n’est pas vrai que ce soit un gouvernement du changement, ses plans sont pires contre nos peuples parce qu’une nouvelle fois ils entament des réformes structurelles pour continuer à vendre ce qu’il reste de notre souveraineté nationale. Le changement dont ils parlent tant n’est qu’une promesse, on dirait que moins de quinze minutes sont passées : les problèmes et les demandes du peuple ne sont toujours pas résolus, comme on le demandait déjà il y a cinq ans.
De ces politiques et de ces partis politiques, nous ne pouvons rien attendre en faveur du peuple, en revanche, ils ont semé beaucoup de désespoir, beaucoup de méfiance parce qu’une nouvelle fois ils se sont moqués de nous à travers les paroles et les promesses.
Parce que l’actuel gouvernement du prétendu changement a fait la même chose que les précédents.
- Avec Carlos Salinas de Gortari et son illusion d’entrer dans le premier monde et sa solidarité familiale, et la trahison du 9 février 1995, il n’y a pas eu d’amélioration.
- Et Vicente Fox avec les opportunités d’épicerie et du fameux changement et rien du tout.
- Maintenant avec ce monsieur chargé de la paix, Luis H. Álvarez, le programme est utilisé pour faire la campagne de contre-rébellion accompagné de types corrompus qui se font passer pour des dirigeants et des représentants du PRI dans tous les coins de notre zone.
- Et avec les excès de Marta Sahagún et de Vicente Fox quand ils voyagent dans d’autres pays pour mentir au nom de peuple mexicain et prétendre qu’au Mexique il y a de la démocratie et qu’il n’y a pas de pauvreté et que maintenant règne une sainte paix.
Quand ils disent que la pauvreté est terminée, c’est un mensonge, preuve en est que les travailleurs de la campagne et de la ville sont très mécontents, qu’ils s’opposent et disent non à la privatisation de l’énergie électrique, non à la privatisation de la sécurité sociale.
Et au PRD que pouvons-nous dire de plus, si nous avons une liste de ce qu’ils nous ont fait. Ils nous ont trompés en disant qu’ils étaient un parti de gauche et qu’ils luttaient pour les demandes du peuple. Nous avons cru qu’ils étaient un parti d’opposition contre le système du parti d’État. Mais nous nous sommes rendu compte que nous nous étions trompés, que ce n’était pas vrai.
Une autre chose qu’ils ont faite a été de se mettre d’accord avec le PRI, le PAN contre la loi Cocopa. S’ils ont été capables de le faire, alors que depuis des siècles ils nous ont ignoré, que ne feront-ils pas avec la vente de la souveraineté nationale ? En plus de tout, ça a été fait par le propre PRD dans d’autres États, mais surtout au Chiapas, comme cela a été dit dans des communiqués antérieurs ; d’ailleurs le PRD est une entreprise d’affaires et ceux qui composent l’équipe de Manuel López Obrador sont salinistes et ont beaucoup d’expérience dans la manipulation et la corruption ; c’est pour cela qu’ils sont devenus des experts politiques et qu’ils savent où se placer, alors nous n’espérons rien.
À cause de tout cela, ils nous ont démontré que les trois principaux partis politiques ont les mêmes plans et intérêts et ils le font très bien en ce moment. Et comme ça, le peuple du Mexique se rend compte que quel que soit le parti qui arrive au pouvoir, il ne va rien résoudre ; ils ont aussi démontré qu’ils ne se souviennent du peuple tous les six ans quand ils commencent leurs campagnes politiques pour aller chercher la candidature présidentielle, un poste de gouverneur, un siège à la chambre des députés ou au Sénat.
Mais après cela, quand ils arrivent au pouvoir, ils oublient tout, sauf le salaire juteux qu’ils reçoivent mensuellement et tout ce qu’ils volent et emportent à la fin de leur mandat. Nous sommes sûrs de tout cela, mais bien entendu, rien pour le peuple mexicain ; ils nous démontrent clairement que ce qui les intéresse est de gagner de l’argent.
Nous nous sommes rendu compte que le PRD n’était plus un parti de gauche parce que, au moment de voter et d’approuver la loi Cocopa, ils ont passé des accords avec les partis corrompus du PRI et du PAN et ils nous ont montré leur complicité et n’ont pas tenu compte de la nécessité depuis des années de la reconnaissance constitutionnelle des droits et de la culture indigènes qui ne nous a pas été niée pendant des décennies mais des siècles ; et le PRD n’a pas tenu compte de nous et a trahi l’espoir de millions d’indigènes mexicains, niant nos droits, nos cultures d’indigènes mexicains, trahis par ces partis et par ces politiques.
Non loin de là se trouve l’ingénieur Cuauhtémoc Cárdenas, qui s’est aussi engagé un 15 mai 1994, si nous nous souvenons bien, à faire quelque chose pour nos demandes, qui serait notoire pour la cause zapatiste.
Alors, que pouvons-nous attendre de ces messieurs ? C’est pour cela que ça vaut la peine que nous unissions nos forces et que nous luttions ensemble pour rendre possible l’impossible et nous efforcer pour trouver une autre façon de faire de la politique
Ceci est notre parole.
Merci beaucoup.
Septembre, mois de la patrie.
Parole du commandant Zebedeo
Compagnes et compagnons,
À toutes celles et à tous ceux qui ont souscrit et à ceux qui vont souscrire à la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone, au nom du CCRI-CG de l’EZLN et au nom des hommes, femmes, jeunes, enfants et anciens, bases de soutien, nous vous adressons ces paroles.
Compagnes et compagnons, nous voulons vous dire que pendant ces presque onze années de lutte contre l’oubli, contre la marginalisation et contre l’extermination, aquí estamos [nous sommes là], nous ne nous sommes pas rendus, et nous ne nous sommes pas vendus. Nous ne nous vendrons pas ni ne nous rendrons parce que nous sommes convaincus que notre lutte a des causes justes pour les pauvres du Mexique et du monde.
Les conditions de vie des travailleurs de la campagne et de la ville comme les enseignants, ouvriers, étudiants, femmes au foyer, médecins, transporteurs, paysans, journaliers, chômeurs, indigènes, enfants de la rue, religieuses, intellectuels, homosexuels, lesbiennes et artistes empirent chaque jour : ils subissent la douleur, la misère, la faim, la mort par des maladies guérissables, et le mépris. Pendant ce temps-là, les exploiteurs sont chaque jour un peu moins nombreux et plus riches, parce qu’ils accaparent les richesses de notre pays.
Face à ce pillage indistinct des riches, nous avons été obligés d’exprimer notre parole dans cette Sixième Déclaration avec l’objectif d’unir nos luttes, pour marcher ensemble quelles que soient notre couleur, notre opinion et notre race.
Nous sommes des travailleurs de la campagne et de la ville qui avons les capacités physiques et les connaissances pour produire et fabriquer ce dont a besoin notre société. En voyant cette immense capacité des hommes et des femmes de la campagne et de la ville, nous sommes capables de produire des richesses pour maintenir notre pays. C’est pour cela que nous croyons que la solution de cette grande injustice que nous souffrons est de notre côté, et elle est entre nos mains parce que de la part du gouvernement, nous avons vu que nous ne pouvions rien espérer de bien.
Pendant ces siècles d’humiliations et de mensonges, les riches se sont enrichis aux dépens des travailleurs de la campagne et de la ville. À la campagne, nous devons supporter les bas prix des produits et à la ville on souffre du chômage et des bas salaires.
Pendant tout ce temps nous avons tous cherché une solution séparément, et comme réponse à cela, nous avons eu les sarcasmes, les tromperies les répressions, les emprisonnements, les tortures et les disparitions. Ces sombres histoires de luttes par lesquelles nous sommes passés n’ont pas été le meilleur chemin et elles ne doivent plus se répéter.
Est-ce que par hasard nous devons recommencer cinq cents ans de résistance contre l’oubli et la marginalisation ? Est-ce que par hasard nous sommes prêts à supporter encore des années les politiques corrompus et vendeurs de patrie ? Ils nous ont démontré que la lutte contre les injustices et pour nos droits nous a valu d’être accusés et poursuivis comme des délinquants et des traîtres de la patrie.
C’est ça qui est arrivé réellement et continue d’arriver dans notre pays et nous ne devons plus permettre qu’ils continuent avec leurs projets de mort.
Parce que l’heure est arrivée d’unir nos forces, nos luttes, nos pensées, nos idées, nos cœurs, notre foi, nos espoirs de vivre un jour le changement de la vie réelle. Nous connaissons le risque et le prix que cela peut nous coûter à nous, les zapatistes, mais nous avons décidé de l’assumer. Peu importe ce qui peut arriver si c’est le prix à payer pour en finir avec les injustices.
Nous reconnaissons aussi les expériences qu’ont eues toutes les luttes de toutes les organisations et mouvements sociaux pendant tout ce temps et nous croyons que chaque organisation a eu la capacité de planifier et organiser un mouvement.
Vous avez évolué dans la pratique organisatrice de chaque mouvement, réalisée par chaque organisation, et ces expériences nous devons les rendre plus grandes à partir d’aujourd’hui.
Nous renouvelons notre appel à lutter ensemble face à un ennemi commun, en tenant compte du long chemin de la résistance, et à ne pas tomber dans le conformisme, la concurrence, le divisionnisme et la corruption. Nous ne devons jamais permettre que les vœux des ennemis se réalisent.
Nous devons lutter et nous devons imposer les désirs des exploités.
C’est notre parole.
Traduit par Cybèle.