Nous sommes ce que vous avez fait de nous.
De votre ignorance est né ce que nous sommes.
De nous avoir confinés en des milieux sales et nauséabonds,
Entre vos décharges, et vos stations d’épuration,
Entre vos autoroutes, et vos chemins de fer…
De nous avoir considérés comme des chiens,
Nous avons appris à aboyer.
Mais le chien a fréquenté le loup et l’oiseau :
Du loup, nous avons pris la meute, de l’oiseau la liberté.
Vous nous haïssez, car la meute vous fait peur, et la liberté vous rend jaloux,
De la meute, nous avons pris l’esprit de famille qui vous manque tant.
De la liberté, nous avons pris l’envie de vivre alors qu’elle vous étouffe…
Chassés comme des animaux, esclaves des seigneurs, exilés dans les colonies, déportés dans les camps, brûlés dans les fours,
Que voulez-vous que nous soyons, à part un peuple meurtri ?
Que vous avons-nous fait, pour être ainsi des parias ?
À grands coups de loi, vous nous envoyez dans les méandres d’hypothétiques parkings.
Vous vous noyez dans vos préjugés, rejetés dans l’ombre de votre certitude à notre égard, ignorés pendant des siècles.
Prisonniers de votre carcan de sédentaire, que savez-vous de nous à part les on-dit ?
Vous êtes vous approchés de nous ?
Avez-vous mangé le pain à notre table ?
Écouté nos paroles ?
Vu notre travail ?
Non !
Alors pourquoi nous traiter de la sorte ?
Vous dites :
« Vous avez des devoirs puisque vous êtes français ! »
Cela revient comme des leitmotive dans vos propos.
Mais parlons de nos droits, pour voir, avant :
Sont-ils les mêmes que les vôtres ?
Vous voulez comparer, alors comparons :
Vous avez une carte d’identité valable dix ans,
Nous avons un carnet de circulation, valable trois mois.
Vous changez de commune, où se trouve votre habitation, vous votez six mois après.
Nous changeons de commune de rattachement, nous votons trois ans après.
Vous achetez un terrain, vous y mettez votre maison, vous y restez le temps que vous voulez.
Nous achetons un terrain, nous y mettons notre caravane, nous devons partir au bout de trois mois.
Pas plus de trois mois dans l’année : c’est la loi !
Je crois voir dans ces quelques exemples, et il y en a d’autres, des légères différences.
Pas vous ?
Plus de cinquante pour cent d’illettrés chez nous. Pourquoi ?
L’éducation nationale ne joue pas son rôle, reléguant nos enfants au fond de classes surchargées, sous la houlette de maîtres et de maîtresses plus ou moins conciliants.
Serons-nous le fléau de demain ? Comme se plaisent à le dire certains élus ?
Ou serons-nous intégrés à votre société en gardant nos coutumes ?
Pourrons-nous être véritablement en harmonie avec vous ?
Pourrons-nous vivre ensemble, côte à côte, chacun avec ses spécificités ?
Ou serons-nous toujours séparés par un fossé de votre mépris à notre égard ?
Nous (nous ?) sommes repliés sur nous-mêmes.
Nous vous avons fermé la porte
Avez-vous les clés pour l’ouvrir ?
Je doute que vous soyez prêts pour l’instant.
Écoutez-nous sans peur.
Regardez-nous sans crainte.
Parlez-nous sans haine.
Je ne suis qu’un simple vagabond sur cette terre, errant au gré de mes envies, voyageant pour des choses futiles, mais toujours dans un esprit de liberté.
Nous ne vous jugeons pas, vous vous jugez vous-mêmes.
Nous ne vous condamnons pas, vous vous condamnez vous-mêmes, en vous débattant dans de sordides histoires de droits de l’homme… Droits que vous avez inventés, mais que vous êtes incapables de respecter, par peur de l’autre, celui qui n’est pas sur votre modèle.
Ne cherchez pas à nous assimiler, d’autres ont essayé avant vous.
De peuple meurtri, nous sommes devenus un peuple révolté car, d’entre nous, maintenant, certains se lèvent pour crier haut et fort notre envie de respect, qu’il soit envers vous ou envers nous…
Le voyage est notre raison de vivre.
Nous forcer à nous arrêter reviendrait à tuer notre culture, qu’elle soit manouche, gitane, rom ou yéniche.
En vous imaginant lire ces phrases, je sens monter en vous de la colère teintée d’interrogation :
« Mais qui est-il pour nous parler de cette façon
Avec cette ironie particulière à son peuple ? »
Je vous dis ces choses sans hargne et sans reproche.
Ce n’est qu’un simple constat des périodes passées et présentes.
Qu’elles ne deviennent pas le futur !
Peut-être que votre regard sur nous changera.
Le nôtre sûrement, si vous le voulez.
Êtes-vous prêts à tendre la main ?
Nous attendrons que vous fassiez le premier pas.
Excusez-nous d’attendre, mais nous sommes devenus méfiants.
Nous avons trop souvent été déçus d’avoir tendu la main les premiers.
Voilà.
Ce sont quelques petites mises au point nécessaires avant tout dialogue.
C’est à vous de voir si nous pouvons commencer l’avenir.
Yvan Pierrot,
président de l’association Tsiganes et Voyageurs de Touraine