Il y a bien des lunes : nouvelle lune, toute nouvelle, comme se montrant à peine pour voir les ombres d’en bas, et alors…
Arrive lui-nous sommes. Sans avoir besoin de papiers de consultation ou de soutien, sa parole dessine les regards de ceux qui ici commandent, et à qui nous obéissons. Quand il a fini, nous regardons.
Le message des villages est clair, court, simple, frappant. Comme doivent être les ordres.
Nous, soldates et soldats, nous ne disons rien, nous regardons seulement et nous pensons : « C’est très grand. Cela n’est plus seulement à nous, ni seulement aux villages zapatistes. Ce n’est même pas seulement de ce coin, de ces terres. C’est de beaucoup de coins, de tous les mondes. »
— Il faut en prendre soin, disons-nous les toutes-nous sommes, et nous savons que nous parlons de cela, mais aussi de lui-nous sommes .
— Ça va bien se passer… mais il faut nous préparer à ce que ça se passe mal, comme c’est notre manière de faire, disons-nous les tous-nous sommes.
— Alors, il faut la préparer, elle, disons-nous les toutes-nous sommes, en prendre soin, la faire grandir.
— Oui, répondons-nous les tous-nous sommes.
— Il faut parler avec nos morts. Eux nous indiquerons le moment et le lieu, disons-nous, nous disons-nous les toutes-nous sommes.
En regardant nos morts, en bas, nous les écoutons. Nous leur apportons la petite pierre. Au pied de leur maison nous l’apportons. Ils la regardent. Nous les regardons la regarder. Ils nous regardent et emmènent notre regard très loin, où n’arrivent ni les calendriers ni la géographie. Nous regardons ce que leur regard nous montre. Nous nous taisons.
Nous revenons, nous nous regardons, nous nous parlons.
— Il faut prendre soin longtemps, préparer chaque pas, chaque œil, chaque oreille… Ça va prendre du temps.
— Il faudra faire quelque chose pour qu’ils ne nous regardent pas, et ensuite pour que, si, ils nous regardent.
— Déjà maintenant, ils ne nous regardent pas, ou ils regardent ce qu’ils croient qu’ils regardent.
— Mais c’est vrai, il faut faire quelque chose… C’est à moi, c’est mon tour.
— Que lui-nous sommes s’occupe des villages. Les tous-nous sommes, nous nous chargeons de prendre soin, bien, calmement, en silence, comme nous savons le faire.
*
Il y a quelques lunes, il pleuvait…
— Déjà ? Nous pensions que ça allait prendre plus de temps.
— Ben oui, mais c’est comme ça.
— Bon, maintenant, fais bien attention à ce que nous allons te demander. Ils veulent que vous vous retourniez pour les regarder ?
— Ils le veulent, ils se sentent forts, ils sont forts. Ils disent que cela est à tous, à toutes, à personne. Ils sont prêts, prêtes, disent-ils.
— Mais tu te rends compte que vont nous regarder non seulement ceux qui sont comme nous, mais aussi les Commandeurs d’un côté et de l’autre, qui haïssent et poursuivent ce que nous sommes ?
— Oui, ça rentre dans nos comptes, nous le savons. Notre tour, ton tour.
— Bon, il ne manque plus que le lieu et la date.
— Ici, et la main signale le calendrier et la géographie.
— Le regard que nous provoquerons avec cela ne sera plus celui de peine, de chagrin, de compassion, de charité, d’aumône. Il y aura de la joie chez ceux qui sont comme nous, mais de la colère et de la haine chez les Commandeurs. Ils vont nous attaquer avec tous leurs moyens.
— Oui, je leur ai dit. Ils se sont regardés, mais ils ont dit comme ça : « Nous voulons regarder et nous regarder avec ceux que nous sommes, même si nous ne savons pas, s’ils ne savent pas, qu’ils sont ce que nous sommes. Qu’ils nous regardent, c’est ça que nous voulons. Pour les Commandeurs, nous sommes paré•e•s, prêts et prêtes, nous le sommes. »
— Alors quand, où ? Cartes et calendriers sont mis sur la table.
— La nuit, quand pointera l’hiver.
— Où ?
— Dans votre cœur.
— Tout est prêt ?
— Tout est prêt, ça marche.
— Bon.
Chacun à sa tâche. Nous nous sommes seulement serré la main. Il n’y a pas eu besoin de plus.
*
Il y a quelques nuits, la lune dévoilée et délavée…
— Ça y est. Ils sont là, ceux que nous regardons. Pour la partie qui suit, ça va être l’affaire d’autres regards. C’est à toi, avons-nous dit à lui-nous sommes .
— Je suis paré, prêt, je le suis, dit lui-nous sommes .
Les tous-nous sommes , nous avons acquiescé en silence, comme c’est notre manière.
— Quand ?
— Quand parlent nos morts.
— Où ?
— Dans votre cœur.
*
Février 2013. Nuit. Lune en quartier montant. La main que nous sommes écrit :
« Compañeroas, compañeras et compañeros de la Sexta,
Nous voulons vous présenter l’un des nombreux lui que nous sommes, notre compañero le sous-commandant insurgé Moisés. C’est lui qui veille sur notre porte et dans sa parole nous parlons aussi tous et toutes tant que nous sommes. Nous vous demandons de l’écouter, c’est-à-dire de le regarder, et ainsi de nous regarder. (…) »
Depuis n’importe où, dans n’importe lequel des mondes.
SupMarcos
Planète Terre.
Février 2013.
P-S QUI AVERTIT ET DONNE DES PISTES : Le texte qui vient ensuite et qui paraîtra sur la page électronique d’Enlace Zapatista ce 14 février, jour où nous les zapatistes nous honorons et saluons nos mort•e•s, est principalement pour nos compañeros, compañeras et compañeroas de la Sexta. Le texte complet ne pourra se lire qu’avec un mot de passe (pour lequel nous avons donné plusieurs pistes et qui peut se déduire), qui a été envoyé par courrier électronique partout où nous l’avons pu. Si vous ne l’avez pas reçu et que vous ne trouvez pas la solution (vous pouvez la trouver en lisant attentivement ce texte et le précédent, « Regarder et communiquer »), il vous suffit d’envoyer un courrier à la page web, et le mot de passe sera envoyé à l’expéditeur. Comme nous l’avons déjà expliqué à de précédentes occasions, les médias libres le sont aussi de publier ou non le texte complet en fonction de leurs propres considérations autonomes et libertaires. Même chose pour n’importe quelle compañera, compañero et compañeroa de la Sexta de n’importe quelle géographie. Notre aspiration n’est autre que de vous faire savoir que c’est à vous que nous nous adressons et, de façon tout à fait spéciale, à qui vous déciderez de placer de l’autre côté du pont de notre regard.
B Side Players depuis San Diego (Califas), avec la chanson Nuestras demandas.
B Side Players est formé par Karlos « Solrak » Páez, voix et guitare ; Damián DeRobbio, basse ;
Luis « El General » Cuenca, percussions et voix ; Víctor Tapia, congas et percussions ;
Reagan Branch, sax ; Emmanuel Alarcón, guitare, cuatro portoricain et voix ;
Aldo Peretta, charango, tres cubain, jarana de Veracruz, ronroco, cuatro vénézuélien, kena, zampoña ;
Russ Gonzales, saxo ténor ; Mike Benge, trombone ; Michael Cannon, tambours ;
Camilo Moreno, congas et percussions ; Jamal Siurano, saxo alto ;
Kevin Nolan, trombone et trompette ; Andy Krier, clavier ; Omar López, basse.
Une version très spéciale de l’Hymne zapatiste, musique et voix de Flor del Fango.
Le groupe musical Flor del Fango a été formé de : Marucha Castillo, chanteuse ; Ana Carril Obiols, chanteuse ;
Napo Romero, chant, guitare, charango et quena ; Alejandro Marassi, basse, chant, chœurs et guitarrón ;
Daniel Jamet « el Peligroso », guitares flamenca, folk et électrique, et cuatro ;
Sven Pohlhammer, guitares électrique, électro-acoustique, synthé, cavaquinho et mandoline ;
Philippe Teboul « Garbancito », chant, batterie, percussions, chœurs ;
Patrick Lemarchand, batterie et percussions ; Martine Longan, coordination.
Traduit par El Viejo.
Source du texte original :
Enlace Zapatista
Messages
1. Eux et nous VI. Les regards (V), 15 février 2013, 23:15, par Maya
Nous sommes, toustes-nous sommes ! lui-nous sommes ! elle-nous sommes ! Nous sommes ! Enfin nous sommes ! Depuis toujours nous sommes ! Encore et toujours nous sommes ! Je nous-lui-elle regarde du fond de mon âme, je nous-elle-lui écoute, je lui-elle-nous entends, je elle-nous-lui reconnais, J’entends ce silence qui nous parle et nous donne la bonne direction pour le bon chemin,... Maya