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Commune(s) 1870-1871

dimanche 14 février 2021, par Jérôme Quaretti

Quentin Deluermoz
Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle
Seuil, « L’univers historique », 2020, 440 pages

Rares sont les ouvrages qui apportent à ce point un renouveau historiographique autour de la Commune ! Après Jacques Rougerie, Jeanne Gaillard, Robert Tombs (et quelques autres), ou encore les trois grands colloques français organisés depuis 1996, Quentin Deluermoz propose du nouveau sur le mouvement communaliste de 1870-1871 en nous offrant un tour du monde de l’événement qui dura non pas 80 mais 72 jours…

Le contenu de son livre est parfaitement résumé dans son titre Commune(s) 1870-1871 avec le « s » du pluriel entre parenthèses qui évoque non seulement la Commune de Paris et les communes de province, mais aussi la pluralité de leurs descriptions, de leurs perceptions et de leurs interprétations contemporaines puis postérieures (versaillaises, libérales, impérialistes, marxistes, libertaires, etc.). Et c’est précisément ce à quoi s’attelle l’auteur. Pour les « grandes » communes de province, il ne s’attarde que sur les incontournables communes « emboîtées » de Lyon, déjà connues, et délaisse (de mon point de vue à tort) celles non moins intéressantes de Marseille et de Narbonne pour évoquer pertinemment celle d’Alger, pour étudier — avec malice — celle de Thiers (la ville !), mais aussi pour s’attarder avec moins d’intérêt pour son sujet sur les événements de la Martinique…

Le sous-titre, « Une traversée des mondes au XIXe siècle », précise que cette étude est aussi une géographie historique de la réception d’un événement pluriel et polysémique considéré parfois seul, parfois en bloc avec la République issue du 4 septembre 1870. C’est que la Commune eut une portée mondiale. L’auteur en mesure ses échos dans la presse étrangère grâce à une impressionnante consultation de journaux issus de plusieurs continents. Par exemple et en schématisant, il y eut une surprenante récupération de la Commune par certains journaux des États-Unis qui, après 1871, sortaient tout juste de la guerre de Sécession. Cette transfiguration locale à des fins partisanes se retrouve aussi bien chez d’anciens nordistes que chez d’anciens sudistes ! Des sudistes accusèrent ainsi des nordistes d’être des communards car abolitionnistes de l’esclavage… Et des nordistes accusèrent des sudistes d’être des communards, car partisans d’un État confédéré, donc encore plus décentralisé que l’État fédéral. Pire : certains vociférèrent même que la Commune était un « french Ku Klux Klan », car ils étaient tous les deux un « symbole d’anarchie et d’arrogance » !!! (p. 88-89.) Étonnant, non ?

Le flux des dépêches de l’agence Reuters est quant à lui judicieusement mis à profit avec de belles cartes pour démontrer que la Commune fut « un événement médiatique global ». D’une manière atypique, la place de la Commune est aussi mesurée à l’aune du droit international ou des enjeux diplomatiques de l’époque… Dans une approche transnationale, Quentin Deluermoz complète sa géographie historique par différents parcours qui vont des garibaldiens de l’armée des Vosges aux militants de l’[bleu violet]AIT[/bleu violet] en passant par les Allemands, les Belges et autres Polonais de Paris… Tous combattaient « au nom de la République universelle ». Les idées de la Commune eurent aussi une influence en Amérique latine et surtout en Espagne au moment de sa Ire République.

Jouant sur les échelles, l’auteur nous fait ensuite voyager et loger si l’on peut dire « chez l’habitant ». La Commune de Paris est décrite au plus bas, dans les quartiers. On passe ainsi de la macro à la micro-histoire. « C’est la Commune vive ! » que l’auteur tente ici de ranimer non pas avec une prétention d’histoire totale mais par petites touches successives qui, autonomes (voire indépendantes) et reliées les unes aux autres, apportent un tableau impressionniste du mouvement communaliste.

De l’espace, on passe ensuite au temps pour aborder dans un essai érudit la Commune dans ses temporalités proches (la Révolution française), profondes (les communes médiévales), mais aussi dans celles perçues par ses partisans comme ses détracteurs versaillais, car il y eut bel et bien aussi une guerre des temps entre Paris et Versailles. « Les accusations croisées d’anachronisme en sont sans doute la meilleure illustration. » Pour la Commune, les versaillais représentent l’Ancien Régime, l’omniprésence de la religion, la réaction. Pour Versailles, les communards sont les relents modernes de la Terreur de 1793 et des pulsions populaires incontrôlables (p. 202-203). Quentin Deluermoz continue, tel un anthropologue du temps, à nous surprendre : « Tentons donc de “comparer l’incomparable”, avec toutes les réserves possibles, dans le cadre d’un “comparatisme de type expérimental et constructif” » (p. 222-223), écrit-il, en apportant des réflexions fécondes sur la place unique de la Commune au sein des sociétés étatiques et capitalistiques européennes. Cette forme d’organisation politique communaliste pourrait ainsi contenir une part de « non-moderne » démocratique, antiautoritaire, à tendance égalitaire qui s’imbriquerait « au moderne » de cette époque (p. 225). Je trouve cette tentative de « comparer de l’incomparable » très stimulante, car bien délimitée par l’auteur. Empruntée au titre d’un ouvrage de Marcel Detienne, cette notion peut apporter beaucoup. Avec Gilbert Larguier, nous l’appelions déjà de nos vœux en 2000 [1]. Quel plaisir de la voir aujourd’hui développer de cette manière !

En France, cette « troisième révolution du XIXe » permet enfin paradoxalement de renforcer l’État libéral dans notre pays, mais aussi dans beaucoup d’autres à deux niveaux : l’international avec, par exemple, davantage de coopération interétatique pour la surveillance des communards exilés puis, avec le national, en accélérant les phénomènes de scission politique au sein des « partis » libéraux, républicains, radicaux qui s’entredéchirèrent face à la Commune (p. 284). Autre effet paradoxal : une plus grande structuration du mouvement ouvrier après 1880 involontairement engendrée par l’imaginaire péjoratif du complot prémédité et organisé de l’AIT pour expliquer l’émergence de la Commune (p. 273).

Ce livre est riche de bien d’autres aspects et réflexions qui n’ont pu ici être traités. Il est stimulant car il se place à la pointe de l’historiographie actuelle d’« un événement bref mais profond survenu dans cette ville monde du XIXe siècle ». Dans le flot des (re)parutions du 150e anniversaire, voici une publication peu commune qui décrit, dissèque, voire transcende cette anomalie « légale » (p. 73-77), spatiale, historique que fut cet « espoir mis en chantier ».

Jérôme Quaretti
Source : [bleu violet]Faisons vivre la Commune ![/bleu violet]
12 février 2021.

Photographie :
[bleu violet]Pierre-Ambroise Richebourg[/bleu violet]

Notes

[1Gilbert Larguier, Jérôme Quaretti (sous la direction de), La Commune de 1871 : utopie ou modernité ?, Presses universitaires de Perpignan, 2000.

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