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Du plantón de Molino de Flores

Voyage au creux d’une zone autonome
ou comment occuper le béton le long des murs d’une prison

Lettre de Mexico

jeudi 18 septembre 2008, par Tomaz

Je ressors d’un nouveau passage au cœur d’une de ces utopies qui font rêver tou.te.s les chercheur/euse.s d’oxygène dans un monde bien pourri. Entrer quelques heures, quelques nuits dans l’intimité d’un campement installé au pied d’une prison comme un poing levé perpétuellement devant la gueule de la répression fasciste des gouvernements mexicains. Se coucher toute les nuits avec dans la tête le plan des environs pour savoir par où traverser la rivière en contrebas si jamais arrivent les flics pour évacuer les lieux... Passer la journée à espérer que les ami.e.s prisonnier.es politiques puissent sortir de cet enfer, et s’entendre dire chaque jour que nan, pas question, ici on va vous faire payer votre impudence, bande de rebelles de mes deux ! Et même quand arrive la fin d’un ultimatum qui te fait croire que si vous allez pouvoir enfin vous serrer dans les bras, ben re-nan, va te faire foutre. Putain d’État implacable, prêt à faire payer les gens qui osent s’organiser contre sa politique scandaleuse d’appropriation des terres communales.

Donc voilà, après avoir passé deux jours à filer un tout petit coup de main aux compas qui sont installés depuis vingt-sept mois aux abords de la porte d’entrée de la prison Molino de Flores. Paske maintenant les enfoirés de tiras viennent pendant la nuit s’installer à quelques mètres en faisant claquer leurs bottes de merde. Paske niveau moral, quand t’apprends que tes compas viennent de se prendre trente et un ans de taule ferme sans avoir commis le moindre délit sinon celui de défendre leur terre, c’est plutôt dur. Paske quand en plus les trois seuls qui auraient pu sortir en échange du paiement d’une lourde amende ne pourront pas, ouiiiiii... mais non !, le ministère public ne va tout de même pas accepter que ça se passe si facilement. Et puis de toute façon, paske s’improviser un campement dans la pluie, le vent et le froid du plateau de l’État de Mexico, à côté de Texcoco, c’est vachement chaud. Et donc quand tu passes dans le coin, ben, tu t’arrêtes pour montrer un peu de soutien et pour relayer un peu tes potes qui, jour et nuit, montent la garde pour pouvoir continuer de montrer leur soutien aux hommes et aux femmes privés de dignité de la manière la plus brutale y a plus de deux ans. Ou comment construire collectivement une réponse fondamentalement révolutionnaire à la plus basse des attaques.

En gros, ben le plantón qui s’est construit au lendemain des événements d’Atenco de mai 2006 est un exemple formidable de solidarités multiples... Depuis la première fois où j’ai mis les pieds dans les tentes qui luttent silencieusement contre l’isolement des compagnes et compagnons qui souffrent les conséquences de la répression orchestrée par un État fédéral fasciste, le campement s’est développé, s’est agrandi, s’est organisé et continue à lutter au jour le jour. Enraciné dans la rage et la révolte, cet espace récupéré à la propriété de l’État de Mexico continue à voir passer les individus qui, chacun à sa manière, alimentent sa survie. De la doña d’en face qui envoie son fils filer un peu de pain et quelques fruits aux ami.e.s qui continuent à lutter, au voisin qui permet le ravitaillement en eau du campement précaire, tu te sens au c ?ur d’un réseau de relations de soutien mutuel incroyable, qui te fait oublier l’apathie dans laquelle beaucoup sont plongés. Paske presque tous les soirs débarque un groupe de quatre personnes qui viennent assurer les deux premières gardes de la nuit. Autrement dit, des gens qui prennent leur bagnole pour sortir de la ville-monstre du DF, roulent deux heures pour ensuite rester debout pendant que les « permanents » se reposent de la garde de jour... et puis s’en vont à l’aube, à 6 heures du mat’, pour se reposer encore un peu avant de continuer leur vie quotidienne. Paske chacun a mis un peu de ses compétences pour souder le panneau de basket, pour construire la toilette sèche, pour monter les énormes tentes qui devraient empêcher les pluies diluviennes de la saison des pluies d’inonder les modestes chambres de toiles, pour imaginer la construction des divans à base de planches, de sièges de bagnole et de cordes. Et puis les concerts de solidarité, les mobilisations, le soutien laborieux aux avocats du Collectif des avocats zapatistes qui se charge des dossiers, le matériel autoproduit et vendu pour récolter les fonds nécessaires au plantón mais, surtout, aux nécessités des compagnes et compagnons qui sont de l’autre côté des barbelés.

Et puis, évidemment, l’organisation du camp, autogérée et autonome de n’importe quelle institution, et qui ne croit qu’en l’Autre Campagne lancée par les zapatistes en juin 2005. Un endroit où quiconque vient pour filer un coup de main est bienvenu s’il ne s’agit pas en suivant un quelconque intérêt personnel ou partidaire. Un endroit très simple, en somme, où chacun met la main à la pâte pour cuisiner, pour balayer, pour arracher du fond des vieilles poêles les restes du riz collé de la veille. Pendant que les heures passent, qu’on espère que les choses avancent dans le bon sens mais qu’en fait très rares sont les occasions de se réjouir... Un camp où chaque espace libre - ou presque - est occupé par les graffitis qui réclament la libération des prisonniers politiques, la dissolution des partis politiques, la solidarité avec les communautés rebelles du Chiapas, la condamnation des hommes politiques qui ont organisé et justifié l’utilisation de la répression à Atenco et à Texcoco... Un de ces endroits du monde dans lequel chaque bulle d’air apporte une bouffée d’espoir face à la violence, à l’individualisme, au profit et à l’exploitation que promeut le capitalisme. Ici j’ai oublié les lectures, les discours des beau-parleurs et l’égocentrisme des rois/reines de la politique - fussent-ils/elles alternativo-altermondialistes ; ici je ne vois que de la pratique, c’est de l’expérimentation politique permanente, de l’improvisation pensée pour résister de manière la plus contondante qui soit au système dans lequel nous vivons enfermés la plus grande partie du temps. Incroyable, vraiment !

Voilà, j’ai pas beaucoup de temps sur moi pour vous raconter plus, je viens de redescendre au Chiapas pour la pièce de théâtre qu’on a faite pour les prisonniers politiques du monde entier, et puis ben à côté de ça y a plein de pain (fait maison) sur la planche ici : un centre libertaire qui part en couille, une maison qu’il faut continuer d’aménager, des chiots à distribuer, quelques entretiens à organiser et, dans quelques jours, je refile au Guatemala pour continuer à apprendre à construire des vélo-machines... Mais, une fois n’est pas coutume, j’ai dû prendre quelques heures de ma courte nuit (puisque demain à 6 h 30 on doit se taper le travail communautaire du village ou on vit) pour vous envoyer quelques nouvelles de cet endroit incroyable qu’est le plantón de Molino de Flores.

Je pense évidemment bien fort à vous tou.te.s, tout le temps, et davantage encore lorsque je me retrouve au centre d’une de ces zones récupérées par les peuples qui luttent contre le capitalisme qui ravage notre planète.

Prenez soin de vous, et portez-vous au mieux, très affectueusement,
t. [le 1er septembre 2008]

¡Atenco vive !

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