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Voyage au centre de l’autonomie triqui

lundi 29 janvier 2007, par Francisco López Bárcenas

Peu avant d’arriver à San Juan Copala, une banderole accrochée à l’entrée de la piste encaissée qui relie cette communauté avec la route menant aux communes de Juxtlahuaca et de Putla attire notre attention. Il y est écrit : « Bienvenue à la commune autonome de San Juan Copala ». À mesure que nous descendons une pente très raide, les habitants font leur apparition. D’abord les enfants et les femmes, puis les hommes. Nous poursuivons jusqu’au centre du village, où se trouvent l’église et la mairie, dont la façade ne s’orne plus de l’écriteau « Agence municipale » qui signalait le statut conféré à San Juan Copala par le gouvernement, remplacé aujourd’hui par un autre, sur lequel on lit « Commune autonome de San Juan Copala », car c’est ce que les Triquis ont fait de ce Chama’a, centre névralgique de la basse région triqui. Nous sommes le 20 janvier, date choisie par ces communautés pour annoncer au monde ce qui les a poussées à opérer un tel changement et ce qu’elles en attendent. C’est qu’en plus des communautés copalas, près de vingt autres communautés de la région sont de la fête.

En effet, la célébration tient plus d’une fête de village que d’une cérémonie politique officielle. Peu de discours incendiaires, c’est la participation des gens rassemblés là qui compte. Les Triquis, les femmes venues en plus grand nombre que les hommes, portent leurs plus beaux atours, bien que la tension et la crainte restent visibles. On les comprend aisément : les jours précédents, alors qu’ils étaient en pleins préparatifs pour la cérémonie d’aujourd’hui, ils ont essuyé des coups de feu, tirés par leurs adversaires politiques, et quelques heures plus tard, Roberto García Flores, originaire de la communauté Unión de Los Angeles, a été assassiné alors qu’il se rendait à Copala pour participer à cette manifestation, dont personne n’ignore que la portée est historique.

La cérémonie a incontestablement un caractère politique, mais ses acteurs ont une manière bien à eu de s’exprimer dans de telles circonstances, ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’ils tiennent à être autonomes. Elle a commencé par l’annonce des personnes qui allaient présider la célébration, des dirigeants de communautés qui se considéraient mutuellement rivaux, il y a quelques mois encore, embarqués dans une lutte sans merci. L’estrade rassemblait donc côte à côte les dissidents du Mouvement d’unification et de lutte triqui (MULT), qui avaient scissionné pour créer leur propre Mouvement d’unification et de lutte triqui-indépendant (MULTI), et les membres de l’Unité pour le bien-être social de la région triqui (Ubisort), qui ont quitté le PRI, jugeant que ce parti les négligeait au profit du MULT.

Le temps fort de la journée est arrivé quand le conseil des anciens a prié les autorités municipales autonomes récemment élues de se présenter aux habitants, après quoi le « majordome », le maître de cérémonie, leur a confié le bâton de commandement qui les consacre véritablement comme les autorités de la nouvelle commune autonome. Ensuite, on a donné lecture des raisons qui ont poussé à créer cette commune autonome ainsi que des tâches qui en découlent. Pour conclure, muni du symbole du pouvoir, le « président municipal » a prononcé un discours dans sa langue maternelle, bref mais imposant, appelant à l’unité des communautés triquis et à la lutte pour garantir la sécurité (des habitants) dans la région.

La foule l’a écouté avec attention dans un silence total. Il s’agit en effet d’une tentative d’unité inédite afin d’en finir avec le climat d’insécurité et de violence dont souffre cette région, mais aussi de surmonter définitivement les différends pour travailler ensemble à améliorer les conditions de vie. L’affaire est importante car les habitants démontrent de la sorte qu’ils ne s’opposent pas au gouvernement en place pour le déposer mais parce que celui-ci les empêche d’être ce qu’ils veulent être. C’est l’autonomie qu’ils visent, pas la rébellion. La cérémonie terminée, ils ont d’ailleurs tenu à déclarer qu’ils voulaient entamer un dialogue avec le gouvernement, mais en tant que commune à part entière et selon leurs coutumes. Ils poursuivent ainsi leur combat pour retrouver la juridiction locale et les compétences politiques que les métis leur avaient arrachées des années auparavant pour les soumettre à leurs propres intérêts.

Cependant, tout le monde ne l’entend pas de la même façon. Le MULT, l’organisation fondée il y a vingt-trois ans pour fomenter l’unification du peuple triqui, a pris la parole pour critiquer la création de cette commune autonome et a mis en doute l’honnêteté des personnes à l’origine de cette initiative. Sans être très clairs à ce sujet, ses membres laissent entendre qu’ils s’y opposent et qu’ils constitueront donc un obstacle sérieux pour que la nouvelle commune parvienne à ses fins. D’autre part, la municipalité de Santiago Juxtlahuaca, en collaboration avec le gouvernement de cet État, tente de faire pression sur les promoteurs de cette commune autonome en les achetant ou ne les menaçant si cela ne suffit pas.

Dans ces conditions, les Triquis sont divisés. D’un côté, ceux qui sont en faveur de l’autonomie tournent le dos à leur tradition indigène pour construire l’avenir, tandis que, de l’autre côté, ceux qui étaient à l’origine de la lutte pour l’indépendance en appellent maintenant aux instances officielles, s’étant eux-mêmes transformés en un parti politique local pour atteindre leurs objectifs. Quoi qu’il en soit, on ne pourra pas nier que la création de la commune autonome de San Juan Copala fait secouer le centre de cette région et bouleverse la situation politique.

Francisco López Bárcenas

La Jornada, Mexico, le 26 janvier 2007.

Traduit par Ángel Caído.

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