D’une des maisons d’Ixchel, la mère de l’amour et de la fertilité, la grand-mère des plantes et des animaux, la mère jeune et la mère vieille, la rage en laquelle se transforme la douleur de la terre lorsqu’elle est blessée et souillée, partira La Montagne.
Une des légendes mayas raconte qu’Ixchel s’est étendue sur le monde sous la forme d’un arc-en-ciel. Elle l’a fait pour donner à la planète une leçon de pluralité et d’inclusion, et pour lui rappeler que la couleur de la terre n’est pas une, mais multiple, et que toutes, sans cesser d’être ce qu’elles sont, illuminent ensemble la merveille de la vie. Et elle, Ixchel, la femme arc-en-ciel, embrasse toutes les couleurs et en fait une part d’elle-même.
Dans les montagnes du Sud-Est mexicain, dans la langue racine maya des plus anciens des anciens, on raconte une des histoires d’Ixchel, mère-lune, mère-amour, mère-rage, mère-vie. Le Vieil Antonio parle ainsi :
« De l’est sont venus la mort et l’esclavage. C’est ainsi que c’est arrivé, et tant pis. On ne peut rien changer à ce qui est passé. Mais Ixchel a dit :
“Que demain à l’est voguent la vie et la liberté dans la parole de mes os et mes sangs, de mes enfants. Qu’une couleur ne commande pas. Qu’aucune ne commande pour que personne n’obéisse et que chacun soit ce qu’il est avec joie. Parce que la tristesse et la douleur viennent de ceux qui veulent des miroirs et non des vitres pour où regarder tous les mondes que je suis. Avec rage, il faudra briser sept mille miroirs jusqu’à ce que la douleur s’apaise. De nombreuses morts feront souffrir pour qu’enfin la vie soit le chemin. Que l’arc-en-ciel couronne alors la maison de mes enfants, la montagne qui est la terre de mes successeurs.”
Quand l’oppression est arrivée en métal et en feu sur le sol maya, le Ts’ul, celui qui est venu de loin, a vu de nombreuses figures de la déesse arc-en-ciel et a ainsi nommé cette terre : Isla Mujeres.
Un matin du futur, lorsque la croix parlante invoquera, non pas le passé, mais ce qui est à venir, la montagne naviguera jusqu’à la terre du Ts’ul et accostera devant le vieil olivier qui donne de l’ombre à la mer et leur identité à ceux qui vivent et travaillent sur ces rivages. »
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Le 3 mai de l’an 21 du XXIe siècle, depuis Isla Mujeres, Quintana Roo, au Mexique, La Montagne appareillera pour traverser l’Atlantique en un voyage qui tient beaucoup du défi et n’a rien d’un reproche. Au sixième mois du calendrier devraient être en vue les côtes du port de Vigo (Ciudad Olivica), Pontevedra, dans la Communauté autonome de Galice, dans l’État espagnol.
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S’il est impossible de débarquer, soit à cause du Covid, de la migration, de la discrimination pure et simple, du chauvinisme, ou parce qu’on s’est trompés de port ou la hostia, on est préparés.
On est prêts à attendre sur place et on déploiera, au large des côtes européennes, une grande banderole qui dira « Réveillez-vous ! ». On attendra de voir si quelqu’un lit le message, puis de voir si effectivement il se réveille, et enfin de voir s’il fait quelque chose.
Si l’Europe d’en bas ne veut pas ou ne peut pas, alors, prévoyants, nous avons avec nous quatre canoës avec leurs rames respectives et nous prendrons le chemin de retour. Bien sûr, ça nous prendra un peu de temps pour apercevoir à nouveau les rivages de la maison d’Ixchel.
Les canoës représentent quatre étapes de notre être en tant que zapatistes :
Notre culture en tant que peuple originaire d’ascendance maya. C’est le plus grand canoë dans lequel les trois autres peuvent être rangés. C’est un hommage à nos ancêtres.
L’étape de la clandestinité et du soulèvement. C’est le canoë qui suit le premier en taille, et c’est un hommage à ceux qui sont tombés à partir du 1er janvier 1994.
L’étape de l’autonomie. C’est le troisième en taille, du plus grand au plus petit, et c’est un hommage à nos peuples, régions et zones qui, en résistance et en rébellion, ont construit et continuent de construire l’autonomie zapatiste.
L’étape de l’enfance zapatiste. C’est le plus petit canoë que les garçons et les filles zapatistes ont peint et décoré avec les figures et les couleurs qui leur chantaient.
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Mais si nous parvenons à débarquer et à embrasser avec nos mots ceux qui luttent, résistent et se rebellent là-bas, alors il y aura fête, des danses, des chants, et les cumbias et les hanches feront trembler des sols et des cieux lointains.
Et, des deux côtés de l’océan, un bref message inondera tout le spectre électromagnétique, le cyberespace et fera écho dans les cœurs :
вторгнення почалося
bosqinchilik boshlandi
a invasión comezou
Die Invasion hat begonnen
istila başladı
la invasió ha iniciat
l’invasione hè principiata
invazija je započela
invaze začala
инвазията е започнала
invasionen er startet
invázia sa začala
invazija se je začela
la invado komenciĝis
the invasion has started
invasioon on alanud
inbasioa hasi da
hyökkäys on alkanut
l’invasion a commencé
mae’r goresgyniad wedi cychwyn
η εισβολή έχει ξεκινήσει
tá an t-ionradh tosaithe
innrásin er hafin
l’invasione è iniziata
بدأ الغزو
êriş dest pê kiriye
iebrukums ir sācies
prasidėjo invazija
d’Invasioun huet ugefaang
започна инвазијата
bdiet l-invażjoni
de invasie is begonnen
invasjonen har startet
حمله آغاز شده است
rozpoczęła się inwazja
a invasão começou
invazia a început
вторжение началось
инвазија је започела
invasionen har börjat
“La invasión ha iniciado”
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Et peut-être, juste peut-être, qu’Ixchel, déesse de la lune, sera alors un luminaire sur notre chemin et, comme en cette aube, lumière et destin.
Dont acte.
Depuis le Centre d’entraînement maritime-terrestre zapatiste
Semillero Comandanta Ramona. Zone Tzotz Choj.
Le SupGaleano.
Mexique, 26 avril 2021. Pleine lune.
bande-son de la vidéo : Te llevaré, Lisandro Meza.
Traduit de l’espagnol (Mexique)
par Joani Hocquenghem
Texte d’origine :
Enlace Zapatista
Messages
1. La route d’Ixchel, 1er mai 2021, 15:19, par magali moineau
Bonjour Amis du Chiapas,
Nous faisons passer le message de votre venue, en attendant, nous buvons le café de" chez vous, en regardant l’esquif magique qui vous représentent sur le paquet !
Nous suivons vos aventures, réflexions, chagrins et joies, grâce aux écrits et interviews de Jérôme Baschet et à « la voie du jaguar ». Nous admirons, vous nous apportez de l’espoir.
Nous avons un long chemin à faire, ici en Europe, pour retrouver l’esprit communautaire et le courage qui vous animent, mais ça viendra, puisque c’est nécessaire.
Nous habitons dans le sud de la France, et si vous cherchez à faire étape par_là à un moment de votre périple, nous serons très heureux de vous accueillir et vous rencontrer.
Bon vent !
Magali Moineau, une simple personne intéressée par tout ce qui va dans le sens de la vie.