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La Marche de la couleur de la terre

Témoignage et réflexion d’une caravanière internationale

avril 2001

Impressions de la caravane zapatiste

Depuis février 96, les Accords de San Andrés, pourtant signés par le gouvernement (également connus comme loi Cocopa), n’ont toujours pas été transformés en réforme constitutionnelle qui garantisse les respect des us et coutumes indiennes. Dans ces conditions, le dialogue entre les zapatistes et le gouvernement était suspendu. Comme le nouveau président, Fox, du Parti d’action nationale, PAN (conservateur, néolibéral), s’était fait fort de résoudre le conflit en 15 minutes s’il était élu, les zapatistes décidaient de reprendre l’initiative avec cette caravane « de la couleur de la terre ». Il s’agissait de traverser tout le sud du pays pour arriver jusqu’à Mexico, et devant le Congrès, de défendre le vote de la réforme « droits et coutumes des peuples indiens ». Cette réforme constitue l’une des trois conditions (avec la libération prisonnièr-e-s zapatistes et le retrait de l’armée de certaines de ses positions dans le Chiapas) que l’EZLN a fixées pour reprendre le dialogue et aboutir peut-être, enfin, à une paix juste.

La défaite électorale du PRI l’année dernière, pour la première fois en soixante-dix ans, qui inaugure une certaine forme de « respect du vote », donne un peu d’espoir et peut être analysée comme un effet de la lutte zapatiste. En tout cas, comme Marcos l’a poétiquement souligné, à sept ans du début du soulèvement, les zapatistes affirment que s’ouvre un nouveau cycle : c’est l’heure de celles et ceux qui sont « de la couleur de la terre ». La caravane se mit donc en marche, avec plusieurs centaines de personnes qui accompagnaient les 4 commandantes et 19 commandants, civils, du CCRI (Comité clandestin révolutionnaire indien), et le sous-commandant Marcos, seul non-Indien et responsable militaire de l’EZLN, qui faisait ainsi sa première apparition publique en chair et en os hors du Chiapas. Il s’agissait d’un événement historique, inscrit à la fois dans le souvenir mexicain de Zapata marchant sur Mexico, et dans la lutte mondiale croissante contre le néolibéralisme qui tente sur son passage de broyer toutes les résistances.

La société civile, entre enthousiasme et passivité « forcée »

Une bonne partie de l’intérêt de la caravane, au-delà d’aller défendre l’application des Accords de San Andrés jusque dans la capitale et devant le Congrès, était la rencontre, sur le chemin, avec la société civile, nationale et internationale.

Malgré la couverture très insuffisante et tendancieuse des médias (par exemple, sur ordre venu d’en haut, les deux principaux canaux de télévision se sont abstenus de retransmettre en direct l’arrivée tant attendue des zapatistes sur le Zocalo de Mexico) et les risques qui planaient sur la caravane jusqu’au dernier moment (menaces d’attentats, provocations), la mobilisation de la société civile a été remarquable.

Dans tous les endroits traversés, les gens se massaient sur les places et le long des routes pour saluer les zapatistes et écouter leur parole, la population formait les cordons de sécurité, amenait des vivres et des vêtements, à Mexico l’École nationale d’anthropologie et d’histoire (ENAH) se disputait avec l’UNAM l’honneur d’accueillir la délégation. Malgré les sacrifices que cela représentait pour beaucoup, des centaines de personnes ont suivi la caravane pendant presque un mois, dans le froid ou la canicule, dormant par terre, avalant les kilomètres et mangeant avec reconnaissance ce que la population fournissait en chemin.

Mais pour beaucoup, l’enthousiasme était mêlé de déception. Premier regret : l’absence totale de contact avec le bus de la commandance pendant le trajet. Le bus flambant des zapatistes fonçait au-devant, pour tenter de tenir le rythme effréné que la caravane s’était fixé, tandis que le reste des véhicules, dépareillés et souvent anciens, arrivaient quelques fois trois heures plus tard, une fois la « réception » terminée. Les impératifs de sécurité excusent-ils entièrement ce manque d’attention ?

Autre doute : dans les villages et dans les villes où la caravane faisait halte, l’échange avec la population était plutôt limité. La plupart des actes commençaient par une cérémonie de bienvenue, généralement inscrite dans les traditions indiennes, avec encens, fleurs et bénédictions, souvent à charge de femmes, puis deux ou trois commandant-e-s prononçaient leurs discours, mais la plupart des gens - et en premier lieu les médias - attendaient visiblement surtout les paroles de Marcos. Et dès qu’il avait fini de parler, dispersion générale. De fait, les zapatistes, toujours pour des raisons de sécurité, jouèrent l’apaisement tout le long du trajet. Certes, au fil de la route, Marcos ne s’est pas privé de se faire l’écho vigoureux des injustices concrètes que les populations locales dénonçaient - à Patzcuaro, les problèmes des pêcheurs indiens, à Tehuantepec, le plan Puebla-Panama, qui vise à piller les ressources naturelles du sud du pays pour le compte des États-Unis. Mais d’une manière générale, les zapatistes restèrent très courtois-e-s et mesurés-e-s. Y compris le jour de leur arrivée triomphale sur le Zocalo de la capitale, plein comme jamais d’une foule ardente : pas le moindre petit encouragement aux barricades, pas la moindre parole déplacée contre les autorités, et quand tout fut dit, quand toute l’émotion fut épuisée, chacun-e rentra chez soi pour le repas du soir.

Autre élément qui a de quoi rendre amère une partie de la « société civile » : la désinvolture toute militaire avec laquelle l’EZLN traite les civil-e-s sans lesquel-le-s il ne serait rien. Plusieurs femmes de San Cristóbal étaient formelles : d’accord, c’est difficile de refuser de les aider, mais de là à succomber à l’enthousiasme, il y a un pas - ce que les comités de solidarité savent aussi. En effet, comme à l’ordinaire, les zapatistes s’y sont pris au dernier moment pour annoncer leurs intentions. D’abord, ils demandèrent à la « société civile » de San Cristóbal de tout organiser, mais une fois reçue la proposition, ils décidèrent in extremis de faire autrement (sans dire comment) et demandèrent seulement qu’on leur tienne prêts six bus confortables, que la société civile dut payer de sa poche. Sans compter les nuits blanches à préparer les sandwichs et les trousses de premier secours pour la commandance, tout en organisant les inscriptions des personnes qui voulaient suivre la caravane et sans perdre patience devant certains étrangers plus arrogants que les autres qui mégotaient pour dix dollars le prix des bus. Le terme de « société civile » cache la réalité : en fait, ce sont majoritairement des femmes qui réalisent le travail invisible et frustrant, tandis que ce sont majoritairement des hommes qui « récoltent ». Que l’ordre vienne des zapatistes ou d’autres, les faits sont là - il y a des détails qui font mal au cœur. À Patzcuaro, à la fin du meeting, après que les hommes ont parlé toute la soirée, ce sont des femmes qui ramassent les déchets sur la place. À Nurio, devant la maison où la commandance a dormi, la foule se presse pour voir Marcos monter dans le bus. Les heures passent. Soudain, arrivent deux femmes. Deux Indiennes. Avec des balais. Et elles se mettent à balayer le sol, consciencieusement, devant le bus. C’est l’heure des Indiens, il paraît. Personne, ni homme ni femme, ni Blanc ni Métis ni Indien, n’a eu l’idée de leur prendre leur balai, de balayer à leur place, ou de casser ces maudits instruments une fois pour toutes.

Quant à la société civile internationale, le bilan est mitigé. D’un côté, une réponse empressée, qu’il faut saluer. De l’autre, un lot de personnes qui semblaient prendre les choses très à la légère, arborant sans gêne apparente des tee-shirts « zapatour », comme s’il s’agissait de la tournée d’un groupe de rock. D’ailleurs sur ce plan, les Mexicain-e-s ne se distinguaient pas beaucoup des étrangèr-e-s. La présence la plus visible était européenne - blanche à 98 %. Par contre, les latinas et latinos, ainsi que les peuples indiens et descendant-e-s d’Africain-e-s de tout le continent et des Caraïbes étaient relativement peu nombreux, alors même que les luttes indiennes, contre le racisme et le néolibéralisme, les concernent directement. Cette constatation nous parle d’un côté, des différences économiques qui permettent aux un-e-s ce qu’elles empêchent aux autres, et de l’autre côté, d’une faiblesse de la stratégie zapatiste, qui semble accorder plus d’importance aux appuis européens qu’aux alliances avec les mouvements latino-américaines et des Caraïbes. Quant aux Africain-e-s et aux Asiatiques, elles/ils étaient complètement absent-e-s. La Tricontinentale est loin.

Les invités spéciaux et les invitées spéciales

Toujours à propos des alliances, un autre élément préoccupant est de voir comment la caravane a été l’occasion de rencontre « au sommet » entre « grands hommes ». On le sait, beaucoup ont tendance à ne voir dans le mouvement zapatiste que la figure de Marcos. Oublié-e-s les Indien-ne-s, la misère, le néolibéralisme, oublié-e-s les humbles, qui ne parlent pas bien l’espagnol : le soulèvement serait l’œuvre d’un individu génial, poète brillant, rêveur et finalement seul (sur son cheval). Tout au long de la caravane, les médias se sont chargés de renforcer cette image, photographiant Marcos sous tous les angles, spéculant une fois de plus sur sa virilité et sur son sex-appeal (en partant de la prémisse erronée que tout le monde est hétérosexuel-le), et laissant de côté le fond de la question.

Une fois la caravane arrivée à Mexico, et tandis que les étudiant-e-s et les gens des quartiers populaires faisaient la queue devant l’ÉNAH pour amener de la nourriture aux Indien-ne-s, les célébrités s’empressèrent de chercher le contact personnel avec le Sup, dans l’espoir d’en sortir grandies. Une seule exception, l’Argentine Hebe de Bonafi, Folle de la place de Mai, qui déclara qu’elle n’avait pas eu besoin de recevoir de lettre spéciale signée de Marcos pour venir : « Je suis là, bien sûr. Si je suis invitée ? Je n’ai pas besoin qu’on m’invite, je viens parce que je fais partie du mouvement. » Ses conseils aux zapatistes étaient clairs : surtout, ne déposez pas les armes, n’ayez pas confiance. Les gouvernements effacent avec le coude ce qu’ils signent avec la main. Elle ajouta que pour les vingt-cinq ans du coup d’État en Argentine, les Mères de la place de Mai manifesteraient, évidemment, mais en sens inverse de la marche officielle, pour bien montrer qu’elles n’ont rien à voir avec le gouvernement.

Bien différente fut l’attitude de l’autre femme - dans un océan d’hommes - qui eut le privilège de s’entretenir directement avec Marcos. Danielle Mitterrand, en effet, si elle encouragea les zapatistes à tenir bon, se garda bien d’évoquer la situation de son pays. Mère éplorée elle aussi, elle évita pourtant soigneusement de s’étendre sur ses problèmes familiaux et les six millions de francs qu’elle venait de débourser pour sortir son fils de prison. Elle n’évoqua pas non plus le trafic d’armes, et ne souligna pas que la France est le deuxième fournisseur d’armes du Mexique - principalement en ce qui concerne les chars et le matériel de répression des émeutes urbaines.

Quant aux porteurs d’attributs virils, ils repartirent contents après les séances de photos. José Bové se reconnut dans la pipe de Marcos, Touraine fut enchanté de rencontrer un homme aussi intelligent : « il pense comme moi », s’exclama-t-il, ravi. Et il confessa à la presse qu’il ne s’était pas senti aussi ému « depuis Solidarnosc ». Cette fois-ci, personne ne le chahuta, à la différence de sa venue précédente, en 1996, lors de la rencontre intercontinentale, où son analyse tendancieuse du mouvement de l’hiver 95 en France avait fait scandale. Dans la longue liste des « invités spéciaux », dont une bonne partie, curieusement, étaient français, il faut enfin souligner la désagréable présence de Sami Naïr, l’homme de confiance de Chevènement, le sauvageon, le comateux, le pourfendeur de sans-papiers. Après avoir tenté de se refaire un crédit politique au forum de Porto Alegre, il a réussi à se présenter comme l’homme providentiel, en invitant Marcos au Parlement européen, au moment même où il semblait que le Congrès mexicain allait refuser de recevoir les zapatistes.

Ce rapprochement massif des zapatistes, peut-être mal informés, peut-être cyniques, peut-être pris à la gorge par les circonstances, avec tous ces représentants de la social-démocratie française, laisse planer comme un doute sur les orientations du mouvement. Où sont les alliances avec les latinas et les latinos ? Avec la « gauche », les anarchistes, les féministes, la jeunesse en lutte, les lesbiennes, les Indiennes ? Peut-être que ce n’était pas l’heure. L’heure était à arriver jusqu’au Congrès, à demander une réforme constitutionnelle, des lois, des droits. Pas la révolution mondiale. Juste se faire entendre, juste que le gouvernement respecte les accords qu’il a signés, que la marche folle au grand marché néolibéral se ralentisse et que le dialogue puisse reprendre.

Il y avait quand même de bonnes choses...

Première bonne surprise : au dernier moment, le Congrès a dû céder et a reçu les zapatistes, malgré l’opposition farouche des député-e-s du PAN. Leur absence le jour de l’allocution des zapatistes les a ridiculisé-e-s, tout en affaiblissant le président Fox, lui aussi du PAN, et qui pour sa part était déterminé à en faire le plus possible pour paraître vouloir la paix. Joli coup de la part des zapatistes.

Un bon point aussi - personnel - pour Marcos : après avoir concentré sur lui le feu des réflecteurs, en ce jour historique où pour la première fois, les Indien-ne-s sont entré-e-s au Congrès, par la grande porte, il s’est abstenu de parler, et même de venir. Et pour faire bonne mesure, le discours principal, le premier, le plus long, avait été confié à la commandante Ester. C’était vraiment émouvant d’entendre ses paroles, « comme jeune, comme femme et comme Indienne », c’était vraiment impressionnant de voir son aisance à la tribune, en espagnol, vingt-cinq minutes précises et tout était dit.

L’autre élément vraiment important, c’est la place que les femmes indiennes ont réussi à prendre, réellement, dans le mouvement. À Nurio, siège du troisième Congrès national indien, le doute était permis. D’abord, dans ce congrès indien, la majorité des participant-e-s étaient métis-ses ou europén-ne-s - du fait de la caravane. Surtout, à la table des femmes, conquise de haute lutte lors des rencontres précédentes et dont une fois encore la tenue était incertaine jusqu’au dernier moment, la discussion était assez désespérante. En effet, une bonne moitié des participantes étaient des participants, et même la « modération » était mixte : une femme et un homme. Malgré quelques protestations, il fut décidé que les hommes pourraient non seulement assister, mais aussi parler, à la table des femmes, ce dont ils ne se privèrent pas. Du coup, les débats en restèrent à un niveau très décevant. En aparté, une Indienne reconnut : évidemment, quand il y a les hommes, les femmes ne peuvent pas dire les mêmes choses. Deux ou trois d’entre elles, pourtant, prononcèrent le mot machisme, l’une alla jusqu’à déclarer qu’elle ne s’était jamais mariée, tandis qu’une autre fit sensation en parlant avec tant d’assurance qu’un homme du public lui lança : « Nous te voulons au PRD ». De sa place, rassise, elle lui cloua le bec : « Moi, aucun parti ne me représente ! » Pour finir, une autre Indienne demanda que dans les résolutions, il soit demandé qu’à tous les niveaux de pouvoir et de représentation du CNI, il y ait systématiquement une femme et un homme. Exigence que la métisse qui écrivait le compte rendu fut incapable de retranscrire sur le papier. Mais le pire restait à venir : à la lecture des conclusions des différentes tables, le lendemain, le compte-rendu de la table des femmes était méconnaissable. Il n’était plus question que d’appui à l’EZLN et de pressions sur le gouvernement, pour qui n’avait pas participé à la discussion, il était même difficile de deviner qu’il s’agissait d’une table de femmes. Malgré tout, il faut reconnaître que la seule existence de cette table, et les propos que certaines Indiennes ont tenus, même en présence d’hommes, représentent une avancée par rapport aux traditions, tant Indiennes que métisses. Même si elles affirment qu’elles veulent lutter aux côtés des hommes, les Indiennes ont clairement souligné qu’elles étaient les plus affectées par la misère et qu’elles luttaient contre le mariage forcé et le machisme qui les empêche de participer autant qu’elles voudraient.

Autre élément significatif : l’avancée de la réflexion menée tant par les Indiennes que par les féministes métisses à propos des traditions indiennes qu’elles ne désirent pas conserver parce qu’elles sont contraire à la dignité des femmes. Il y a moins de dix ans, seules des féministes disaient que les Indiennes n’étaient pas forcément contentes de leur sort en tant que femmes. Depuis, les Indiennes ont clairement affirmé que l’harmonie ne règne pas entre femmes et hommes dans les communautés. Les deux lois révolutionnaires des femmes indiennes sont là pour en témoigner, ainsi que leurs interventions dans tous les espaces auxquels elles ont eu accès. Certaines ont même élaboré une proposition d’autonomie indienne depuis leur propre perspective en tant que femmes. À tel point qu’aujourd’hui, sans vergogne, la droite elle-même utilise l’argument des droits des femmes indiennes pour critiquer le projet de réforme constitutionnelle. On sait que la droite n’hésite pas à jouer les femmes quand cela l’arrange (de Boutin à Thatcher en passant par Benazir Butho). D’ailleurs le jour où les zapatistes étaient à l’assemblée, une proportion tout à fait inhabituelle de femmes s’exprimèrent à la tribune, y compris de la part du Parti « écologiste » (appendice du PRI) et du PAN. Mais l’Indienne du CNI à qui échut la mission de contrer cet argument, se contenta avec un large sourire de rappeler que la marginalisation des femmes existait certes dans les communautés indiennes, mais aussi partout ailleurs, et que partout il fallait la combattre.

Certainement, il ne faudrait pas se réjouir trop vite. Dans la délégation zapatiste, il n’y avait que quatre commandantes sur vingt-quatre, et c’est surtout une seule, la commandante Ester qui a vigoureusement exposé la situation et les revendications des Indiennes. Il est vrai aussi que les zapatistes sont habiles à contenter tous les « secteurs ». Cependant, les paroles de la commandante Ester étaient fortes et profondes, sans hésitations, et elles ont résonné bien haut, au Congrès mais aussi pendant la CNI, à Milpa Alta ou à l’UNAM. C’est la première fois qu’une « petite Indienne de rien » fait connaître son inconformité à ce niveau, et devant leurs écrans de télévision ou leurs radios, des millions de personnes ont entendu son message. L’EZLN n’est pas une organisation féministe, c’est une organisation militaire, hiérarchique, nationaliste, dirigée principalement par des hommes. Mais dedans, autour, il y a des femmes indiennes, de plus en plus nombreuses, qui savent de quoi elles parlent et qui font leur chemin.

Jusqu’au bout, j’étais partagée. Entre la joie et la désillusion. Mais c’était aussi ma carapace de cynisme, bien française, bien blanche. Le manque d’espoir, le pessimisme individuel, qui est précisément ce à quoi le système voudrait nous réduire. Et tout d’un coup, à la fin, enfin, j’ai senti une autre dimension des choses. À cinq heures passées, quand la délégation zapatiste est ressortie de l’assemblée pour s’adresser à la foule qui attendait dehors « les résultats », c’est sans regarder son cahier d’écolière qu’Ester a parlé, qu’elle a répété aux femmes, indiennes et non indiennes, que la lutte ne faisait que commencer. Le commandant Zebedeo improvisait lui, aussi, du fond du cœur il a remercié toutes les personnes qui avaient permis ce moment et il a même fredonné un petit air, comme ça, malgré ses six heures passées avec les député-e-s. Comme dirait l’autre, si cette révolution est une révolution où on chante, alors c’est la mienne. Et Marcos, venu attendre ses compagnes et compagnons à la sortie du Congrès, a lu sa déclaration finale. Sous son passe-montagne, discrètement, il pleurait, le bougre. Il a remercié encore, tout le monde, et il a conclu : « Cette fois-ci, nous partons, pour de bon. » Et, d’un seul mouvement, les zapatistes ont quitté l’estrade. Comme quoi c’était vrai, malgré l’ambiance de « spectacle » médiatique dans laquelle beaucoup rêvent de cantonner le mouvement zapatiste : il s’agit d’une force réelle, portée par des personnes concrètes, nombreuses, sincères et lucides. Le départ de la délégation l’a montré : les zapatistes ne cherchent pas le pouvoir, Marcos n’a pas enlevé son passe-montagne, il n’est pas devenu chef d’un parti. Les Indien-ne-s sont venu-e-s jusqu’à Mexico, ont dit leur parole, dignement, respectueusement, et puis adieu. Mais elles et ils l’ont bien dit en partant : ce n’est qu’un pas de plus, la lutte continue. Elle est devant nous.

J.

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