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Sur le plancher des vaches (I)

samedi 27 juillet 2019, par Natalie

Amis,

Comme suggéré en conclusion des cieux précédents, j’ai, dans ces parages, laissé traîner des assertions quelque peu lapidaires. Aussi, de façon à m’en expliquer auprès de vous, ai-je décidé d’établir une nouvelle science nommée « technontologie », laquelle se donne pour objet un champ d’investigation suffisamment rébarbatif pour que jamais personne n’ait envie d’en entendre parler, raison pour laquelle j’entreprends de l’établir ici sur des bases solides, soit scientifiques, ce qui enlève toute possibilité d’en réfuter la nécessité ainsi que les fondements.

Qu’est-ce donc que la technontologie ? C’est simple, il s’agit de la science qui investigue l’ontologie sise dans la technologie, laquelle ontologie transite massivement par la culture mondialisée du travail, souvent nommée managériale, ce que l’on pose d’emblée ici comme réducteur.

Matière or not matière ?

Posons pour commencer cette première question métaphysique : « méta », nous dit Wikipédia, « est un préfixe qui provient du grec μετά (après, au-delà de, avec) qui exprime, tout à la fois, la réflexion, le changement, la succession, le fait d’aller au-delà, à côté de, entre ou avec ». Alors, et voilà la question : en quoi méta serait physique ? La métaphysique n’est-elle pas avant tout ce que les philosophes ont institué comme science de l’Être ? Dans nos contrées saucissonnées en corps et âme, nature et culture, faut-il comprendre que l’Être est après, au-delà, à côté, avec, ou entre le physique ?

Pas si certaine, finalement, que cette question soit réellement des plus éclairante pour entrer en matière, et comme il ne saurait être question de tenter ici une synthèse des corpus philosophique, historique, anthropologique, sociologique, psychanalytique, neuroscientifique, mathématique, biologique et astrophysique, j’affirme que la technontologie les englobe tous, elle est ainsi une méta-science, nous allons donc pouvoir aller directement à l’essentiel.

Seconde entrée en matière. Si vous n’avez déjà pris connaissance du programme du génome de la matière (génome des matériaux serait peut-être une traduction plus correcte, mais ce que cela change vraiment ?), le voici résumé en quelques mots : ce programme américain, professé jusque dans les entreprises françaises, vise à accélérer la mise en production des technologies émanant des découvertes faites au sein des laboratoires scientifiques. Rappelons que le département scientifique de la présidence des États-Unis, inventeur dudit programme, a produit, pour l’introduire, une définition aussi délirante que : « A genome is a set of information encoded in the language of DNA that serves as a blueprint for an organism’s growth and development. The word genome, when applied in non-biological contexts, connotes a fundamental building block toward a larger purpose — Un génome est un ensemble d’informations encodées dans le langage de l’ADN qui sert de modèle pour la croissance et le développement d’un organisme. Le mot génome, lorsqu’il est appliqué dans des contextes non biologiques, évoque l’élément de base fondamental d’un but plus large. »

Or, dans sa « Note anthropologique XXXVIII », Georges Lapierre nous dit : « Je m’étais interrogé sur cette chose éminemment énigmatique qu’est l’argent, à la fois pensée et matière : l’immatérialité qui devient matière, l’esprit qui se fait apparent ; mais aussi matière qui devient immatérielle, apparence qui se fait pur esprit ou pure idée, apparence qui s’évapore, qui devient invisible. Pourtant cette chose éminemment énigmatique qu’est l’argent nous dit avec une certaine obstination ce qu’est la matière. Il est devenu l’objet obsessionnel de nos pensées et de nos actions et cependant nous l’ignorons, nous ignorons ce qu’est l’argent et les scientifiques se plongent dans l’infiniment petit et dans l’infiniment grand comme des baigneurs dans l’océan pour tenter de savoir ce qu’est la matière, pour tenter de savoir, en fin de compte, ce qu’est l’argent, cette idée qu’ils ont dans la tête et qui s’est magiquement matérialisée dans leur poche. »

Ici nous postulerons que, les sources de plus-values actuelles étant sises dans les technologies, la matière, telle que définie par Lapierre, possède son envers de la médaille : le corps, soit le physique (chose en soit absentée dans nos contrées, entre autres parce que c’est sale), lequel corps, selon nos bonnes vieilles croyances chrétiennes, se confirme comme pure idée absentée dans la culture mondialisée du travail, laquelle, on le verra, est un formidable tremplin pour le business des technologies qui a pour ambition de faire oublier jusqu’aux corps, soit quelque chose de notre humaine nature.

Tutoyer Dieu : « Au commencement était le verbe »

Commençons par nous pencher sur le langage, source de bien des folies possibles. En effet, le simple fait de poser quelques mots permet de jouer sur de multiples possibilités, comme par exemple de suggérer qu’une entrée en matière aurait à voir avec une ontologie de la matière, laquelle entrée aurait ici une connotation possiblement sexuelle : entrée en — mais par quel orifice ? La question est angoissante mais, qu’à cela ne tienne, chacun sait bien qu’à condition de faire pénitence, aussi évanescent soit-il, notre Dieu est plein de clémence, mais aussi, de puissance, à partir de quoi il ne saurait être question de rigoler. Notre Dieu (qu’on nous dit mort) est cette chose étrange partitionnée en trois instances, dont la troisième est rien moins que pur mystère : le Père, le Fils et… le Saint-Esprit (puisque la mère est vierge et que Dieu ne fornique.) Le Saint-Esprit est donc une inaugurale sanctification de l’entendement, laquelle semble fort caractéristique du saucissonnage corps et âme, nature et culture déjà évoqué plus haut. Mais, grâce au ciel, le nom de Dieu est un et unifiant, il a pour fonction d’établir l’unité collective en soudant un peuple universel, soit ce que l’on peut comprendre comme une origine possible des logiques de masses.

Donc, Dieu est ce qu’il est, et au commencement était le verbe. Mettons de côté la question du commencement (d’où vient la matière ?) puisque ici l’on nous dit que le verbe préside au reste. Et justement, « l’homme » parle, voilà bien son trait spécifique, mais le petit d’« homme » n’apprend pas à parler, ne prend pas de leçon pour ce faire, car le langage lui vient par imprégnation, par imitation, ainsi le verbe s’introjecte-t-il en lui, presque comme par miracle [1].

Le langage nous est presque inné, cependant, parmi les nombreux artefacts créés par « l’homme », il en est un de nature spéciale et seul en son genre : le langage (devenu universel) des mathématiques, qui, sorti de l’esprit humain, vient donner forme à son extériorité, à son monde — à l’École de la terre, Rocío Martínez racontait que les mathématiques émergèrent chez les Mayas en particulier dans le calendrier des saisons (temporalité) et que leur forme en points et barres servait également pour tracer les arbres généalogiques (filiations).

Résumons : le verbe est en nous, qui sommes de purs esprits, et les mathématiques, langage qui émane de nous (qui, lui, doit être enseigné, transmis), nous instituent en tant que créateurs, et donc au plus près de celui qui décréta un jour que le verbe présidait à tout. Ce langage inventé constitue de plus une forme de réponse à nos inlassables questions (???, jusqu’à d’où vient la matière ?). D’après Maître Eckhart par exemple, la dernière étape mystique consiste à se détacher de l’idée même de Dieu celle-ci étant trop humaine, ainsi s’en détachant, le mystique pourra s’unir au… Un.

Et, voilà que les humains universels que nous sommes ont fini par instaurer la suprématie de ce langage nous permettant de décrire de façon de plus en plus systématique la nature, le monde, ses origines, et jusqu’au génome des matériaux...

D’où cette seconde question métaphysique : notre genre humain n’aurait-il pas une certaine propension à recycler sans fin le divin Un ? Si tel était le cas, Dieu ne serait pas mort, mais où s’cache t’EL crénom ?

Premier paradigme

Tout ce qui précède n’était que foutaise, puisque aussi bien le verbe institue ce qu’il veut, et que les questions étant infinies, les réponses vont de même.

Deuxième paradigme

L’affirmation du premier paradigme est vraie en tant qu’elle est énoncée depuis une culture ayant décrété la séparation de la science et de la société, de la nature et de la culture.

Troisième paradigme

L’humain est astreint par quatre besoins fondamentaux : manger, dormir, être en sécurité, se reproduire, ce qui ne le distingue en rien des animaux. Par le langage articulé, qui lui est spécifique, il accède à des capacités imaginaires incomparables, et au symbolique, qu’il semble être seul à manier.

Quatrième paradigme

La frénésie d’invention d’artefacts qui caractérise certaines cultures humaines n’est pas le moindre de leur trait de génie tragique.

Sur les fondements technontologiques

L’humain est cet animal étrange habité de métaphysique. Ses mythes et ses religions ont en commun d’être porteurs de symboles, voire de rituels, ils sont de plus fondés sur des récits ayant pour fonction d’expliquer, entre autres et en particulier, le temps, de rassurer sur les questions angoissantes que ce maître de l’existence soulève.

On s’efforcera de montrer comment, dans une perspective de mécanisation du vivant insupportable pour les salariés, la culture mondialisée du travail s’appuie sur un recyclage de la notion de temps, de symboles et rituels, cela afin de faire ingérer une potion agissante jusqu’au cœur des subjectivités, d’ainsi inciter au mieux les salariés-consommateurs à digérer, soit à acheter, de la technologie.

Pour conclure : évaluation formative

Répondez aux deux questions suivantes et auto-évaluez la pertinence de vos réponses (l’autocontrôle, de vos pulsions, compétences, efficiences, etc. est un bien, et le bien c’est bien — mais, les biens, c’est encore mieux).

Question 1. Quel est le symbole majeur de chacune des religions monothéistes (et plus si vous le souhaitez) ?

Question 2. Classez ces symboles selon les catégories suivantes : naturel, symbolisé, manufacturé.

Natalie

Notes

[1Voir : Le Maître ignorant, Jacques Rancière.

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