Note sur l’odeur gênante des roses ou pourquoi « je préfère (les) roses, mon amour, à la patrie ? »
(Je préfère les roses, Fernando Pessoa)Parce que ces roses germent dans les fissures ! Dans les fissures de la normalité [1], dans les fissures d’un monde qui est dominé par l’argent.
Depuis seize ans, nous vivons un phénomène d’une rare beauté dans la ville de La Canée, en Grèce. Une « rose noire » [2] grimpe à travers les fissures de la ville à la recherche d’un soleil différent, d’une façon différente de vivre. Quelle chose simple ! Quelle chose révolutionnaire ! La recherche collective de divers modes de sociabilité, de différentes façons de se lier — de différentes manières de faire les choses — brise l’emprise de l’argent et ouvre un champ de possibilités pour notre vie. En même temps, elle souligne la nécessité de se débarrasser de la farce que nous vivons, elle souligne la possibilité de changer le monde.
Ça semble un fait simple. Mais ce mouvement de refus et de créativité enflamme nos espoirs — qui n’ont rien à voir avec l’espoir de l’État [3] — de vivre dans un monde d’égalité, de liberté, de solidarité (de soutien mutuel) et de dignité. Nos yeux brillent, chaque fois que nous rencontrons cette rose. Comme si nous tombions amoureux ! Encore et encore. Et à juste titre, l’odeur des roses a la capacité de parfumer un monde différent ou plutôt « un monde où tiennent de nombreux mondes » [4]. L’osmose de ces mondes ne nous montre qu’une image des mondes que nous pouvons créer. Oui ! Nous tombons amoureux et nous offrons à nos compañeras les sourires les plus généreux qui traversent le ciel de nos pensées, des sourires capables de briser la misère de la normalité.
La création de ces mondes dans les fissures de la « normalité » nous conduit au conflit dialectique avec cette notion. Une discussion que le monde de l’argent a déjà perdue. Il n’est donc pas étonnant qu’elle recoure à la violence. Nous continuerons à mettre des roses dans les canons de ses « armes ». En affirmant fièrement que nous n’avons pas notre place dans leur « normalité », nous ne tenons pas dans leurs définitions.
Arrachez haineusement les roses ! Le luxe de l’hôtel [5] qui grimpera sur les ruines de la mémoire vous rappellera votre pauvreté. Il rappellera (au moins) à toute une ville l’apothéose du monde de l’argent. L’apothéose d’un monde de noms sans contenu.
Le squat a été pendant de nombreux mois menacé d’évacuation. Le premier ultimatum a expiré la veille du 6 décembre, date à laquelle Alexandros Grigoropoulos [6] a été assassiné par la police. L’expérience de décembre 2008 s’est gravée en nous, elle a établi, elle a déterminé nos choix au cours de la vie. Nous ne laisserons aucun Korkoneas [7] nous enlever la vie.
Malheureusement, le 5 septembre 2020, le gouvernement a expulsé le squat sur ordre de l’entreprise (annoncé un mois avant l’évacuation). Cinq septembre 2020. Nous vivons l’un des événements les plus tristes de notre vie. Les serviteurs de l’argent récoltent la plus belle rose de la ville. Et peut-être que cette amputation marque la perte de nos désirs. Et peut-être que cette amputation violente fait pleurer nos yeux et se briser nos corps — fragiles comme ils sont. Cependant, un « air souffle et nous appelle à sortir de la tempête de ce monde » [8]. Et nous n’avons pas oublié que « les fleurs, comme l’espoir, se cultivent » [9]. Cette danse de la tristesse avec l’espoir se poursuit dans ma ville près de cinq mois après l’évacuation, à l’ère du coronavirus.
Alors appliquons l’un des slogans les plus emblématiques du soulèvement de décembre 2008 : « Varkiza, c’est fini » [10]. Seulement nous savons maintenant que nos « armes » ne sont pas égales (symétriques) aux leurs. Nos « armes » sont les relations sociales que nous « élaborons » collectivement en marge de l’argent et de l’État. Des relations sociales qui reflètent les autres mondes que nous pouvons créer.
C’est cette fermentation qui nous invite à récupérer les verbes [11]. Les verbes qui ont été déplacés vers un monde de noms dénués de sens. Elle nous invite à reprendre le fil de l’espoir qui nous permet de récupérer ce sentiment de ses utilisations institutionnelles et de fertiliser notre στΟΡΓΗ [12] dans une direction émancipatrice.
Marios Panierakis
Envoyé par l’auteur [13],
février 2021.
Traduit de l’espagnol (Mexique)
par Joani Hocquenghem
Texte d’origine :
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