Commune Libertad de los Pueblos Mayas, Chiapas, le 3 décembre 2005.
« Le gouvernement fait tout ce qui lui passe par la tête, sans chercher à savoir ce que pensent les communautés indiennes », déclare le conseil de la commune Libertad de los Pueblos Mayas (Liberté des peuples mayas), commune rebelle autonome zapatiste qui recoupe les villages voisins et riverains des rivières Jataté et Lacantún, de la lagune Miramar et du sud des Montes Azules.
« Nos autorités autonomes sont en complet désaccord avec le pont que veut construire le gouvernement à Amatitlán », ajoute un des trois membres de ce conseil, le dos appuyé contre le mur de l’école primaire autonome du village, une grande construction en bois abritant les salles de classe des cinq niveaux scolaires enseignés dans la communauté Miguel Hidalgo, chef-lieu administratif de cette commune zapatiste.
Sur les berges de la rivière Jataté, à proximité de l’endroit où elle se jette dans le Lacantún, à quarante-cinq minutes d’Amatitlán en canot à moteur, le conseil rebelle déclare : « Nous savons que le gouvernement veut convaincre les communautés adhérant au PRI que la construction de ce pont est une bonne chose. On est allé jusqu’à leur faire croire que c’était les habitants qui le demandaient et que le gouvernement ne faisait que leur donner satisfaction. À nous, on ne nous a rien demandé.
« Nous pensons que ce qui se cache derrière ce projet, c’est de pouvoir ratisser la forêt. Non pas de faire quelque chose pour la population locale, mais d’aider les grandes compagnies en cheville avec le gouvernement. Ratisser et y faire des routes. »
Les trois représentants de ce conseil autonome portent des shorts et des tee-shirts de basket. Nous avons d’abord cru qu’ils étaient membres d’une équipe se disposant à jouer un match sur le terrain du village, mais ils se sont avérés être le conseil au complet. Ils se sont assis en face de l’école pour répondre aux questions de La Jornada.
Selon les informations fournies aux indigènes par les fonctionnaires du gouvernement local de la région frontière [avec le Guatemala], le pont d’Amatitlán devrait relier les villages de Democracia, Plan de Río Azul, Nueva Sabanilla, Lindavista et Nueva Esperanza, et la route longerait Vicente Guerrero. « Il semblerait qu’il doit continuer jusqu’à Maravilla Tenejapa, nous explique un conseiller. »
« Toutes ces communautés indigènes reçoivent des aides du gouvernement pour implanter du bétail, récolter du café et du maïs ou se reconvertir au tourisme. Les femmes doivent aller à Amatitlán pour percevoir les allocations du Programme “Opportunités”. »
Le conseil rebelle autonome insiste : « Ce pont n’apportera rien de bon à personne. En réalité, ce qu’ils veulent, c’est nous foutre dedans, le gouvernement cherche à positionner des gens à lui dans les Montes Azules et dans toute la région. Nous ne sommes pas dupes des déclarations des gens de Semarnat qui prétendent qu’ils vont protéger les ressources naturelles. »
De ce côté-ci du Jataté et du Lacantún, le mirage plein de promesses du tourisme a, lui aussi, fait son apparition : « À Plan de Río Azul, ils envisagent déjà des services touristiques pour faire visiter la lagune de Miramar. Ils disent qu’ils veulent protéger la forêt vierge, mais nous savons bien qu’ils vont liquider les changos, les zaraguates, les pumas et les aras », poursuit le conseil autonome, dont les membres se relaient pour prendre la parole.
La Commune rebelle autonome zapatiste Libertad de los Pueblos Mayas regroupe vingt-deux communautés indigènes installées au fond des gorges tzeltales d’Ocosingo, comprenant également La Soledad, Betania et San Agustín, ainsi que Santa Rosa Copal, San Gregorio, Hermosillo et Aguamaría, sur les berges du Jataté et de Miramar, et les villages zapatistes des Montes Azules (bien que l’on ait annoncé le replacement de certains d’entre eux hors de cette zone).
En dépit d’un cruel manque de moyens, la commune Libertad de los Pueblos Mayas est cependant parvenue à créer des écoles autonomes dans onze communautés et à construire une clinique à Santa Rosa Copal (avec le soutien de la société civile internationale et l’aide du District fédéral).
« Une autre question qui nous préoccupe sérieusement, ce sont les lâchers d’insecticides auxquels nous nous opposons contre la mouche méditerranéenne, qui sont perpétrées par les avions de Moscamed, explique un des conseillers. »
« Les lâchers en vol contre la mouche détruisent nos arbres fruitiers et nos semis, et il y a déjà des gens malades. C’est un problème qui affecte toute la région. »
Le 21 novembre, La Jornada informait effectivement des dizaines de plaintes déposées et des protestations élevées par les communautés, zapatistes et non zapatistes, de la zone frontière et de la forêt, contre Moscamed et le gouvernement mexicain. Selon le témoignage de milliers de paysans affectés, les avions effectuant ces lâchers d’insecticides viennent du Guatemala.
Aucune de ces plaintes n’a obtenu de réponse des autorités fédérales, bien que Javier Ruiz Morales, préposé au ministère du Développement rural dans l’État du Chiapas, ait admis hier que les lacs de Montebello et la bande frontalière étaient gravement affectées par des « nuages d’insectes venant du Guatemala » (El Heraldo de Chiapas, le 2 décembre 2005).
Miguel Hidalgo est une communauté tzeltale habitée par 600 personnes environ. Les familles y occupent des terrains propres et dégagés, où abondent les arbres fruitiers et les fleurs. Elles sont zapatistes « depuis au moins treize ou quinze ans ». Raison pour laquelle le 9 février 1995, la communauté fut occupée par l’armée fédérale mexicaine, dont les effectifs repartirent quelques jours plus tard pour s’établir à San Quintín, à La Soledad, à Amatitlán, à Maravilla Tenejapa et dans d’autres localités de la région où sont encore installées leurs bases, leurs casernes et leur régions militaires.
Hermann Bellinghausen
La Jornada, Mexico,
le 4 décembre 2005.