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SubVersiones Agencia Autónoma de Comunicación

Radio Ñomndaa : des paroles libres et vraies
en ces temps de contre-insurrection
(première partie)

jeudi 6 septembre 2012, par SubVersiones

Guerrero, Mexique.

Costa Chica rebelle

« Ils disent que nous ne valons rien. Que nous n’avons ni âme ni intelligence. Mais ils n’en savent rien. C’est comme si ce que nous étions, tout le monde l’ignorait, comme si nous étions un secret dans ce monde, le secret de tout ce que contient ce monde. Parce que nous savons de la terre ce que personne ne sait. Parce que le fait d’être si proche d’elle nous rend purs. »

Lucio Cabañas, dans Guerre au paradis, de Carlos Montemayor

Le Guerrero ! La belle géographie de ses sept régions est tissée par une turbulente histoire de violence politique, d’exploitation, de discrimination et de pauvreté, où les règles des pouvoirs de l’État, du crime organisé, du narcotrafic et du caciquisme s’appliquent à coup de balles. Tout reste dans l’impunité mais pas dans l’oubli.

À l’immense liste des 66 700 morts qu’ont déjà faits les six ans de présidence paniste [1] s’ajoutent ceux du Guerrero. Enlèvements, tortures, attaques de commandos armés, policiers et militaires qui donnent le coup de grâce à des étudiants d’à peine vingt-quatre ans : dans le « caldéronisme » (que certains appellent le « nécro-gouvernement », ou gouvernement de la mort), les informations sur les féminicides, jeunicides et autres massacres sont quotidiennes.

Dans le Guerrero, pour ceux et celles qui luttent, tout est vécu comme une interminable « guerre sale », d’une part à cause des « tirs de canon » [2] de milliers de dollars qui arrivent sous la forme d’« aides » et de « projets de développement rural », d’autre part à cause des assassinats sélectifs et des massacres, sur lesquels repose le vieux système clientéliste priiste, et politique dans son ensemble, de l’État mexicain.

Les chiffres douloureux s’accumulent. Les statistiques confirment que le Guerrero est un des États les plus pauvres du pays, mais elles ne reflètent pas réellement ce que le capitalisme néolibéral et la machine d’État ont engendré : des paysans qui souffrent d’inanition ; tant d’autres qui ont disparu ou ont été torturés ; d’autres encore, plus nombreux, qui face à la crise économique ont dû partir vers les plantations agricoles des multinationales du nord du pays dans des conditions de semi-esclavage, ou doivent planter et transporter de la « marchandise » pour le narcotrafic [3] ; les « gardes blancs » [4] ou paramilitaires ; les innombrables abus de l’armée envers les femmes ; les spoliations des ressources naturelles ; le racisme incrusté dans chaque pore de la sphère sociale.

« Il n’y a plus de frontières entre les forces de l’ordre et les groupes de la délinquance », nous dit le Centre des droits humains de la Montaña Tlachinollan [5]. Ils sont les racines du colonialisme actuel, de la pauvreté et des profondes inégalités dans le sud du Mexique.

Xochistlahuaca
(photographie : Prometeo Lucero)

Ici, les peuples indigènes et les secteurs paysans et populaires figurent toujours dans les faits divers sanglants du duopole médiatique. Cependant, face aux rafales de balles, à la domination de la botte militaire et au silence du pouvoir télévisuel et radiophonique, surgirent à maintes reprises, en se relevant des tortures et des tueries, les mouvements paysans, indigènes, d’étudiants et d’instituteurs, de travailleurs qui protestèrent fermement contre le raz de marée du système économique et politique.

Le Guerrero du XIXe siècle fut le théâtre de plusieurs soulèvements indigènes, semblables à ceux qui eurent lieu juste après la révolution à Tecpan, Ayutla de Los Libres, Atoyac et El Porvenir.

Il y a plus de cent ans, dans les chaudes régions côtières, des fractions de l’Armée de libération du Sud se soulevèrent en armes sous les ordres d’Emiliano Zapata. Ces mêmes endroits firent parler d’eux dans les années 1960 et 1970 en raison de leurs guérillas. Ce furent Genaro Vázquez dans la Costa Chica ; dans la Costa Grande, Lucio Cabañas et les vieux fusils Winchester que lui apportaient les paysans pour faire front à la contre-insurrection très sophistiquée et à l’intelligence américaine ; ce furent aussi les mouvements paysans des années 1980, puis la Police communautaire et tous ses défis. Au sommet de l’extermination, ces femmes et ces hommes font partie de notre mémoire, de même que Rodolfo Montiel, Felipe Arriaga, Teodoro Cabrera, Eva Alarcón y Marcial Bautista [6], des paysans et leaders écologistes du Guerrero qui se sont battus pour les forêts de la Sierra de Petatlán, contre le pouvoir des caciques, de l’État et des multinationales.

Heureusement que l’histoire du Mexique, malgré la présence de Televisa et TV Azteca, n’est pas seulement contée du point de vue de Calderón, d’Aguirre Rivero, de Díaz Ordaz, d’Ulises Ruiz ou d’Elba Esther Gordillo, mais de celui des milliers de visages anonymes des peuples en rébellion, qui ont mis un terme au silence forcé et qui ont pris, à leur tour, les micros.

Au vu de la férocité des griffes du capital et de l’État apparaissent de « petites tranchées », terme employé par Geovani Valtierra, membre de la communauté amuzga et de Radio Ñomndaa. Cette radio, comme à Cherán, à San Juan Copala, à Ostula, à Oaxaca ou au Chiapas, a impulsé une longue lutte pour récupérer la voix et la parole. Quelle alternative reste-t-il ?

Caciques et rebelles

Xochistlahuaca ou Suljaa’ signifie, en nahuatl et en amuzgo, « la plaine des fleurs », lieu appelé ainsi pour sa nature environnante. C’est un des endroits où vivent depuis des centaines d’années les Nanncue Ñomndaa, les gens de l’eau. Le compagnon qui nous ouvre chaleureusement sa porte et nous offre une tasse de café du Guerrero, partage avec nous sa pensée : ce nom proviendrait de la beauté des tissus et de leurs couleurs, fabriqués par les femmes pour la confection des vêtements régionaux.

Certaines légendes affirment qu’ils arrivèrent sur la côte du Pacifique en provenance des « terres du milieu » (Ndyuaa Xenncue), des îles solitaires. Pendant la colonie, la présence espagnole les contraignit à émigrer vers Xochistlahuaca, dont le statut de capitale amuzga remontait vraisemblablement à l’époque précoloniale. Ils se répartirent dans plusieurs zones de la région, et Xochistlahuaca devint une partie de l’encomienda [7] de Francisco Herrera. Puis elle se mit à dépendre, d’un point de vue politique et religieux, de la juridiction d’Antequera (Oaxaca) [8].

Les rapports de l’époque montrent que sur les 44 000 habitants amuzgos comptabilisés au début de la colonisation, seuls 800 avaient survécu à la fin du XVIe siècle. Ces chiffres révèlent dans une large mesure le processus d’anéantissement de la population indigène dans tout le Guerrero, un génocide qui provoqua la disparition de peuples entiers : les dénommés Yacastecas, les Huehuetecas, les Quetzapotecas, les Cahutecas, et avec eux, la matrice de leur civilisation.

Le peuple amuzgo ne succomba pas, mais la division de son territoire s’institutionnalisa avec la création de la République. Ometepec, la ville la plus grande et importante de la région, prit le rôle d’intendance et annexa à sa juridiction Xochistlahuaca et d’autres villages où vivaient les Nanncue Ñomndaa, comme Tlacoachistlahuaca. D’autres restèrent du côté de la frontière interne qui sépare le Guerrero de l’Oaxaca.

Le système de pouvoir institué depuis l’indépendance repose en grande partie sur la domination des caciques, qui dans le Guerrero remonte à longtemps. À partir de la création de la République, plusieurs générations de caciques maintinrent leurs pouvoirs — des plus petits aux plus importants — sur toute la zone au moyen de réseaux de prébendes et bien sûr, des armes. La vie était traversée par l’argent et les balles des caciques, tels que les Neri de l’époque porfirienne, puis les Figueroa ou les Mariscal des premières décennies du XXe siècle [9]. Toutes étaient des familles qui comptaient des figures très connues et dont on se souvenait dans la région. Sur la base de la soumission forcée des peuples indiens et paysans, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) assit et institutionnalisa rapidement son pouvoir.

Tisserande de Suljaa’
(photographie : Prometeo Lucero)

Paradoxalement, l’indépendance et la révolution mexicaine favorisèrent les propriétaires terriens de la région, les patrons. Non seulement on ne mit pas fin au pouvoir régional des caciques, mais il s’accrût et se mélangea avec les réseaux obscurs des partisans du PRI. Au milieu de ce panorama, dans les années qui suivirent la révolution, alors que la « restitution des terres » avait été promise, on assista plutôt à la « répartition agraire » des ejidos, au service du méga-État alors en construction. Celui-ci fut présenté comme l’organisme qui jouait le rôle de « distributeur », qui idéologiquement et symboliquement attribuait du pouvoir à l’État, et qui matériellement lui servait à établir des relations de profit dans lesquelles la terre était un bien échangeable contre des services politiques, tels que la fidélité exprimée dans les votes, exigée à ceux qui recevaient une parcelle. Même de cette manière, à cause de l’opposition des gouverneurs locaux du Guerrero, la répartition avança très lentement entre les années 1930 et les années 1940, période pendant laquelle Lazaro Cardenas mettait en place la réforme agraire et où les bases du corporatisme commençaient à s’établir dans le pays [10].

Évidemment, la situation n’était pas homogène partout. D’après les souvenirs d’habitants de Xochistlahuaca, la révolution dans leur région n’affecta pas le pouvoir des propriétaires et les Amuzgos durent s’organiser dans les années 1920 pour récupérer leurs terres, aux mains du plus grand propriétaire terrien de la région, Guillermo Hacho, qui lui-même les avait vendues au Nord-Américain Lewis Lamm. La lutte pour la restitution des terres dura presque quatre ans. Elle fut une des premières luttes de « ceux de Xochi », qui parvinrent grâce à la pression des communautés à exproprier le Nord-Américain de plus de 6 000 hectares, pour les transformer en ejido.

Puis il y eut aussi des luttes pour conserver Xochistlahuaca comme chef-lieu municipal, car il était devenu une figure à part entière de la dynamique communautaire.

La mémoire de ce que fut un jour le territoire amuzgo persiste. David Valtierra, un des fondateurs de Radio Ñomndaa, qui cultive les terres et sème les mots, a recensé les peuples amuzgos vivant entre le Guerrero et l’Oaxaca qui accèdent aux ondes, et ainsi, à la langue mère ñomndaa et à une critique du système local de caciques. La distribution des ejidos n’implique pas la disparition de la culture et des formes politiques traditionnelles à Xochistlahuaca, bien que ces dernières aient changé :

« La région est connue comme la Costa Chica du Guerrero. L’endroit où nous sommes s’appelle Xochistlahuaca ou Suljaa’ en amuzgo, ce qui signifie “La plaine des fleurs”, et nous nous appelons Nanncue Ñomndaa dans notre langue. Nous conservons toujours la culture de nos grands-parents et le territoire, qui fait partie de l’organisation politique. Nous en avons cependant perdu une grande partie, non seulement dans ce municipio mais aussi dans celui de Tlacoachistlahuaca, celui d’Ometepec, celui de San Pedro Amuzgo dans l’État d’Oaxaca, par là-bas, de l’autre côté de la rivière, et enfin celui de Santa María Ipalapa. Ce sont les municipios peuplés par les Amuzgos.

(…) D’un côté, il y a les ejidos et de l’autre, les communautés agraires, c’est une histoire politique. Le gouvernement mexicain reconnaît la communauté agraire, car elle est formée par un peuple qui, de fait, vit là depuis toujours, et qu’il s’agit de sa terre. L’ejido correspond à une terre que le gouvernement lui a donnée. Ici, nous avons des ejidos mais en réalité ça correspond à une politique du gouvernement qui a refusé de nous reconnaître comme peuple indigène. Il nous dit “Comment ça ? Je vous l’ai donnée votre terre !”, mais il nous méprise en disant cela alors que nos ancêtres ont toujours vécu ici (…). Dans notre village, il y a donc des endroits qui relèvent de l’ejido et d’autres, de la communauté agraire. »

Entretien avec David Valtierra

C’est justement un des motifs les plus importants de la lutte qui a lieu depuis des années à « La plaine des fleurs » : la défense des terres communales face aux tentatives, notamment du Procede [11] pour en finir avec elles. En parallèle, cette défense implique une bataille frontale contre le système des caciques et des partis, qui jouent leur rôle dans la domination. Cette dernière n’est plus seulement exercée par le PRI, mais provient de toute une culture politique où n’importe quelle faction finit par en soutenir une autre.

Grâce aux astucieux va-et-vient des partis et des figures politiques, la structure gagne en stabilité et se reproduit, malgré les « transitions ». Rappelons-nous des allées et venues d’Ángel Aguirre Rivero, actuel gouverneur de l’État : il était priiste jusqu’à ce qu’il renonce à son parti et apparaisse trois jours plus tard comme candidat à la gouvernance de l’alliance « Le Guerrero nous unit », entre le PT (Parti du travail), le PRD (Parti de la révolution démocratique) et Convergences, début 2011. Il fut ensuite soutenu par son adversaire électoral du PAN (Parti d’action nationale), dont l’objectif était de battre aux élections le candidat de l’alliance entre le PRI, le PVEM (parti écologiste) et le Panal (parti du syndicat des instituteurs), connue sous le nom « Des temps meilleurs pour le Guerrero », un fourre-tout de noms et de groupes, de promesses momentanées et d’envolées charismatiques. Les résultats sont toujours les mêmes : des étudiants de l’école normale assassinés pour avoir manifesté et distribué des pamphlets sur l’Autopista del Sol (une autoroute reliant Mexico et Acapulco), des militants écologistes portés disparus.

Tous ceux qui prétendent vouloir que « le Guerrero nous unisse » ne savent pas qui a donné l’ordre de réprimer les étudiants normaliens et ils ignorent aussi, jusqu’à présent, où se trouvent Eva Alarcón Ortíz y Marcial Bautista Valle. Ils feraient tout pour arriver à ces « temps meilleurs », mais ont oublié de préciser « pour qui ? ». Sûrement pas pour la majorité des femmes et des hommes du Guerrero, qui subissent quotidiennement les mitraillades des commandos armés du narco et du crime organisé, la violence militaire et paramilitaire dans les communautés.

Cet immense réseau d’omissions, d’impunité, d’abus et ces millions d’intérêts politiques et économiques se retrouvent aussi parmi les familles héritières des anciens caciques. Ce n’est pas étonnant qu’il y ait eu, dans ces vieilles lignées de patrons, un Figueroa (Rubén Figueroa Figueroa, connu comme le « Tigre de Huitzuco ») qui, pour avoir hérité du pouvoir de cacique pendant la révolution, assura en 1975 (même sous le gouvernement de Luis Echeverría) la gouvernance du Guerrero.

Il appliqua simultanément et à profusion le bâton et la carotte : depuis les tortures des sympathisants de la guérilla, jusqu’aux plans économiques et productivistes destinés aux organisations paysannes subventionnées par l’État, et spécialement créées pour étouffer la rébellion paysanne.

« Quelques haricots et quelques pièces » (frijolitos y dinerito), ainsi Lucio Cabañas qualifiait-il la politique du président Echeverría et du gouverneur Figueroa, pendant qu’il était su de tous que des centaines de personnes, lors des « vols de la mort », étaient jetées à la mer depuis les avions car soupçonnées de subversion [12].

Des années plus tard, avec le fils du « Tigre de Huitzuco », l’histoire familiale devait se répéter. Rubén Figueroa Alcócer fut pointé comme le principal responsable du massacre d’Aguas Blancas en 1995, où la police assassina dix-sept paysans. Des haricots et — pourquoi pas — des coups de fusil. La même chose se passe à Xochistlahuaca [13].

Dans ce panorama, ces dernières années, les projets d’exploitation minière dans le Guerrero [14] menacent l’intégrité et l’existence même des peuples indigènes et paysans. Ces projets prennent appui sur les réseaux de pouvoir des caciques et sur les autorités étatiques locales et nationales.

Le sexennat caldéroniste affiche aussi, au niveau régional, son visage prétendument démocratique auprès de toutes ces structures complexes. Les caciques (femmes et hommes) ignorent totalement la politique communautaire assembléiste, ils sont en dehors des systèmes communautaires de prise de décision et ont déjà agressé plusieurs autorités traditionnelles dans les communautés.

« À présent, les caciques du PRI se mettent à décomposer le tissu social. Le système des partis politiques fait beaucoup de dégâts car les décisions sont prises à Ometepec, à Chilpancingo, partout sauf ici. La présidente actuelle l’est devenue parce qu’elle a beaucoup d’argent pour mener la campagne, qu’elle a des liens avec la classe politique et non parce que les gens la veulent. Avant, on devenait président municipal quand on avait été mayodormo, commissaire ejidal, ou qu’on avait accomplit une mission. La personne devenait président car elle avait démontré qu’elle savait servir la communauté et non parce qu’elle avait un discours, ou qu’elle appartenait à tel ou tel groupe politique, et maintenant c’est ainsi. Dans les communautés du Guerrero, la figure du cacique, même si c’est une femme, est perçue négativement. Parce que le ou la cacique est quelqu’un qui, à partir de son pouvoir économique, acquiert un pouvoir politique qui va bien au-delà du pouvoir formel, celui de la police, le pouvoir de prendre des décisions. Le cacique se caractérise par sa politique d’imposition, la pratique de massacres. Dans notre Guerrero, il y a une famille de caciques qui domine depuis les temps d’Emiliano Zapata, c’est la famille Figueroa. Dans notre région, la Costa Chica, actuellement et au cours de l’histoire, il y a eu plusieurs caciques qui à un moment donné se soulevaient et les gens les poursuivaient, ou leur pouvoir s’effondrait, puis apparaissait un autre, et ainsi de suite, c’est comme le visage du capitalisme, le cacique est la personnification du capitalisme dans ses pires manifestations. »

Entretien avec David Valtierra

Il n’y a pas de domination sans résistance. Pendant que les autorités de l’État dansaient sur les cadavres de Vázquez et Cabañas, de nouvelles perspectives de lutte se firent jour dans le Guerrero. Cette fois, ce ne fut pas seulement grâce aux organisations paysannes, mais à la réarticulation d’organisations indigènes du Mexique qui depuis la fin des années 1970 avaient posé un autre regard sur l’histoire en en démontant les versions « officielles » et en avaient conclu que les peuples indiens du Mexique avaient vécu, pendant la colonisation espagnole comme dans l’ère républicaine, la discrimination, le racisme et l’exclusion, ou du moins une inclusion illusoire [15]. La domination ne s’exerçait donc pas seulement en termes culturels, mais politiques.

Le travail des femmes nanncue ñomndaa
(photographie : Prometeo Lucero)

Le Conseil des peuples nahuas du Haut Balsas (CPNAB) et le Conseil du Guerrero « Cinq cents ans de résistance indigène, noire et populaire » furent des espaces de référence pour la convergence des revendications des peuples indigènes. Plus récemment, ces quinze dernières années ont vu naître des expériences au caractère plus local, nombre d’entre elles soutenues par les victoires du soulèvement zapatiste de 1994. Plusieurs d’entre elles ont résisté à la cooptation et au discours de reconnaissance « pluri-multiste » de l’État, en récupérant le droit politique d’exercer les « us et coutumes » sans attendre la « reconnaissance » que pourrait leur octroyer l’État. Attendre l’approbation de l’État impliquerait une nouvelle subordination aux caciques, aux patrons, aux propriétaires et aux partis. Une de ces expériences a vu le jour à Xochistlahuaca.

Contre le visage affreux du capitalisme dont parlait David Valtierra, contre les abus des caciques, complices des autorités de l’État et même fédérales, plusieurs mobilisations amuzgas ont été impulsées en 2001 et 2002 pour aboutir, en novembre 2002, grâce à l’initiative des habitants de Xochistlahuaca, à la formation d’un municipio qui devait réinstaurer le projet politique indigène d’« autogouvernement » [16]. Ils ont dû faire face à l’héritage de soixante-dix ans d’un « esprit de parti » très ancré et à toute la politique de l’État et des caciques qui, comme partout ailleurs, tente par tous les moyens d’écraser l’expérience autonome.

À suivre

Traduit par Anna Touati.

Source : SubVersiones
Agencia Autónoma de Comunicación
6 janvier 2012.

Notes

[2Référence à une citation d’Alvaro Obregon, président du Mexique de 1920 à 1924 : « Nadie resiste un cañonazo de 50 000 pesos » (« Personne ne résiste à un tir de canon de 50 000 pesos », en référence à la corruption). NdT.

[3Víctor Ronquillo, La Jornada del Campo, 15 janvier 2011, « La narco agricultura : cáncer del campo mexicano ».

[4Garde blanc (guardias blancas) est un terme repris de l’ex-URSS. Ces brigades étaient alors la police particulière des propriétaires terriens, employée pour faire obstacle au processus de répartition des terres après la révolution d’octobre 1917. Au Mexique, elles sont apparues au Chiapas dans les années 1960, sous le gouverneur Samuel León Brindis. En 1961, elles furent officialisées par un décret qui autorisa les éleveurs à porter des armes et à engager des polices privées. Ces groupes armés, à la solde de plusieurs familles propriétaires au niveau régional ou municipal, s’entraînent au maniement d’armes de gros calibre, recrutent des paysans (du PRI ou de la CNC, Confédération nationale paysanne) pour harceler, attaquer et assassiner les paysans, ou dans d’autres cas, anéantir d’autres groupes de pouvoir qui leur font concurrence dans le commerce de drogues (d’après Ciepac.org). NdT.

[6Eva Alarcón Ortíz et Marcial Bautista Valle font partie de l’organisation de paysans écologistes de la Sierra de Petatlán et Coyuca de Catalán. Ils ont tous deux été enlevés par un groupe armé le 6 décembre 2011 et jusqu’à présent les arrestations judiciaires et policières concernant leur disparition n’ont pas avancé.

[7Le système de l’encomienda est à la base des premières cellules économiques coloniales. Il fonctionne selon le principe suivant : « Les représentants de la Couronne espagnole confient à un colon “méritant” un territoire sur lequel il devra veiller à la sécurité et à la conversion au christianisme des Indiens qui y ont été regroupés de force et qui, en échange, lui fourniront un tribut régulier, soit en nature, soit en travail gratuit. Ce système (…) apparaît dans les premières années de la colonisation mais n’est officiellement reconnu qu’en 1503 par un édit d’Isabelle la Catholique. Il se développe très vite au Mexique et constitue l’une des premières formes d’asservissement économique des populations indiennes qui, souvent déplacées par la contrainte, tombent dans l’enfer du travail forcé. » (G. Goutte, « Pour la terre et l’autonomie ! Origines et organisation de la révolte indienne au Mexique (1492-1983) », Le Monde libertaire hors série n° 45, juillet-septembre 2012.) NdT.

[8Carbone Silvia et Benítez René, « Del territorio a la identidad travesías por la historia y el conflicto (propuesta de análisis identitario en Xochistlahuaca, Guerrero) », in Gutierrez, et al., Antología de estudios territoriales. Fomento de los estudios territoriales en Iberoamérica, Geotech, Mexico, 2008.

[9Jacob Ian, La revolución mexicana en Guerrero : una revuelta de los rancheros, Era, Mexico, 1982.

[10Sánchez Serrano Evangelina, « La certificación agraria en la Montaña de Guerrero y las comunidades indias : problemas y perspectivas », in Revista Mexicana de Ciencias Políticas y Sociales, mai-décembre, année/vol. XLVI, n° 188-189, Universidad Nacional Autónoma de México DF, Mexico, 2003.

[11Programme de certification des ejidos, mis en place en 1992 par le gouvernement, qui autorise la vente des ejidos, terres collectives normalement inaliénables à la propriété privée, par un décret constitutionnel. Dans les faits, il favorise l’accaparement des terres par les multinationales. NdT.

[12Bartra Armando (Comp.), Crónicas del Sur. Utopías campesinas en Guerrero, Era, Mexico, 2000.

[13Radio Ñomndaa, « Suljaa’ : la flor que se llama Rebeldía », in Gasparello y Quintana (comps.), Otras Geografías. Experiencias de autonomías indígenas en México, Redes Tejiendo la Utopía, Mexico, 2010.

[14Monclau Gabriela et Delmanto Júlio, Desinformémonos, février 2011, « Comunidades de Guerrero articulan la resistencia contra proyectos mineros ».

[15Bartra Armando et Otero Gerardo, « Movimientos indígenas y campesinos en México : la lucha por la tierra, la autonomía y la democracia », in Recuperando la tierra. El resurgimiento de movimientos rurales en África, Asia y América Latina, Sam Moyo et Paris Yeros (coords.), CLACSO, Buenos Aires, 2008. Voir aussi : Sarmiento Sergio, « El movimiento indígena en Guerrero », Ojarasca n° 88, Mexico, août 2004.

[16Pronunciamiento del Municipio de Suljaa’ (Xochistlahuaca), Guerrero, México, 1er décembre 2002.

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