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Quelques nouvelles, suite à un bref séjour à Oaxaca

mardi 29 juillet 2008, par Georges Lapierre

Nous avons été en famille à la Guelaguetza populaire lundi dernier, grand succès, nous en sommes revenus avec de beaux coups de soleil, du monde, du monde, ambiance détendue et sympathique, un incident pourtant, dû, comme cela arrive souvent, à l’autoritarisme imbécile (c’est un pléonasme !) et à l’arrogance de certains, en l’occurrence des dirigeants de la section 22 et de ceux chargés de la sécurité. Des organisations comme le Cipo, Vocal et autres avaient organisé une marche, qui traversait la ville jusqu’à la fête, ils n’étaient pas très nombreux, 80 au départ, ils se sont trouvés 300 à l’arrivée, des jeunes surtout, avec des pétards, des fusées, des chavos bandas, des grafiteros, des tagueurs, bien encapuchonnés et tout de noir vêtus ; à leur arrivée, ils ont fait peur aux organisateurs et au service d’ordre, discussions, bousculades, colères, finalement, ils sont entrés la tête haute.

Le plus grave de cette histoire fut la réaction des dirigeants de la section 22 à la télé, en particulier d’Ezequiel, le dirigeant par intérim, qui est parfaitement entré dans le jeu d’Ulises Ruiz, consistant à présenter les jeunes et la manifestation comme une bande de voyous et de vandales. Les maîtres d’école « sans qualité » sont atterrés par l’attitude de leurs dirigeants, il y a actuellement au niveau fédéral, comme au niveau estatal (de l’État d’Oaxaca), une offensive de grande envergure contre les instituteurs de la base. La convocation de l’assemblée des travailleurs de l’éducation pour la nomination de leurs dirigeants se fait espérer depuis 2006. Cette convocation doit venir du bureau syndical fédéral et elle est actuellement soumise à des conditions inacceptables, permettant toutes les manipulations possibles comme le vote à bulletin secret. La question est de savoir si les instituteurs de la base vont se laisser faire. Ils ont contre eux tous les aspirants à un poste de dirigeants, soit au niveau politique, soit au niveau syndical et, bien sûr, tout l’appareil de l’État.

Pour l’instant la Radio Plantón, la radio de la section 22, est encore, semble-t-il, entre les mains de la base. Elle est soumise à chantage comme toutes les radios communautaires. L’État a les moyens de les brouiller, de les désactiver, de réduire leur puissance émettrice ou tout simplement de les interdire et de confisquer le matériel. Lors de la dernière grève des instituteurs avec occupation du centre-ville, fin mai, début juin de cette année, Radio Plantón avait connu des problèmes, ses ondes émettrices étaient bloquées. Nous avons appris au cours de la Guelaguetza qu’elle avait repris ses émissions, mais sur de nouvelles longueurs d’ondes.

Maintenant c’est la radio communautaire de Zaachila, La voz del pueblo que despierta y se levanta, (La voix du peuple qui se réveille et se soulève, tout un programme !) qui est dans le collimateur à la suite du refus de la population de Zaachila de recevoir Ulises Ruiz. Depuis le 28 juin, Zaachila Radio est brouillée (sa puissance émettrice réduite) et diffamée ; on l’accuse de générer la violence parmi la population. Le président municipal, mis en place par le gouverneur et qui, dans un geste d’allégeance et de soumission, l’avait invité, cherche à se venger de l’humiliation subie, il prétend, avec l’appui du gouvernement de l’État et du Secrétariat des communications et du transport (SCT), désactiver Zaachila Radio.

Pour le pouvoir, les radios communautaires présentent un danger bien réel et il lui arrive très souvent d’intervenir avec une extrême brutalité pour les faire taire. Tout récemment (le 10 juillet 2008), mais vous êtes sans doute au courant, quarante éléments de l’Agence fédéral d’investigation (AFI), de la police de l’État et du Secrétariat des communications et du transport ont fait irruption dans les installations de la radio indigène Ñomndaa, la Parole de l’eau, située dans la communauté de Suljaa, appartenant à la municipalité de Xochistlahuaca, dans l’État voisin du Guerrero. Ils avaient l’ordre de la fermer et d’emporter le matériel de transmission. Cette radio du peuple amuzgo était connue pour la qualité de ses programmes en langue indienne et sa liberté de parole. Elle était aussi très proche de la police et de la justice communautaires. La radio a eu le temps de lancer l’alerte et les habitants se sont immédiatement précipités dans les locaux pour s’opposer fermement à l’intervention policière. Face à l’arrivée de plus en plus massive des gens, l’équipe des démolisseurs a dû battre en retraite, mais en promettant de revenir. Quelques dommages ont été causés à l’équipement, mais réparables, et Ñomndaa, la Parole de l’eau, peut à nouveau se faire entendre.

C’est la guerre des ondes, et elle fait rage. Ulises Ruiz Ortiz a des méthodes bien plus expéditives pour faire taire, définitivement, celles et ceux qui le gênent, vous vous souvenez sans doute du drame de Copala dans la région triqui, de ces deux jeunes femmes, locutrices de la radio communautaire triqui de San Juan Copala, La voz que rompe el silencio (la voix qui rompt le silence), qui sont tombées dans une embuscade et qui furent exécutées. Felícitas Martínez avait 21 ans, Teresa Bautista avait 24 ans. Le premier janvier 2007, Copala s’était déclaré municipalité autonome, le 1er janvier 2008, Copala a créé sa radio communautaire, en avril 2008, ses locutrices sont assassinées. Cette municipalité comprend 26 communautés triquis, la stratégie de l’État consiste à opposer les clans entre eux, il compte sur cette guerre intestine pour arriver à asseoir de nouveau sa domination dans cette partie de la région triqui, qui lui échappe.

En fin de compte le problème du pouvoir actuellement au Mexique est de réussir sa conversion, non seulement de passer du parti unique au multipartisme, mais surtout de libérer la société des obstacles qui entravent l’activité capitaliste tout en renforçant le contrôle sur cette même société. D’un côté, on libère, de l’autre, on sert la vis, situation assez complexe à laquelle doivent s’adapter les hommes politiques, tâche d’autant plus ardue qu’elle est faite dans l’urgence, si le peuple aspire à ce qui lui est présenté comme une libération, il est beaucoup moins disposé à accepter une plus grande soumission.

Des manifestations comme celle de la Guelaguetza populaire à laquelle je viens d’assister montrent à quel point le mouvement social reste encore fort. Il est devenu plus souterrain mais, parfois, il effleure la surface des choses, et le dragon montre les écailles de son dos avant de replonger dans les profondeurs.

Les forces de l’État ont repris les villes, cette réoccupation des positions perdues par le parti du gouverneur reste cependant très superficielle, elle ne touche pas les consciences. La très grande majorité de la population n’a pas participé à la farce électorale de l’été dernier et Ulises Ruiz s’est retrouvé avec les siens, avec ses partisans plus les votes obligés : un peu plus de 20 % d’électeurs qui donnent 100 % de sièges au parti du gouverneur. Ulises Ruiz Ortiz a su négocier avec l’opposition politique, qui a compris sa douleur ; tous les deux, le parti au pouvoir et l’opposition, ont un intérêt commun : la mise au pas d’une population rebelle. Cette connivence secrète permet à URO de donner le spectacle de la tolérance politique : la télévision locale a parlé de la Guelaguetza populaire, elle s’est seulement lamentée, avec le dirigeant de la section 22 (la principale organisatrice de la fête) du vandalisme des « incontrôlés ». Ce spectacle de la tolérance est offert à la société civile, c’est-à-dire au ventre mou de la société oaxaquègne. L’autre partie de la société a droit à un tout autre spectacle, celui de la force armée : la ville d’Oaxaca est sous occupation militaire.

Les abords du Fortin, où se déroulent une grande partie des festivités officielles, grouillent littéralement d’hommes en noir, casqués et armés jusqu’aux dents, cela donne l’impression d’une multitude de cafards sur les hauteurs et dans les creux tout autour de la ville. De quoi frissonner !

Hier, j’ai été témoin d’un incident assez révélateur de ce double jeu. Tous les samedis, certains grafiteros, tagueurs, artistes et autres anars occupent la place de Carmen el Alto au centre-ville, après avoir occupé une partie du Llano, plus en contrebas. Là, ils se livrent à différentes activités, comme peindre des toiles, vendre des CD, des gravures... c’est un lieu de rencontre entre jeunes. Soudain un frémissement parcourt cette foule bon enfant, frémissement qui risque d’un moment à l’autre de se transformer en bourrasque. Puis plus rien, j’apprends qu’un flic aurait fait des siennes, il aurait cherché à embarquer les affaires d’une vendeuse, il aurait braqué son arme, c’est la rumeur... Puis tout à coup arrivent des flics à moto, très nerveux, suivis d’une camionnette de ces fameux hommes en noir armés jusqu’aux dents, ils prennent immédiatement position sur les abords de la place à la manière d’un commando, en braquant leurs fusils-mitrailleurs sur nous, puis dans un grincement de frein, deux autres camionnettes, on se croirait dans un film de guerre : y a-t-il un terroriste sur la place ? Cette déferlante est assez impressionnante, heureusement, les jeunes ne perdent pas leur sang-froid, ils ne courent pas et restent groupés, l’un d’eux commence à parler à celui qui semble être le chef de ces troupes de choc. Il lui explique qu’il ne se passe rien, que tout est tranquille, que chacun vaque à ses activités artistiques, avec patience, il le calme, il le tranquillise : il n’y a pas de terroristes sur la place. Finalement le commando s’en va et remonte dans ses camions, à regrets ?

Je ne pense pas qu’ils auraient tiré, c’est simplement de la mise en scène, ce n’est pas tout à fait du spectacle, ce n’est pas tout à fait du cinéma, ils sont tout de même là, ces hommes avec leurs fusils-mitrailleurs, c’est une réalité, c’est la réalité d’une menace. Ulises Ruiz se permet de menacer la population d’Oaxaca. Ulises Ruiz se permet de nous menacer.

Les deux faces d’une même tyrannie : celui de la force, déploiement d’hommes fortement armés, la ville est sous contrôle, aucune incartade n’est tolérée, et celui de la tolérance, on accepte que les jeunes occupent cette place publique du centre-ville.

Ces deux derniers jours, vendredi et samedi, j’étais avec les maîtres d’école indigènes, à des ateliers de réflexion sur ce qu’ils appellent les nids de langue. Ce sont des lieux, comme le nom l’indique, de convivialité où les enfants, qui ne parlent pas leur langue, l’apprennent. Cette expérience a commencé dans les banlieues des villes de Nouvelle-Zélande afin que les enfants maoris puissent retrouver leur langue et leur culture d’origine ; de là, elle s’est étendue dans tout le pays maori.

Au cours du Congrès national de l’éducation indigène, qui s’est tenu à Oaxaca en octobre 2007, il fut entendu, entre autres, de mettre en pratique ces nids de langue dans les communautés où la langue d’origine est en train de se perdre. Six nids de langue ont ainsi vu le jour à Oaxaca, deux dans la Sierra Norte (zapotèque), deux dans la Mixteca, deux dans les Cañadas (cuicatèque), une autre est en cours d’ouverture du côté de Huahutla, dans la montagne mazatèque. C’est la communauté qui manifeste le désire de sauver sa langue et qui participe non seulement à la construction du nid avec les matériaux traditionnels mais aussi à l’apprentissage de la langue et de la culture en désignant ceux qui seront les guides, en général des anciens, de cette initiation. Cela n’a rien à voir avec l’école et un enseignement plus ou moins dirigiste et autoritaire. On place l’enfant dans un cadre familier et traditionnel dans lequel la langue fait partie de son environnement culturel, les « guides » s’associent aux activités de l’enfant (jeux, fêtes, cuisine, activités traditionnelles, artisanales ou agricoles...) en leur parlant dans leur langue d’origine.

Ce furent des journées de réflexion et de débat à partir de ces premières expériences, des séquences vidéo ont été projetées ; quelles sont les avancées, les difficultés rencontrées... Il y avait avec nous quelques « guides » et des enseignants indigènes venus d’autres États, Chiapas, Michoacán..., Basse-Californie, où ils ont le projet de créer des nids de langue dans les centres d’immigration.

La résistance indienne a des ressources. La culture des peuples originaires d’Oaxaca est soumise à un bombardement tous azimuts avec les sectes religieuses et politiques, l’école, les conditions de vie de plus en plus insupportables. Aujourd’hui, cette culture est encore suffisamment dynamique pour absorber les changements et les influences qui lui viennent du monde dit occidental, trouver une parade, c’est cette capacité d’absorption et de transformation, cette faculté d’adaptation qui fait la force d’une culture ; souvent les ethnologues ou anthropologues parlent d’acculturation sans toujours reconnaître cette vitalité et les parades qu’elle est capable de dresser face aux forces de décomposition. C’est quand cette vitalité s’affaiblit et s’amollit que nous pouvons alors parler d’acculturation.

Nous avons l’exemple des peuples mayas du Chiapas, qui sont en train de construire, dans des conditions adverses, une autonomie s’étendant sur plusieurs régions et regroupant plusieurs ethnies ; nous avons l’exemple de la police et de la justice communautaires des peuples indiens du Guerrero, qui touche sept municipalités et plus de soixante communautés ; nous avons aussi l’exemple des peuples originaires d’Oaxaca, où le mouvement autonome vient émouvoir les villes, et puis celui du peuple purepecha du Michoacán, et celui du peuple wixarika... bon, je m’arrête là, à bientôt.

Oaxaca, le 27 juillet 2008,
Georges Lapierre

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