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Lettre ouverte

Qu’est-ce qui fait mentir David Bornstein, correspondant de Libération au Mexique ?

samedi 21 février 2004

C’est avec colère que nous avons pris connaissance de l’article de M. David Bornstein paru, à l’occasion du dixième anniversaire du soulèvement zapatiste, dans Libération du 1er janvier 2004. « Dix ans après, les rangs désertés des zapatistes du Chiapas » aurait pu s’intituler « Dix ans après, le mouvement zapatiste salement caricaturé par un journaliste ». Un mélange de semi-vérités et d’inexactitudes graves (volontaires ou non) font de cet article un parfait exemple de désinformation.

Depuis l’inauguration des Caracoles zapatistes (août 2003), on assiste, sur le terrain, par le biais de caciques, de paramilitaires et de groupes politiques, à une offensive sérieuse. Les provocations sont continuelles, dans le but de déclencher un affrontement entre indigènes qui donnera le prétexte attendu par l’armée pour intervenir. Dans un tel contexte, l’information de la société civile internationale est, pour nous, essentielle et il nous semble indispensable de revenir sur quelques affirmations de M. Bornstein. Nous joignons à cette lettre ouverte la réponse de M. Gaspar Morquecho à l’article dans lequel il est non seulement cité mais pris à témoin. Sans doute est-il trop tard pour une rectification, cependant ces précisions sont utiles à connaître, sachant que M. Bornstein récidive dans la calomnie : il insistait déjà, dans un« reportage » sur les zapatistes publié par Libération en date des 9 et 10 août 2003, dont les sources étaient invérifiables (« un militant français », « un bon connaisseur du dossier au sein du gouvernement »), sur le « soutien à l’ETA » de Marcos, allégation démentie de longue date (voir la « Lettre à l’ETA » de l’EZLN, publiée dans la presse mexicaine en janvier 2003). Le correspondant au Mexique de Libération n’hésite pas à orienter ses informations, à déformer et à calomnier, pratiquant ce qui ressemble fort à un combat d’opinion (de faiseur d’opinion) contre les zapatistes. Il a des précurseurs de triste mémoire, comme l’ancien correspondant du Monde Bertrand de La Grange, que les zapatistes ont refusé de recevoir lors des Rencontres intercontinentales de l’été 1996.

Concernant les Juntas de buen gobierno (conseils de bon gouvernement), voici des précisions recueillies sur place

À propos des conditions de l’« emprisonnement » dont « un paysan », d’après M. Bornstein, accuse le conseil de Morelia : il y a bien six « geôles » sur le territoire de la communauté de Morelia. Elles ne dépendent pas du conseil (instance régionale d’autonomie), qui n’a aucune geôle et n’a jamais dicté d’ordre d’emprisonnement. Deux dépendent de la communauté de Morelia et quatre de la commune autonome (municipio autónomo, regroupant plusieurs communautés) « 17 de Noviembre ». Le terme d’emprisonnement est de plus très mal utilisé. Les « geôles » des communautés indiennes (zapatistes ou non) n’ont pas pour fonction d’« emprisonner » les gens : il ne s’agit que de retenir la personne accusée d’un délit pour éviter qu’elle s’enfuie, le temps de réunir, rapidement, les parties concernées. Quand toutes les parties impliquées dans l’affaire sont réunies, on fait sortir la personne de la geôle, elles exposent leur point de vue aux autorités (de la communauté ou de la commune autonome, selon le cas), qui dicteront une sentence.C’est le rôle des autorités de la communauté ou de la commune autonome, ce n’est pas celui du conseil.

Les peines d’emprisonnement sont de toute manière à l’opposé des usages des communes autonomes (et, plus généralement, des communautés indiennes). Il ne s’agit en aucun cas de « condamner » les coupables à la prison, car il ne s’agit pas de faire de celui qui a commis un délit un délinquant à répétition (en l’enfermant dans une prison) : la sentence doit servir à ce que l’auteur du délit reprenne conscience qu’il est membre d’une communauté, d’une société. Il faut donc chercher à le « réhabiliter » et non le condamner à la réclusion, en lui donnant, par exemple, comme sentence la participation à une série de travaux d’intérêt collectif pour la commune, la communauté ou la famille qui avait été victime du délit.

La tâche des conseils consiste à établir un pont entre la « société civile » et les communautés autonomes. Par exemple, leur rôle peut être d’éviter, de dénoncer et de résoudre des conflits qui existeraient entre les communautés et l’extérieur. Ce sont aussi « les portes et les fenêtres » du territoire zapatiste, créées pour accueillir, guider (ou éconduire) la société civile (individus, associations, délégations, etc.). L’exemple suivant peut donner une idée du rôle d’un conseil (en l’occurrence, celui de Morelia, principale accusée de l’article de M. Bornstein) : deux paysans ont été incarcérés par l’État mexicain en août-septembre 2003 dans la prison située près de Rancho Nuevo (à la sortie de San Cristóbal), tous deux accusés du délit fédéral d’ecocidios pour avoir été pris en train de couper... du bois de chauffe ! Les représentants du conseil de Morelia sont allés jusqu’à cette prison pour tenter une conciliation, en expliquant, entre autres, que les autorités de la commune autonome « Miguel Hidalgo » avaient donné l’autorisation de couper du bois de chauffe dans cette zone. Le conseil a ainsi obtenu la libération des deux prisonniers, l’un étant zapatiste et l’autre priiste (membre du Parti révolutionnaire institutionnel, PRI, au pouvoir de 1929 à 2000). Hermann Bellinghausen, correspondant de La Jornada au Chiapas, a publié en septembre 2003 un article sur cette affaire.

Les reportages de M. Bornstein, correspondant de Libération au Mexique, sont maintenant connus des zapatistes. Le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte leur ayant donné la publicité qu’ils méritent. Ces pratiques de désinformation vont de pair avec la guerre « de basse intensité » qui règne dans cette partie du Mexique. Il ne nous semble finalement pas inutile que la rédaction de Libération soit à son tour avertie du jeu trouble de son correspondant.

Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

À Libération, Paris
de Gaspar Morquecho

Señores de Libération, j’ai reçu récemment du collectif de solidarité avec le Chiapas, ayant son siège à Paris, une copie de l’article « Dix ans après, les rangs désertés des zapatistes du Chiapas », signé par votre correspondant au Mexique David Bornstein, dans lequel je suis mentionné comme une des « sources ».

« Une analyse que Gaspar Morquecho, l’une des figures de la “société civile” de San Cristóbal, engagé aux côtés des “insurgés” depuis plus de quinze ans, doit admettre à contrecœur. “C’est vrai, les effectifs sont en baisse, peut-être un tiers de la population indigène - soit 10 % du Chiapas aujourd’hui - contre le double ou le triple en 1995.” »

Effectivement, j’ai eu une longue conversation avec votre jeune correspondant, réduite à cinq lignes, cependant le plus grave est que le contenu ne correspond pas à mes points de vue et aux convictions que j’ai exposées à David durant l’interview, c’est pourquoi je vous envoie la réponse suivante :

1. Ma sympathie pour les « rebelles » a commencé il y a dix ans, ce 1er janvier 1994 sur la place centrale de San Cristóbal de las Casas.
2. Quant aux effectifs zapatistes, jamais je n’ai dit qu’ils étaient « en baisse ». Au contraire, j’ai la certitude - et je l’admets sans que cela me coûte de le dire - que ces effectifs se sont renouvelés et renforcés : j’estime qu’il y a - au moins - 10 000 insurgés en alerte et des milliers de miliciens en plus dans les bases d’appui.
3. En référence au total des Indiens zapatistes, je faisais le commentaire à David que mon calcul est qu’un tiers de la population indigène est zapatiste, c’est-à-dire qu’au moins 300 000 Indiens sont zapatistes, quantité qui correspond, effectivement, à 10 % de la population du Chiapas. Sans compter les milliers de zapatistes dans le reste du pays et autant de sympathisants répandus à travers le monde.
4. Le manège auquel se livre Libération coïncide avec la velléité broyeuse de quelques médias et journalistes qui, à dix ans du soulèvement, soulignent, par exemple : « 1994-2004 la grande illusion, 1994-2004... la grande frustration » (Proceso, édition spéciale n° 13, Mexico) ; « Les zapatistes s’enlisent au Chiapas » (El Pais, 28 décembre 2003, Espagne) ; « Une décennie après : les métamorphoses de Marcos » (Bertrand de La Grange, Milenio n° 329, Mexico) ; « Dix ans après, les rangs désertés des zapatistes du Chiapas » (Libération, Paris).

C’est tout.

Hiver 2004.
San Cristóbal de las Casas,
Chiapas, Mexique.
Gaspar Morquecho

P-S : Dix ans après et... sans visage, ah !

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