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Police communautaire dans le Guerrero, au Mexique,
la société contre l’État

mercredi 13 février 2013, par Jean-Pierre Petit-Gras

Dans les jolies régions du sud de l’État du Guerrero, la Montaña et la Costa Chica, de nombreuses communautés tlapanèques et mixtèques mènent depuis des temps immémoriaux (du moins pour notre mémoire d’Occidentaux, courte et sélective) une vie tranquille. Elles cultivent le maïs, le haricot et la courge, qui leur assurent une autonomie alimentaire bien maîtrisée, et un peu de café, pour couvrir les dépenses des familles et des collectivités. Quelques animaux de basse-cour, des chèvres et des moutons, des ânes, chevaux et mulets complètent l’ordinaire, ou aident aux transports vers le marché de San Luis Acatlán.

Mais, vers 1995, cette tranquillité a été brutalement remise en cause. Des agressions, attaques à main armée et viols se sont multipliés contre les habitants. La terreur dans ce petit paradis. Deux éléments ont amené les communautés à prendre d’importantes mesures d’autodéfense. Le premier a été la passivité de la police officielle, dont le commandant allait jusqu’à réclamer de l’argent aux victimes des agressions pour « payer l’essence et pouvoir attraper les délinquants ». Ensuite, les indigènes ont constaté que les individus qui les attaquaient et rançonnaient étaient de mèche avec les gros éleveurs de la région, les caciques et autres gros bonnets.

Après une série de réunions et débats, les habitants ont pris une décision forte, celle de créer leur propre police. Désignés par l’assemblée de chaque village, ces policiers communautaires effectuent leur service pendant une période de trois ans. Ils ne sont pas rémunérés (mais on aide leur famille pour les travaux des champs) et demeurent sous le contrôle de la population, tenus d’exercer leurs fonctions d’une manière irréprochable. Dans le cas contraire, ils sont immédiatement révoqués.

Très rapidement opérationnelle, la Policía Comunitaria a commencé à effectuer des arrestations. Les bandits qu’elle interpellait étaient remis à la justice officielle. Mais le juge, arguant que cette police n’était pas légale, et que les preuves qu’elle fournissait n’avaient pas de valeur, les remettait en liberté.

L’étape suivante fut donc la création, inspirée des traditions des communautés indigènes, d’un système de justice autonome, destiné à parachever le travail des policiers communautaires. La justice passe, à leurs yeux, par une tentative de réparation des torts infligés, poursuivie par un effort de réconciliation avec les victimes et l’ensemble de la communauté. Les délinquants sont donc condamnés, en fonction de la gravité des préjudices portés et les circonstances qui les entourent, à travailler, pendant une durée pouvant aller de quelques semaines à plusieurs années, pour les villages appartenant à la Coordination régionale des autorités communautaires (CRAC). Convenablement nourris et traités, ils sont tenus de dormir en cellule, et de respecter jusqu’au bout les décisions prises à leur encontre. Vers la fin de leur peine, une délégation d’anciens vient leur prodiguer conseils et recommandations pour retrouver une vie digne au sein de leur village.

Cette police et le système de justice de la CRAC ont obtenu des résultats impressionnants, faisant pratiquement disparaître la délinquance dans toute la région. Les quelques communautés impliquées au début sont aujourd’hui plus de quatre-vingts, et une soixantaine sont candidates à leur incorporation. Mais, pour le pouvoir officiel, au niveau de la municipalité de San Luis Acatlán comme de l’État du Guerrero, ou du gouvernement fédéral, tout cela est illégal. À plusieurs reprises, l’armée a tenté de désarmer la Policía Comunitaria. Les indigènes ont pourtant offert, à maintes reprises, de recevoir et dialoguer avec ces autorités, afin de faire valoir leurs raisons.

Ces derniers mois, l’offensive de l’État contre la CRAC a pris un nouveau tournant. Il faut dire que, en raison de la richesse de son sous-sol, la région intéresse de grosses entreprises minières. Et la CRAC, fidèle à ses engagements, a solennellement affirmé qu’elle soutiendrait les communautés dans leur opposition à tout projet d’expropriation et de destruction sur leur territoire. Des groupes de trafiquants et des bandes armées ont fait leur apparition, tentant de réintroduire l’insécurité. Selon Abel Barrera, directeur du Centre des droits humains de la Montaña, Tlachinollan, ces bandes sont soutenues, en sous-main, par le gouverneur Aguirre. Des menaces de mort ont été adressées aux autorités communautaires. Et puis, dernier échelon dans l’actuelle escalade, Máximo Tranquilino Santiago, l’un des coordinateurs régionaux de la CRAC, a été arrêté la semaine dernière par la police ministérielle. L’ordre émanait du juge du ministère public. Máximo Tranquilino et les autres coordinateurs sont accusés de « détention illégale » contre un individu accusé de meurtre, et qui purge actuellement une peine dans le cadre de la justice communautaire.

En réponse à cette arrestation, la police communautaire a procédé à celle du juge et de trois fonctionnaires et agents du tribunal, expliquant que ceux-ci n’ont pas respecté le système de justice communautaire, et violé les droits des peuples premiers de l’État du Guerrero.

Huit cents membres de la Policía Comunitaria sont mobilisés, prêts à défendre ces droits.

Angel Aguirre Rivero, le gouverneur du Guerrero, appartient au PRI, le parti du nouveau président fédéral, Enrique Peña Nieto. Ce parti corrompu qui, de la fin des années 1920 à l’an 2000, a opprimé, torturé et massacré les populations du Mexique, vendant ses immenses richesses au plus offrant. Après l’intermède — lui aussi désastreux — des sexennats de Vicente Fox et de Felipe Calderón, les assassins de la place des Trois-Cultures (en octobre 1968), ceux d’Aguas Blancas (juin 1995) et d’Acteal (décembre 1997) sont de retour, espérant qu’on les a oubliés. « Vous ne nous connaissez pas, attendez et vous verrez... » a dit Peña Nieto (responsable direct en 2006 de la terrible répression contre le village de San Salvador Atenco).

Malheureusement pour eux, les zapatistes, ainsi que les autres peuples indigènes, ont une mémoire.

12 février 2013,
Jean-Pierre Petit-Gras

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