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Ministère de la Régularisation de Tous les Sans-Papiers

Paris-Nice : une longue marche pour des papiers

jeudi 6 mai 2010, par Anita

Les sans-papiers du MRTSP (Ministère de la Régularisation de Tous les Sans-Papiers) ont décidé de s’inviter au raout France-Afrique de Nice, les 31 mai et 1er juin prochains. Alors que des dizaines de chefs d’État y sont attendus, ils veulent dénoncer leur collaboration avec la politique néocoloniale française. Pour marquer le coup, ils sont partis le 1er mai. À pied. Récit du départ.

Mardi 4 mai 2010, par Anita pour Article XI.

Ça y est. Ils sont partis ! Un départ (presque) en fanfare le samedi 1er mai, depuis la rue Baudelique, dans le XVIIIe, et le siège du MRTSP (Ministère de la Régularisation de Tous les Sans-Papiers). Un peu en retard sur l’horaire prévu, le temps de distribuer quelques paires de chaussures et des gilets fluo, de faire l’appel des marcheurs...

Les marcheurs sont principalement issus de la CSP75, mais aussi d’autres groupes de la région, du DAL ou encore du collectif Turcs et Kurdes. Ils se dirigent d’abord vers République pour le défilé, et puis lâchent la manif du 1er mai. Direction : le Sud ! Accompagnés par leurs camarades et quelques policiers, ils longent les boulevards extérieurs en un cortège joyeux et bigarré, qui scande les refrains habituels — « Sarkozy a oublié, ses parents sont immigrés... » — et interpelle les passants : « On est des travailleurs sans-papiers ! On va à Nice ! On va se taper mille kilomètres ! »

C’est une vraie marche à la mexicaine ou à la bolivienne qui démarre ainsi, la rage au cœur et les cors aux pieds, une petite marée noire hexagonale. C’est parti et c’est beau. Si la tradition est plutôt latino (quoique, remarque un ami bolivien : « C’est bizarre leur truc. Chez nous, on part plutôt de la province pour aller vers la capitale... »), la plupart des marcheurs sont africains ; mais il y aussi des Kurdes, des Antillais et même des Chinois. Seul regret, la relative discrétion des sans-papières, qui ne sont que trois, dont une déléguée de la CSP75. Chez les Français qui accompagnent les sans-papiers, en revanche, plusieurs filles, dont deux vidéastes qui alimenteront le blog de la marche pendant un mois.

L’absence des médias « normaux » est d’ailleurs aussi remarquable que le nombre d’« alternatifs », avec deux personnes de Téléliberté et un représentant de FPP. On croise aussi un jeune homme qui donne des cours d’informatique rue Baudelique ou encore une poète errante s’étant déjà frottée aux marches mexicaines. En tout, les « avec-papiers » sont une petite dizaine et ont pour point commun d’être des « électrons libres » (par opposition aux soutiens affiliés aux « orgas »).

Pour ceux qui n’auraient pas suivi, rappelons que depuis juillet dernier, la CSP75, violemment expulsée en juin de la Bourse du travail par les camarades de la CGT — cf l’article « Prends ta tarte, camarade » — occupe un bâtiment parisien désaffecté de la CNAM, rue Baudelique. Ayant lancé un appel à la rejoindre dans ce lieu immense, elle impulse la création en septembre du Ministère de la Régularisation de tous les Sans-Papiers (MRTSP), composé de plusieurs collectifs de sans-papiers d’Île-de-France et de plusieurs partis et associations de soutien, dont la plupart — gênés de soutenir l’occupation de la Bourse — sont ensuite revenus dans le combat. Depuis, tous se réunissent chaque semaine au « Ministère » pour décider d’actions communes, notamment des manifestations tournantes devant toutes les préfectures d’Île-de-France. Les ont rejoints de très nombreux sans-papiers isolés, attirés par la médiatisation de cet été.

Si seule la CSP75 occupe physiquement le bâtiment de la CNAM (rejointe par le collectif des Turcs et Kurdes), trois mille occupants vivent dans cette Babel contemporaine, en une internationale métèque improbable et combative. On y croise des hommes et femmes de tous pays, un repas y est servi quotidiennement et, dans les étages surpeuplés, ça sent le maffé ou les lentilles à l’indienne. Lorsqu’un Malien rencontre un Bengladi, ça donne à peu près ça : « Hello camarade, where is ton délégué ? »

Depuis un mois, le Ministère prépare la marche sur Nice, tâchant de s’assurer du gîte et couvert pour chaque étape d’un périple passant par Melun, Auxerre, Châlon, Macon, Lyon, Valence, Avignon, Marseille, Cannes et enfin Nice. En ce samedi matin, l’organisation peut sembler approximative. Il manque ainsi un camion et un chauffeur pour transporter les affaires des marcheurs, mais le problème se règle en marchant, deux copains se proposant pour des allers-retours en voiture. Ce soir, première étape à Vitry, où le collectif des sans-papiers et leurs camarades s’activent depuis plusieurs jours pour l’accueil et le repas.

À l’issue de cette première et courte étape (15 kilomètres), tous les marcheurs se regardent, heureux : ils l’ont fait, ils sont en marche ! Un événement souligné dans les prises de parole : « Après l’occupation de Zapi, après Saint-Bernard, vous êtes entrés dans l’histoire ! Regardez comme vous êtes beaux ! » OK, ils sont beaux, mais pour l’heure ils ont surtout faim et se bousculent autour du repas préparé par les militants de Vitry. Ceux-ci se désolent de l’hébergement : la mairie a refusé d’ouvrir un gymnase (pour des raisons de sécurité, of course) et n’a concédé qu’à contre-cœur le terrain vague octroyé aux cirques de passage. Cette première nuit se fera donc dans le froid et le crottin de chameau, sous les tentes qui prennent l’eau, réminiscence de cet hiver et des trois mois d’occupation du trottoir de l’Hôtel des impôts de Vitry par le collectif. À l’aube, beaucoup ont peu dormi. Leïla, la cinquantaine joyeuse, résume au réveil son état d’esprit en rigolant : « C’est la merde ! », faute au froid et à son manque d’habitude du camping... Heureusement, à 7 heures, café et croissant sont là, et quand les militants proposent de prendre des douches chez eux, le moral général remonte en flèche.

La seconde étape est plus longue, et les marcheurs sont désormais seuls. Un arrêt était prévu devant le CRA de Choisy-le-Roi, mais la police a dévié le trajet pour éviter tout « débordement ». Sissoko Anzoumane, l’un des délégués de la CSP75, propose une halte pour un petit point historique face à la statue de Rouget de l’Isle : « C’est lui qui a écrit La Marseillaise ! On va lui chanter la version des sans-papiers ! » Plus loin, après avoir franchi la Seine à Athis, le cortège fait un petit détour pour manifester devant le commissariat de Draveil, « le plus zélé du département, celui qui arrête le plus de sans-papiers ».

La troupe trouve son rythme, on discute et on blague : « Après Nice, on continue sur Rabat et Bamako ! » Marchant depuis plusieurs heures d’un bon pas, elle croise peu de monde dans ces banlieues désertes. Bien encadrée par la bleusaille, elle gêne peu la circulation ; devant une voiture tentant pourtant de forcer le barrage, un flic s’énerve même : « Vous croyez que ça m’amuse de les suivre ? Ils ont le droit de manifester aussi, c’est tout ! »

Au final, les marcheurs arrivent à Evry sur les genoux. Les trente kilomètres du jour se font sentir : certains ont fini en chaussettes, d’autres mettent de la pommade sur leurs ampoules. Tous posent leurs bagages dans un foyer pour immigrés habité par des Kurdes de Turquie, qui servent un thé noir et brûlant. Des chaussures neuves et des duvets arrivent, il faut réussir à s’installer à cent dans les locaux du foyer. De leur côté, les Kurdes s’activent pour le dîner ; plus tard, il ne faut pas les prier beaucoup pour qu’ils se lancent dans une danse du pays, avec une allégresse communicative.

À la nuit tombée, la malheureuse reporter doit quitter la bande pour revenir à Paris, émue de ce début d’aventure joyeusement bordélique, rageant de voir ce combat si peu couvert par les médias, et la tête pleine des vers du Cahier d’Aimé Césaire :

« ... la négraille assise/ inattendument debout/ debout dans la cale/ debout dans les cabines/ debout sur le pont/ debout dans le vent/ debout sous le soleil/ debout dans le sang/ debout/ et/ libre... »

C’est parti pour un mois. Demain, Melun, puis Sens, la vallée du Rhône et le Midi... Vous qui cuisinez à l’abri et confortablement installés, renseignez-vous ! Peut-être que la troupe passe par chez vous, du côté des terrains vagues ou des foyers d’immigrés : n’hésitez pas à apporter votre grain de sel à l’aventure. Vous serez bien reçus, et apprendrez à pratiquer le turco-malien mieux que personne...

Anita

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