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Notre-Dame-des-Landes - Paris
Jean-Pierre, cette victoire est aussi la tienne…

samedi 27 janvier 2018

Retour sur la victoire enthousiasmante du mouvement contre l’aéroport vue par un ancien membre du collectif Notre-Dame-des-Landes - Paris. L’occasion d’un brin de nostalgie et de joie à propos de cette formidable aventure.

Un éclair dans une période pourrie

Lorsque Hollande arrive au pouvoir, on sent que ça va être long. Les luttes sont au point mort depuis déjà deux ans et sont pas prêtes de reprendre tant une grande partie du mouvement social croit encore aux promesses de « la gauche gouvernementale ». La rentrée sociale n’en est pas une et chacun essaie de combler le vide par un militantisme du quotidien qui n’a pas trop de sens et qui peine à faire le lien avec des gens… On avait bien entendu parler de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes à ce moment-là. Tout le monde était évidemment sympathisant de cette lutte, nous étions nombreux à être déjà allés sur la « zone à défendre », à une époque où le terme « zadiste » n’existait pas encore. Mais à titre personnel, je n’imaginais pas le rapport de force encore très faible (la plus grosse manif du mouvement en mars 2012 avait regroupé environ dix mille personnes) pouvoir renverser le monstre Vinci. Et les quelques personnes qui occupaient la zone ne pesaient pas lourd… Alors quand Valls et Ayrault ont lancé leurs flics et leurs gendarmes sur la ZAD en novembre 2012, bah on s’est dit qu’on allait vers une énième défaite. Mon pessimisme me perdra…

On a donc fait les premières réunions au CICP [1] à l’initiative d’individus bien connus pour leur engagement libertaire et écologiste… et en premier lieu le regretté Jean-Pierre Petit, présent aux premières heures de cette mobilisation. Et là c’est la surprise : on est une centaine au CICP. Grosse énergie mais aussi gros bordel : la cohabitation entre les membres des Verts, les altermondialistes professionnels, les autonomes pur jus et les hippies amoureux de Gaïa est assez compliquée. C’est une vraie galère, on tente toutes les formes d’organisations, ça marche pas trop. Nous on organise des bus pour aller à la grosse manif de réoccupation prévue le 17 novembre 2012. On sent qu’il y a de l’envie mais on patine. Et puis on fait des rencontres. Ce genre de grosse AG, où aller boire un coup à la fin est presque aussi productif que les laborieux tours de parole à 70. Parce que la plupart du temps les AG du début c’était « bon on a pas trouvé de consensus sur ce point, donc on en rediscute la semaine prochaine ». L’enfer pour tout bon militant marxiste-léniniste mais tellement jouissif pour les gens qui venaient de se politiser !

Le Transfo

Assez vite, on voit que le CICP c’est vraiment pas adapté, on demande donc à aller au Transfo, un gros lieu occupé à Bagnolet. On arrive donc là-bas et l’ambiance change petit à petit. On revient tous de la manif de réoccupation qui a connu un succès inespéré puisqu’une foule de quarante mille personnes s’est entassée dans la boue de la ZAD. On a un cœur gros comme ça, on se sent très solidaires et sur le collectif parisien ça se ressent. Au Transfo, il caille, c’est l’hiver. On est tous en doudoune à prendre plein de décisions dans la salle du premier étage, ça prend forme, on est vraiment un collectif. On appelle à des manifestations, on organise le départ pour l’événement « Sème ta ZAD ». On se paye vraiment des barres à organiser des covoiturages, les initiatives fusent de partout. Un coup y en a qui veulent organiser des campagnes d’affichage dans le métro parisien, ils se mettent au boulot à un groupe d’une quinzaine et font ça. C’est mortel. On est tous trop contents. Et là y a une idée géniale et complètement folle qui émerge : si on construisait une cabane en pièces détachées au Transfo, on la démonte ensuite, et ensuite on la remonte sur la ZAD. Bon au début j’ai pris les gens qui ont proposé ça pour des tarés (mais des gentils tarés), et puis quand j’ai vu les tonnes de matos qui arrivaient, les pleins de gens qui passaient des après-midi entières dedans, le nombre de gens qui ont vissé, cloué, coupé, bah j’ai halluciné. J’ai halluciné mais j’y ai cru. Mais quelle énergie ! Et quelle transmission. Merci à L., entre autres, qui aura passé des mois à expliquer à des gens pas du tout bricoleurs comment utiliser à bon escient une palette… Et donc quelques fous sont allés monter la Transfu sur la ZAD. Incroyable. Une cabane avec étage, une beauté [2].

Et d’autres pendant ce temps se réunissaient dans le squat de la rue Florian dans le vingtième pour former un atelier « automédia ». On alimentait le blog du collectif, on écrivait des communiqués de presse, on trouvait vaguement des consensus pour écrire un tract qui sentait trop le consensus et les compromis… Bref on tâtonnait mais avec toujours autant d’énergie [3].

On se rappelle aussi des foirages et de cette action complètement loupée chez François Pinault où Salma Hayek avait signé un PV (jolie dédicace) aux treize copains, dont Jean Pierre, qui s’étaient fait chopper pour « intrusion dans une propriété privée ». Ça nous avait quand même bien fait marrer rétrospectivement même si on avait dû bien batailler judiciairement parlant (et ça avait payé !).

Et puis évidemment, on était dopés par la résistance sur le terrain : les flics arrivaient pas à expulser les gens de la ZAD, l’État avait été obligé de lâcher une « trêve ». Alors c’était la belle vie. Mais malheureusement ces moments de grâce ne peuvent pas durer éternellement. La trêve obtenue par le mouvement a réduit les activités du collectif Notre-Dame-des-Landes - Paris. Après quelques mois, le collectif s’est plus ou moins mis en sommeil, on a perdu un peu d’énergie, des réunions ont toujours eu lieu mais avec intermittence, bref, l’euphorie du début est un peu retombée. Certains sont allés vers la zone de Bure, d’autres se sont carrément installés à la ZAD, beaucoup ont décidé d’arrêter de bouffer la pollution à Paris... Même si le collectif parisien a continué d’exister, je m’en suis aussi éloigné petit à petit, occupé par d’autres impératifs militants et d’autres envies. Mais par contre, on s’y est toujours retrouvés les jours de grande manif. Et on s’y retrouvera le 10 février !

Jean-Pierre…

Alors quand mercredi, l’État par l’intermédiaire de son ministre en chef a déclaré qu’on avait gagné, qu’une putain de chape de béton n’écrasera pas le bocage nantais, j’ai chialé. Pour tous les moments qu’on a vécus, j’ai chialé. Quand j’ai lu le communiqué commun du mouvement anti-aéroport, j’ai chialé. J’ai chialé parce que je me suis rappelé que moi l’anar, l’autonome, le casse-couilles, le radical, je me suis retrouvé au coude à coude avec des militants d’Attac ou des Amis de la terre, avec des gens avec qui je partageais pas le même imaginaire ni les mêmes aspirations avant cette lutte. Et en lisant le communiqué, j’ai vu qu’à la ZAD c’était pareil. Que des gens super-différents avaient réussi à causer, à se mettre autour d’une table et à offrir un projet commun.

Alors quand j’ai pensé à vous Antoine, Pierre, Lucie, Judith, Audrey, Karim, Léa, Luc, Vincent, Thomas, Robin, Gilles, Alain, tous les gens qui venaient à toutes les AG sans parler parce qu’il y avait trop de grandes gueules, tous les gens que je croisais sans connaître leur nom mais avec qui j’avais des discussions passionnantes, tous les gens avec qui j’ai tenu des banderoles, écrit des tracts, avec qui j’y ai cru, bah j’ai chialé comme un gosse. Tous les gens qui m’ont rappelé encore une fois qu’ensemble on est plus fort.

Et quand j’ai pensé à Jean-Pierre, j’ai doublement chialé. Jean-Pierre Petit, la pierre angulaire du collectif. Le mec qui était toujours là. Toujours présent, son éternel chapeau feutre vissé sur la tête. Jean-Pierre et toutes ses contradictions.

Jean-Pierre, qui poussait des coups de gueule quand ça patinait ; Jean-Pierre, qui essayait toujours d’aller dans le consensus même quand il y avait des positions irréconciliables ! Jean-Pierre, qui nous a quittés le 10 mai 2017. Jean-Pierre, qui n’aura pas vu un monde sans cette enfoirée de machine à avions. Jean-Pierre, auquel on a tous et toutes pensé quand on a appris la nouvelle.

Cette victoire contre l’aéroport, c’est donc celle des occupants, c’est celle des paysans qui ont refusé de revendre leur terre. Mais c’est aussi la nôtre, à tous ceux qui ont animé les comités locaux. C’est aussi la mienne. Et c’est aussi la tienne, Jean-Pierre.

M., ancien membre du collectif francilien
Source : Paris-Luttes.info
20 janvier 2018.

Notes

[1Centre international de culture populaire, au 21 ter, rue Voltaire, 75020 Paris (note de “la voie du jaguar”).

[2Un livre est sorti avec, entre autres, le plan de la cabane, il est disponible ici.

[3Un aperçu des actions de l’hiver 2012-2013 du collectif ici.

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