Avec l’illégalité qui le caractérise, le gouvernement mexicain de Felipe Calderón a fermé manu militari l’entreprise publique en charge de la distribution d’électricité dans le centre du pays, cherchant ainsi à s’assurer la mainmise sur un secteur clef qui lui échappait et à faire taire un des derniers syndicats indépendants, combatifs et puissants du pays. 56 000 familles sont touchées directement par la mesure.
Un peu avant minuit le samedi 10 octobre, le président a envoyé 6 000 agents de la Police fédérale (PF) [1] occuper les installations de la compagnie publique Luz y Fuerza del Centro. Les Mexicains étaient alors occupés à fêter la victoire de l’équipe nationale de football. Un décret exécutif publié dans une édition spéciale du journal officiel le dimanche prononce la liquidation de la compagnie. Une intervention télévisée du chef de l’État vient expliquer le sens de la mesure. L’opération, visiblement préparée de longue date, a duré seulement trois heures et a affecté les États de Mexico, Puebla, Morelos et Hidalgo, ainsi que la ville de Mexico. Plusieurs cas de violences ont été dénoncés par les employés. Luz y Fuerza del Centro assurait la distribution de l’électricité dans le centre du pays couvrant les besoins de 25 % de la population nationale. Le reste du pays comme la production d’électricité étant géré par la Commission fédérale d’électricité (CFE) désormais en charge de la totalité du territoire. L’objectif est de briser le puissant Syndicat des électriciens du Mexique (SME) qui a été acteur de plusieurs mouvements de résistance au gouvernement et reste un des rares syndicats qui ne soit pas étroitement lie au pouvoir. 44 000 travailleurs syndiqués se sont ainsi retrouvés invités à retirer leur chèque de solde avec une prime pour ceux qui le feraient dans le premier mois. La mesure touche aussi 12 000 inactifs retraités. L’État propose deux ans et demi de prestation d’avance et dans certains cas le maintien des pensions, le budget étant réduit à 10 % du coût global actuel.
En finir avec le "modèle terroriste de l’organisation des travailleurs"
La justification du gouvernement repose sur les coûts d’exploitation largement supérieurs aux autres entreprises publiques, incriminant les "privilèges" des salariés ainsi que leur trop grand nombre (8 000 employés seraient suffisants), ou des pratiques relevant d’une époque révolue qui selon les experts ont conduit le pays vers le retard économique. Les causes des pertes financières sont plus probablement à chercher dans les grandes dettes des officines gouvernementales, des industriels, et autres grands comptes - 6 500 dossiers représentants plus de 75 % des revenus de la défunte compagnie.
Par ailleurs l’État fixe les prix de vente de l’électricité au public comme ceux d’achat à la CFE. Les rabais accordés à l’industrie ont aussi aidé au déséquilibre des comptes, justifiant ainsi l’action de l’État. Les fonctionnaires du gouvernement promettent de ne pas aller vers la privatisation, mais les travailleurs n’ont pas la mémoire si courte ; le gaz et le réseau téléphonique n’ont été privatisés que dans les années 1990. Toutes les entreprises publiques sont dans la ligne de mire, Petroleos de Mexico (Pemex) en tête. Le SME était en tête de la résistance à ces privatisations. Par ailleurs les traités signés démentent la volonté des fonctionnaires : le secteur énergétique entre dans le cadre du Traité de libre commerce pour l’Amérique du Nord (TLCAN ou Alena) qui prévoit une organisation globale des réseaux énergétiques orientée vers les grands flux - de préférence Sud/Nord - et exploités par des entreprises internationales. La CFE sous-traite déjà 40 % de sa production d’énergie à des entreprises privées, ainsi qu’une partie des interventions sur le réseau. Ce qui est inconstitutionnel, le caractère public de l’électricité comptant parmi les fondamentaux de l’État mexicain. Enfin, le marché de la fibre optique est très convoité, et le réseau adapté de Luz y Fuerza en sera le fil conducteur pour le principal centre économique du pays. Sous-traité par la CFE, il fera le bonheur d’entreprises telles que Nextel et Televisa, deux conglomérats de médias et de banques qui exercent déjà un énorme pouvoir médiatico-économique sur le pays.
Luz y Fuerza est aussi accusée de perdre plus de 30 % de l’énergie qui lui est fournie, c’est-à-dire de ne pas faire correctement la chasse aux colgados branchés illégalement sur le réseau. Dans un pays comme le Mexique, avec des zones très pauvres aux abords de la ville de Mexico ainsi que dans les campagnes environnantes, vallées ouvrières et paysannes, les employés de Luz y Fuerza étaient de fait responsables d’actes de corruption, ainsi que de solidarité, et ce relativement à l’électricité, mais aussi au transport de passagers comme de marchandises. Cette forme de corruption est rendue possible par les tarifs élevés et l’absence de politique sociale adéquate pour une grande partie de la population ; elle reste de surcroît la forme la plus économique d’avoir accès à la lumière.
Une autre forme de corruption est celle des élites syndicales, qui profitant de leur place dominante prélèvent des taxes, par exemple à l’embauche ou à la promotion. La direction est reconnue proche d’Andrés Manuel Lopez Obrador, l’ex-candidat du PRD (Parti de la révolution démocratique, censé être de centre gauche) à l’élection présidentielle. Vaincu par la fraude, il mène depuis 2006 un mouvement de protestation ample. Le gouvernement fait ainsi coup double en discriminant son rival comme étant un allié et défenseur de la corruption. Un combat du gouvernement tout à fait sélectif : les centrales syndicales liées au pouvoir étant les premières promotrices de pratiques dénoncées comme responsables du retard économique du pays. Les pratiques d’extorsion et de pots de vin au sein de la CFE ont fait l’affaire d’un rapport mi-juillet.
Le Syndicat des électriciens a pour sa part toujours été un outil de lutte au service des travailleurs, engagé dans les luttes publiques et solidaires. Les étudiants de l’UNAM (Université nationale autonome de Mexico) s’en souviennent [2], nombreux d’ailleurs avaient trouvé leur place dans l’ex-compagnie. Les illuminations d’événements "intergalactiques" dans la jungle chiapanèque ont bénéficié de l’appui et de la main-d’œuvre du syndicat. Plusieurs campagnes de solidarité avec différents prisonniers politiques tels ceux d’Atenco ou d’Oaxaca ont été et sont soutenues avec l’apport de los de la luz, ceux de la lumière. C’était une base d’appui de la gauche institutionnelle comme de ceux en bas à gauche, tels qu’ils se définissent. Si la direction syndicale est indéfendable et en partie responsable de la situation actuelle, cette attaque n’en reste pas moins un coup dur porté aux travailleurs organisés, et un avertissement supplémentaire à qui ne se soumet pas au programme économique et militaire du Parti d’action nationale (PAN).
La légitimité par la force pour un gouvernement illégal
Le gouvernement affirme que l’usage de la police fédérale militarisée est une mesure préventive. Il prétend éviter ainsi que les travailleurs qui se mettraient en grève gardent le contrôle des installations et coupent le courant aux usagers. L’expulsion a eu lieu avec "luxe de violence", les policiers en profitant pour régler leurs comptes avec les travailleurs du SME. Des tentatives de forcer ces derniers à travailler ont été aussi dénoncées.
Ces méthodes pour s’assurer une industrie clef sont celles utilisées par les dictatures et tous les pouvoirs qui se maintiennent par la force contre la volonté du peuple. Un tel déploiement de policiers militarisés revient à traiter les travailleurs comme des narcotrafiquants ou des terroristes. Méthodes auxquelles les Mexicains sont de plus en plus habitués tant elles deviennent régulières et sont rapportées sous tous les angles par la presse.
Les abus de pouvoir des corps militarisés deviennent aussi monnaie courante, contre les radios et polices communautaires (entendez populaires), contre les travailleurs et les populations. Une violence d’État qui est une menace et une intimidation envers qui se met en travers des exigences de l’ultradroite au pouvoir.
Même les corps de police locaux ne sont pas à l’abri de ces prises d’assaut qui ne servent que rarement à éradiquer la corruption les abus ou l’infiltration du narcotrafic. L’AFI a été ainsi intégrée sous la menace des armes à la PFP en 2008. Les militarisés - fédéraux - sont désormais en charge de l’inspection des armes et du matériel des polices d’États et municipales. Une mesure pour éviter le trafic d’armes vers le narcotrafic, lequel, c’est pourtant de notoriété publique, achète ses armes aux États-Unis ou à l’armée.
Après s’être illustrée, à Atenco et à Oaxaca mais aussi dans de nombreuses autres occasions, comme un corps répressif, la police fédérale a été renforcée suite à l’élection frauduleuse de l’actuel gouvernement. Ses effectifs ont plus que doublé pour atteindre un total de quelque 40 000 hommes, son budget a été multiplié en conséquence : une façon de déguiser des militaires en policiers pour affronter la population, une façon d’assurer sa persistance au pouvoir. Une militarisation du pays qui fait les profits de l’industrie d’armement américaine mais aussi européenne [3].
L’avenir sans "la Luz"
Les premières semaines de gestion du réseau par la CFE ont donné lieu à de nombreuses extinctions, dont une, critique, concernant un hôpital ; par ailleurs plusieurs véhicules de compagnies privées ont été vus travaillant sur le réseau, et certaines interventions se sont déroulées avec l’appui de la police, sans conflits cependant. La lutte par le sabotage a été écartée des moyens d’action pour ne pas prêter flanc aux critiques déjà avancées par le gouvernement.
Les campagnes de discrédit des médias semblent aussi préparées de longue date tant les discours sont harmonisés et ne laissent aucune chance aux travailleurs. Le président a remercié les télévisions et radios de leurs efforts pour "maintenir le pays informé".
Le 15 octobre les électriciens ont marché pour demander l’abrogation du décret. Entre 200 000 et 450 000 personnes se sont jointes au cortège, ce qui à fait parler de point de cristallisation du mécontentement social. Des négociations ont été ouvertes puis fermées, la cessation d’activité de la compagnie restant non négociable. Cette liquidation est pourtant illégale au vu de la Constitution mexicaine, seul le Congrès pouvait prendre cette décision ; celui-ci a commencé à débattre de sa position, et plusieurs actions juridiques sont entamées. Le SME organise des brigades d’information et appelle à la solidarité pour affronter le gouvernement et obtenir la réouverture de l’entreprise. Une lutte longue se prépare pour des travailleurs invités à trouver leur place dans la nouvelle compagnie en charge ou ses sous-traitants privés. Avec de graves pertes en termes d’acquis sociaux et de conditions de travail.
Francis Goche et Sebastian Cortés