La semaine dernière deux tribunes successives sont parues dans votre journal [1]. Elles sont le fait de « présidentes », « porte-parole », élu·e·s d’organisations et partis politiques. Elles portent un point de vue qui paraît englober tout le mouvement d’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Elles ont en commun d’affirmer que le mouvement a toujours été non violent, que l’hostilité face à la police était le fait d’infiltrés policiers, que la manifestation du 17 novembre était pacifique… [2] Quand on retrouve en quelques paragraphes, les termes « non violent » et « pacifique » martelés à ce point, on peut se dire que l’on a affaire à une opération de recadrage idéologique et en l’occurrence de réécriture de notre histoire commune.
Pour nous qui partageons cette lutte, cette réécriture de l’histoire est pour le coup violente. Nous ne pouvons laisser quelques tribuns et porte-parole autoproclamés rayer d’un coup de plume ce que nous avons vécu ces dernières années. La complexité de notre réalité, faites de long débats et de contradictions, de pratiques multiples mais aussi de liens qui se tissent, s’est encore intensifiée depuis le 16 octobre et le début de la vague d’expulsion appelée « opération César ». Nous savons que l’écriture de l’histoire est généralement le privilège des dominants. Qu’ils soient premier ministre ou président d’honneur d’une association citoyenne, ceux-ci semblent toujours estimer que, quand bien même on viendrait piétiner nos maisons et nos cultures, il nous faudrait rester calmes et polis. Mais l’histoire ne s’écrit pas seulement sous les projecteurs médiatiques et dans les cénacles politiques. Nous ne renoncerons pas à ce qu’elle nous appartienne aussi.
On peut se demander si la « non-violence » invoquée par certain·e·s inclut aussi les barricades en feu et les projectiles lancés sur la police pour ralentir son avancée, les sabotages d’engins de chantier, et les marques laissées sur les permanences et bureaux de ceux qui nous attaquent. Ce « pacifisme » parachuté serait alors sans doute comparable à celui attribué en Occident aux « révolutions arabes » tandis que les rues du Caire ou de Tunis s’embrasaient.
En attendant, il faut un sacré toupet, après un mois et demi d’expulsion et de résistance acharnée dont les images ont été montrées en boucle sur toutes les télés et journaux, pour claironner à tout-va sur le « pari de la non-violence ». Si nous ne nous étions pas défendu·e·s, de toutes ces manières-là aussi, il n’y aurait probablement plus grand monde pour parler de la ZAD aujourd’hui, moins encore pour y vivre. Mais cette réalité-là semble à ce point déranger les habituels détenteurs de la bonne morale militante, tellement pressé·e·s de se positionner, qu’ils et elles ne comprennent même pas qu’il est peut-être encore un peu tôt pour gommer les coups échangés.
Nous avons lancé, il y a plus d’un an, l’appel à une grande manifestation de réoccupation en cas d’expulsion et avons participé à son organisation jusqu’au bout, par le biais d’une assemblée ouverte réunissant jusqu’à deux cents personnes. Nous pouvons affirmer ici qu’il ne s’est jamais agi de mettre en avant un défilé « pacifique », mais bel et bien une action directe d’occupation en masse. Son objectif n’était certes pas l’affrontement et nous avions décidé dans ce contexte de porter une attention particulière à ce que celles et ceux qui ne le souhaitaient pas puissent l’éviter. Pour autant nous nous étions préparé·e·s en amont aux possibilités de barrages et à la nécessité d’autodéfense des manifestant·e·s en cas d’agression policière. Si certain·e·s peuvent dire a posteriori que cette action collective a été « pacifique », c’est bien parce que les forces de l’ordre ont choisi de s’effacer ce jour-là face à la force du mouvement.
Quelques jours plus tard, quand les troupes sont revenues pour expulser, détruire et blesser, des centaines de personnes de tous horizons ont éprouvé côte à côte cette capacité d’autodéfense, avec des chants, des sit-in, mais aussi des cailloux et des bouteilles incendiaires. Tout·e·s celles et ceux qui ont partagé ces journées savent bien que cette diversité de réponse n’a pas été tant source de scissions et de séparations, mais bien plutôt de rencontres et de solidarités mutuelles. L’avenir de cette lutte s’est écrit pendant ces moments-là, et pas depuis un bureau.
Pour notre part, il ne nous viendrait pas à l’esprit d’affirmer, que « le mouvement pratique toutes les variétés de résistance, toujours violentes » [3]. La réalité du mouvement c’est une multitude de personne qui font de la logistique, des repas, de la communication, des collages, des dossier juridiques, des lance-pierres, des pansements, des chansons, qui construisent des maisons, cultivent, se couchent sur les routes ou y courent masqués... Beaucoup d’entre nous partagent ces différentes manières de se rapporter au mouvement suivant les heures, les jours, les montées de colère, de joie ou les réflexions tactiques... Ce que nous vivons sur le terrain, ce n’est pas une nécessité de s’affirmer comme violent ou non violent, mais une volonté de dépasser ces catégories idéologiques et séparations neutralisantes. Nous sommes un peu trop complexes pour rentrer dans les caricatures du pouvoir : « ultras », « gentil écolos », « opposants historiques », « jeunes zadistes »... Fort heureusement et malgré les tentatives désespérées d’Auxiette [4] ou de Lavernée [5], les divisions posées en ces termes n’ont plus eu tellement de prises sur les dynamiques de ces dernières semaines. Quand des paysans mettent en jeu leurs tracteurs et les enchaînent auprès des barricades, quand des trous sont creusés dans les routes, quand la police est prise en embuscade, il s’agit de se donner les moyens adéquats pour répondre à la situation. Ce que nous voulons mettre en avant, maintenant, ce ne sont pas des mots magiques brandis en totems comme autant de brides sur nos potentialités collectives, mais une détermination commune à ce que cet aéroport ne se fasse pas.
Quant aux profiteurs et aménageurs, nous ne nous faisons pas d’illusion sur le fait qu’ils continuent d’imposer leurs projets par la force. À nous de faire en sorte que les concrétiser finisse par leur nuire plus que de les abandonner.
Des résistant·e·s à l’opération César
Source : zad.nadir.org