De Terres à terres (Le Havre)
¡Tierra y Libertad !
Si l’objectif premier de Terres à terres était centré sur le soutien aux zapatistes du Chiapas, d’autres liens sont aujourd’hui tissés avec des communautés diverses vivant au Mexique et luttant pour l’autonomie et le droit à la terre. En effet, malgré une agressivité sans précédent du capitalisme néolibéral relayé par un gouvernement en guerre contre ses propres peuples, le sens de la dignité et l’esprit rebelle ne sont pas morts. Bien au contraire puisqu’ils permettent quotidiennement à travers tout le pays la création d’expériences d’autonomie et l’ouverture de nouvelles luttes de résistance. Quelle meilleure illustration de cette réalité que cette émeute de la population d’El Meje qui ont retenu en otage 60 flics rompus à la répression, à genoux, (gradés en caleçon) jusqu’à ce qu’ils obtiennent la libération de 165 étudiants arrêtés dans le mouvement exemplaire contre la réforme de l’éducation supérieure ?
Cette vivacité exceptionnelle du mouvement social, cette mobilisation permanente de "gens ordinaires" est une des plus belles lueurs d’espoir qu’un voyageur libertaire puisse aujourd’hui découvrir, non parce qu’il rencontrera des références théoriques auxquelles il est attaché à tous les carrefours mais plutôt par le contact avec cette formidable pratique communautaire sur laquelle se construit la démocratie directe et la résistance.
C’est ainsi que Terres à terres a rencontré les femmes de Loxicha dans l’État d’Oaxaca. Ces femmes exigent depuis septembre 1996 la libération des hommes de leur communauté, emprisonnés après avoir été torturés afin qu’ils avouent appartenir à l’EPR, guérilla marxiste dérivée de l’ancien PROCUP et très présente dans cet État. Extorsion d’aveux sous la torture, empreintes digitales appliquées de force sur des feuilles blanches rédigées par la suite, campagnes de propagande gouvernementales, occupation de la région par les paramilitaires et la police, intimidations, harcèlements, disparitions, toutes ces infamies n’ont pas émoussé la volonté de ces femmes indigènes dans leur combat pour la dignité. Après avoir tenu un piquet de protestation avec leurs enfants, nuit et jour pendant trois années devant le palais du gouverneur de Oaxaca, ces femmes sont aujourd’hui aussi présentes à Mexico dans la même situation devant le Sénat depuis le 14 mars dernier. Bien évidemment, leurs maris n’appartenaient pas à l’EPR mais un vent de liberté soufflait sur la terre et dans l’esprit paysan de cet État (création de municipalités autonomes), ce qui justifie bien un coup monté de cet ampleur destiné à terroriser les communautés environnantes. 87 paysans sont toujours emprisonnés, parfois très loin de leur région, quand ils ne sont pas détenus dans des quartiers isolés de haute sécurité. Récemment, un prisonnier est décédé dans la prison de Pochutla, faute de soins.
À leur retour, les copains voyageurs ont donc monté une petite exposition composée de dessins d’enfants Loxichas, de quelques photos et textes, exposition permettant d’informer sur cette lutte et de récolter quelques fonds destinés à aider ces femmes à souffrir un peu moins dans leur combat.
Cette expo, accompagnée d’un stand Chiapas, est allée à la rencontre des paysans de Piencourt (sud de l’Eure) dans le cadre de la Journée de la Terre organisée à l’initiative de Via Campesina et relayée en France par la Confédération paysanne. Cette journée mondiale du 17 avril n’a pas été choisie par hasard. Elle rappelle le massacre du 17 avril 1996 perpétuée par les milices paramilitaires et les flics brésiliens, massacre pendant lequel 19 paysans avaient trouvé la mort lors d’une marche du MST (Mouvement des sans-terre).
Pourquoi donc Piencourt pour la réunion française ? Tout simplement parce que la spoliation de terres existe aussi dans notre belle province normande. Une décision de remembrement prise par un maire, sept personnes sur huit de la famille de ce dernier (les gros exploitants) dans une commission foncière mise sur pied pour ce même remembrement, des décisions aboutissant à la destruction des haies - éléments régulateurs dont on connaît pourtant bien l’importance -, le regroupement des meilleures parcelles autour des plus grosses fermes, le démembrement des plus petits qui héritent alors de terrains humides dont personne n’aurait voulu.... vous avez là les ingrédients de cette sordide magouille qui a pourtant été avalisée par le préfet malgré les actions entreprises par les paysans en lutte, une grève de la faim et une pétition signée par 80 % des habitants. L’affaire est aujourd’hui au tribunal administratif, mais pour le moment, le mal est fait. Après une plantation symbolique d’une nouvelle haie dans la matinée, un débat était organisé l’après-midi. L’ouverture de cette rencontre fut confiée aux paysans de Piencourt, puis vint le tour des intervenants de la "Conf’", de l’association Holos (soutien au MST brésilien), de Droit paysan, de Droits devant !, du DAL, des Collectifs Chiapas, des bergers transhumants (Longo Maï). Mis à part l’incompréhension sans cesse renouvelée que peut produire sur des esprits mal tournés un discours très radical venant d’un représentant d’un parti (les Verts) de notre belle gauche au pouvoir (le grand écart, une vraie prouesse), les pistes de réflexion débattues firent sur beaucoup l’effet d’une piqûre stimulante comme on les aime. Après un historique de la propriété privée de la terre et des politiques d’exploitation surintensives, on discuta de propriété et d’exploitation collective de la terre, de lutte contre les OGM et la mal-bouffe, d’échanges solidaires internationalistes, de nouvelles relations ville - campagne, de réseaux de distribution alternatifs, de lutte contre l’implantation de grandes surfaces sur des zones vertes (Rouen), de solidarité avec les travailleurs agricoles marocains victimes du pogrom d’Almeria autant d’exemples de thèmes à approfondir qui devraient rapidement aboutir à la création d’un Collectif pour le droit à la terre (affaire à suivre...).
Puis, la petite expo a été accueillie tout aussi chaleureusement par le Collectif libertaire de Dijon et le CSPCL (Comité Chiapas de Paris), qui organisaient chacun dans leur ville des journées de soutien au Chiapas et plus précisément à l’école "1er Janvier" (en référence au soulèvement du 1er janvier 1994), école secondaire autonome d’Oventik en zone zapatiste.
Au Chiapas, les communes autonomes résistent toujours et leur nombre s’accroît malgré une pression militaire insoutenable. De nombreux projets liés à l’éducation, à la santé et à l’agriculture attendent encore le concours de ceux qui veulent mettre en pratique les notions d’autonomie et d’internationalisme auxquelles ils adhèrent.
Comme Prévert,
contre l’internationale de la mort et du profit,
opposons LE COURS DE LA VIE
Dans douze châteaux acquis
pour douze bouchées de pain
douze hommes sanglotent de haine
dans douze salles de bain.
Ils ont reçu le mauvais câble
la mauvaise nouvelle du mauvais pays
Là-bas un indigène
debout dans sa rizière
a jeté vers le ciel
d’un geste dérisoire
une poignée de riz.
Ne le laissons pas seul.
Lupe
Lettre publiée dans Le Libertaire, juin 2000.