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La commune autonome de San Juan Copala

samedi 13 janvier 2007, par Diego Osorno, Francisco López Bárcenas

Le 1er janvier de cette année, l’Oaxaca s’est réveillé avec une commune de plus, celle de San Juan Copala fondée par plusieurs communautés du peuple triqui appartenant officiellement aux communes mixtèques de Juxtlahuaca, Putla et Constancia del Rosario, à l’ouest de cet État du Mexique, dont les chefs-lieux sont contrôlés par des métis. Cependant, il ne s’agit pas simplement d’une commune supplémentaire venant s’ajouter aux 570 autres du découpage administratif de l’Oaxaca, mais d’une nouvelle commune autonome comme celles que les indigènes érigent dans différents endroits dans ce pays pour défendre leurs droits et construire leur propre avenir.

La réponse du gouvernement de l’Oaxaca - un gouvernement dont l’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) ainsi qu’une grande partie des habitants de cet État exigent la dissolution - ne s’est pas fait attendre. Selon lui, la création de cette commune ne repose sur aucune base légale et n’est pas viable, car elle manque des ressources économiques permettant son bon fonctionnement, tandis que le secrétaire général du Parti révolutionnaire institutionnel, de son côté, affirme que c’est une farce qui ne contribue en rien au renforcement des institutions de l’État d’Oaxaca. Les choses ne s’arrêtent pourtant pas à la vision étroite de l’administration, la situation étant plus complexe. Entrent en jeu l’érosion des institutions locales, incapables en effet de répondre aux exigences d’une grande partie de la société, les conditions dans lesquelles vivent les Triquis de San Juan Copala, le procès historique et politique et les événements récemment survenus dans cette région, sans compter les politiques antidémocratiques et corrompues de ségrégation et d’exclusion du gouvernement local.

Comme en d’autres endroits de la République mexicaine, la fondation de la commune autonome de San Juan Copala constitue une réponse pacifique des peuples indigènes qui cherchent à créer leurs propres espaces de participation et de représentation politique en assumant eux-mêmes ses nécessités économiques, politiques et culturelles. Pour y parvenir, ceux-ci créent leurs institutions ou renouent avec d’anciennes en les adaptant à leurs besoins. C’est ce qui explique que les communautés qui prennent cette décision en appellent à leur droit à la libre détermination selon leur conception de l’autonomie, qui s’incarne ainsi dans la commune, fondement de l’organisation politique de ce pays, sans se rebeller et prendre les armes pour détruire l’État, à la différence de ce qui se pratique dans certains pays européens.

Personne parmi ceux qui connaissent cette région ne sera étonné d’apprendre que San Juan Copala et les communautés qu’elle regroupe sont restées isolées pendant des siècles, abandonnées à leur sort par les communes auxquelles elles ont été formellement rattachées en 1948, quand la 60e législature de l’Oaxaca leur ôta le statut de communes libres qu’elles possédaient depuis 1826. La même période s’est caractérisée par la poursuite d’une brutale exploitation de la main-d’œuvre triqui et d’un pillage irraisonné de leurs ressources naturelles. L’exercice de son droit à l’autonomie représente donc pour ce peuple la possibilité de s’affranchir du joug politique et économique auquel il a été soumis, afin de participer réellement à la vie politique, économique et sociale de cet État et de ce pays, à égalité de condition avec d’autres communes et sans rien perdre de leurs particularités culturelles.

D’autre part, la création de cette commune autonome constitue un progrès substantiel dans la lutte historique des Triquis pour faire reconnaître leurs droits. On l’ignore souvent, mais les Triqui de Copala sont parmi les premiers peuples indigènes à s’être rebellés contre le gouvernement mexicain quand le Mexique conquit son indépendance, car les métis que les mêmes Triquis avaient aidés à conquérir le pouvoir les ont privés de leurs territoires et de leurs structures de gouvernement. Leur première rébellion, en 1832, ne dura pas, leurs dirigeants ayant été emprisonnés et exécutés. Onze ans plus tard, ils se soulevèrent à nouveau, avec plus de succès que la fois précédente, leur rébellion s’étendant à d’autres peuples de l’Oaxaca et du Guerrero, jusqu’à ce qu’ils soient matés par l’armée.

Plus près de nous, dans les années 1970, leur lutte repris de plus belle, les communautés se donnant une organisation sobrement nommée Le Club qui allait déboucher sur le Mouvement d’unification et de lutte triqui, qui s’est battu pour démocratiser l’exercice du pouvoir dans la région, pour conquérir des libertés politiques, pour défendre la terre et les ressources naturelles. Avec le temps, l’organisation a poursuivi d’autres objectifs et s’est concentrée sur des projets de production, ce qui la rapprocha des institutions et des politiques du gouvernement local, jusqu’en 2003, date à laquelle elle s’est transformée en un parti politique.

Bon nombre de ses membres n’étant pas d’accord avec le nouveau cap pris par cette organisation, il s’en séparèrent et fondèrent alors le Mouvement d’unification et de lutte triqui indépendant, qui participe de façon importante à l’APPO. C’est, semble-t-il, dans ce contexte qu’a surgi l’idée de fonder la commune autonome de San Juan Copala.

Il est important de bien saisir l’ensemble de ce processus, pour ne pas tomber dans des interprétations simplificatrices qui empêchent de comprendre la situation actuelle et compromettent les véritables solutions politiques qui pourraient y être apportées. Le gouvernement d’Oaxaca a ainsi l’occasion de mesurer l’ampleur de la réforme dont cet État a besoin. De leur côté, les Triquis sont placés devant la possibilité et face au défi de trouver le meilleur chemin pour poursuivre leur mouvement, en corrigeant les erreurs du passé et en démontrant la capacité politique permettant de construire un nouveau type de relation entre leur peuple et les autres.

Francisco López Bárcenas
La Jornada, 10 janvier 2007.

L’APPO fonde une commune autonome en région triqui
Vingt communautés rejoignent l’assemblée populaire régionale

Copala, Oaxaca.

L’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO) entame 2007 par la création de la « Commune libre et autonome de San Juan Copala » dans l’ouest de l’État, où vit le peuple triqui.

Peu après minuit, hier, 1er janvier, au cours d’une cérémonie indigène, un conseil des anciens a remis au nom de vingt communautés de cette zone le bâton de commandement à José Ramírez Flores, président de l’assemblée populaire, un paysan de vingt-trois ans qui n’a pas achevé l’école primaire.

« Vous devrez gouverner selon les principes triquis et écouter le peuple pour conserver la charge qui vous a été donnée. Vous ne devrez pas tomber dans la corruption et rechercher la paix pour l’ensemble de la nation triqui », ordonna dans sa langue l’un des anciens aux membres du nouveau gouvernement.

Les ethnies triquis qui ont décidé de déclarer leur autonomie font partie des trois communes officielles mexicaines de Juxtlahuaca, Putla de Guerrero et Tlaxiaco. « Nous savons que le gouvernement ne l’acceptera pas, mais nous, nous le reconnaîtrons comme notre propre gouvernement et nous allons le faire vivre. Maintenant, nous allons nous gouverner nous-mêmes parce qu’eux (les municipalités officielles) ne sont pas indigènes, ne sont pas des Triquis et ne savent pas gouverner », affirme Jorge Albino Ortiz, conseiller de l’APPO appartenant au Mouvement d’unification et de lutte triqui indépendant (le MULTI).

« Nous avons fait plusieurs assemblées entre nous et nous avons décidé qu’il n’y aurait plus d’organisations afin de renouer avec nos traditions pour construire un gouvernement triqui, avec un président triqui, et d’avoir une commune libre, autonome et indigène. De la sorte, nous pensons que la violence cessera. C’est une des choses que nous avons apprises de l’APPO, prendre des décisions par nous-mêmes sur ce qui nous concerne », a-t-il ajouté.

D’après les membres du nouveau gouvernement de Copala, depuis l’arrivée de l’administration du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, en décembre 2004, il y a eu 70 meurtres politiques dans cette région, les autorités en question n’en reconnaissant que 48.

« Nous ne voulons plus d’organisations, parce qu’avec elles c’est la division qui s’installe, comme quand il y avait le MULTI, l’Ubisort et le MULT, et ce que nous voulons c’est travailler à la paix », explique Albino, qui ajoute, en parlant des partis politiques : « Il y a le Parti de l’unité populaire, le PRI, le PRD, et aucun ne veut admettre les véritables causes de la situation dans cette région. Ils ne voient pas des indigènes, ils ne voient pas des Triquis, ils utilisent les Triquis pour leurs campagnes électorales et autres mais ils refusent de voir le problème de fond, comment il est vécu et s’il est vraiment vécu. »

La création de la nouvelle commune a été célébrée dans les locaux de l’agence municipale de San Juan Copala, qui est désormais depuis hier le siège officiel du gouvernement populaire autonome. Vers 21 heures, les représentants d’une vingtaine de communautés voisines (où l’on estime que vivent 20 000 personnes) commençaient à arriver, pour entamer l’année nouvelle par un bal.

Suites aux embuscades qui ont eu lieu au cours des dernières semaines, des indigènes armés appartenant à la police communautaire de la nouvelle commune gardaient les entrées de Copala, afin d’éviter, selon leurs propres dires, la présence des « paramilitaires » qui opèrent dans cette zone.

Diego Enrique Osorno
The Narco News Bulletin
4 janvier 2007.

Vacances de fin d’année en terres insoumises

Milenio, Mexico, le 11 janvier 2007.

Copala, Oaxaca.

Dans le cœur des Triquis, rebelles de tout temps, les instances officielles n’existent pas. « L’année 2006 nous a appris que nous ne devons pas nous soumettre », disent-ils. La création de leur commune autonome semble en être la preuve.

« Hé, moi, à votre place, je ne resterais pas ici, parce que tous les après-midi on se prend des coups de feu dans le coin. Moi, je suis juste venu livrer les pétards et je me tire », nous lâche à toute vitesse de sa camionnette un homme qui va d’emprunter la piste de terrassement pleine d’ornières qui unit San Juan Copala, le cœur de la culture triqui, et les routes asphaltées de la sierra mixtèque.

« Ils sont comme ça les Triquis, ils aiment se massacrer entre eux », concluent avec un brin de racisme aussi bien des fonctionnaires du gouvernement local que des activistes de l’APPO. D’autres rendent coupables les organisations sociales présentes dans cette zone de semer la terreur et le découragement, en particulier le Mouvement d’unification et de lutte triqui que dirige de sa chaise roulante Heriberto Pazos Ortiz, un vieux dirigeant triqui qui s’est acoquiné avec le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, ce qui lui a valu la rébellion des membres de cette organisation.

Dans le passé, son organisation disputait à l’Unité du bien-être social de la région triqui (Ubisort) le contrôle de cette zone pauvre qui recouvre 13 000 hectares.

Passant outre les conseils du vendeur de pétards, nous poursuivons notre voyage vers Copala sur la piste accidentée où se sont produites au moins cinq embuscades de gens armés de fort calibre dans les dernières années. En chemin, d’énormes blocs de pierre barrant le milieu de la piste témoignent des barricades que les habitants ont élevées pour empêcher de passer un convoi de la police d’intervention préventive. Plus loin, deux véhicules Tsuru de couleur blanche comme ceux qu’utilise la police nationale gisent renversés sur la berge de la rivière.

Peu après nous entrons à Copala, la commune autonome des Triquis en rébellion, où toutes les dépendances de l’administration officielle ont été fermées et les fonctionnaires expulsés, où l’on n’aperçoit nulle part l’écriteau classique lançant « Bienvenue au village Untel » ou « Vous êtes à Machin, soyez les bienvenus »... Rien de tout cela ici.

Les pins majestueux si caractéristiques de la région triqui ont peu à peu disparu, on n’en voit plus non plus sur les bords des chemins et aux portes des villages de ce secteur. Je m’en étonne auprès d’un des dirigeants de la communauté, qui me confie à voix basse que c’est « à cause des embuscades ». Il ajoute que les pins rendaient plus facile à des hommes armés de se cacher et de tendre une embuscade quand on passe en voiture ou quand on est chez soi.

Bien sûr, je suis bête de ne pas y avoir pensé. Aussi les habitants préfèrent-ils les tailler, pour ne pas boucher la vue. C’est l’aspect que donne aujourd’hui Copala, où il ne reste plus que quelques grands arbres dans deux des angles du village.

« Et ceux-là, pourquoi ne pas les avoir coupés ? » lui dis-je.
- Ah ! C’est que ceux-là, la police municipale s’en sert », me répond-il.

Je commence à saisir que le village a des hommes armés qui surveillent à leur tour l’éventuelle incursion de ce « groupe paramilitaire » qui opère dans la zone.

« Nous savons qu’il va y avoir une répression et que des paramilitaires vont venir, tôt ou tard. Nous nous y attendons, pas moyen d’y échapper, mais nous savons que nous n’agissons pas mal, que ce que nous faisons garantit la paix pour les Triquis », nous raconte Jorge Albino Ortiz, jeune indigène de vingt-trois ans qui participe à l’APPO en tant que conseiller.

« L’heure est arrivée pour les communautés de l’Oaxaca, pour les peuples indiens, de manifester leur désaccord. Voilà ce que nous avons retenu de 2006, qu’il ne faut plus rester soumis », ajoute-t-il. Et la cérémonie d’instauration du gouvernement populaire commence, au cas où l’on aurait cru qu’il ne s’agissait que de paroles en l’air.

Diego Enrique Osorno

Traduit par Ángel Caído.

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