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La Commune de Paris au Mexique

mercredi 7 avril 2021, par Carlos Illades

La Commune de Paris a eu un retentissement sous diverses latitudes de la planète et l’Amérique latine n’a pas été l’exception. Au Mexique, les idéaux de [bleu violet]Plotino Constantino Rhodakanaty[/bleu violet] ainsi que les soulèvements indigènes qu’ils ont inspirés portent la marque des « communards ».

Manuel María Madiedo (Colombie), [bleu violet]Francisco Bilbao[/bleu violet] (Chili), Casimiro Corral (Bolivie), José Ignacio Abreu e Lima (Brésil), Esteban Echeverría (Argentine), Plotino Constantino Rhodakanaty et Nicolás Pizarro (Mexique) ont formé la première génération du socialisme latino-américain, tributaire des révolutions romantiques européennes. L’harmonie sociale, la solution de la question sociale, le droit au travail et la démocratie effective font partie de son corpus doctrinal. En Amérique latine, ce sont des sociétés de secours mutuel, des clubs politiques, des communautés idéales, des sociétés secrètes, des écoles et des partis qui surgissent sous l’influence socialiste, et s’introduisent en tiers dans le débat politique dominé localement par le conservatisme et le libéralisme.

La Commune de Paris a repris les revendications de 1848, actualisées par le blanquisme, le communisme et l’anarchisme. L’autogouvernement, la citoyenneté en armes, l’égalité radicale, le fédéralisme communal et la république démocratique et sociale allaient renforcer les idéaux socialistes. Et ces idéaux ont donné un nouvel éclat au socialisme latino-américain.

C’est ainsi que le 20 mars 1871 — c’est-à-dire deux jours après la proclamation de la Commune — l’homéopathe grec Plotino Rhodakanaty fonde à Mexico « La Social », organisme qui cherche à régénérer la société au moyen du travail, de la vertu et de la beauté. Le « parti sociocratique » aspire aussi à émanciper le travailleur de la dépendance capitaliste, la femme de la tutelle masculine et l’indigène de « l’ignorance et la pauvreté ». Pour ce qui est du premier point, La Social participe aux congrès ouvriers. Quant au second, La Social promeut le droit féminin au divorce. En ce qui concerne les indigènes, La Social collabore à la rébellion communaliste de la Sierra Gorda.

La rébellion des Peuples unis

Le médecin grec considérait la république universelle comme l’horizon de la communauté humaine, l’entité politique dans laquelle se nivelleraient les classes sociales, associées librement et volontairement en une fédération en accord avec le code de la fraternité. La cellule de cette république devrait être le municipio qui, depuis la base, structurerait le corps politique de la nation en « liquidant les pouvoirs pour leur substituer l’organisation économique et donner une nouvelle vie à la République ». Peut-être était-ce là sa lecture du communalisme.

Rhodakanaty se référa à maintes reprises à la Commune et consacra même un article à la biographie des « plus célèbres communistes français ». Et aussi un autre à une éventuelle « commune américaine », où il prédit que la commune « doit éclater tôt ou tard chez nous, car le Mexique, quoi qu’on dise et qu’on fasse dans le sens de son progrès et de son instruction, n’arrivera jamais à se régénérer tant qu’on émancipera pas de l’esclavage féodal où ils sont astreints six millions de malheureux indigènes ».

Sous l’influence de Rhodakanaty, la rébellion de Julio López dans la vallée de Chalco se proposait, en 1868, de former la République universelle de l’Harmonie et d’instaurer le socialisme. Au même moment, l’intervention de Rhodakanaty dans la lutte paysanne lui valait la prison et l’exil, sans pour autant le dissuader de proclamer la « loi agraire » où cela lui était possible. La Social ne relâchera pas non plus son effort pour la mettre en pratique et en même temps organiser artisans et ouvriers en une Grande Confédération des associations de travailleurs des États unis du Mexique, comme en avait décidé le Congrès ouvrier de 1876.

Francisco Zalacosta, disciple du médecin grec et de plus éditeur de La Internacional, visita les États de la Fédération du centre du pays et convoqua une assemblée paysanne le 15 août 1877 à Mexico afin de constituer le Grand Comité central communal. En 1878, il était notable que la dramatique situation du peuple mexicain « semble un fait exprès qui le pousse au socialisme et à la Commune ». L’année suivante, la Liga de los Pueblos manifesta sa sympathie pour la Commune de Paris en précisant que la mission essentielle du socialisme au Mexique consistait à « rendre aux indigènes les terrains dont on les a spoliés et leur donner, à eux comme aux masses, l’instruction nécessaire pour que de tout temps ils sachent exiger les droits dont on les a dépouillés actuellement ».

De 1879 à 1881 s’est produite la rébellion des Pueblos Unidos, insurrection indienne dans le centre du pays qui luttait pour la restitution des terres aux peuples, le municipalisme et la révolution sociale. Les dépêches militaires et la presse informèrent de multiples affrontements des « communistes » avec les forces de l’ordre. Dans la seule année 1879, dans l’État d’Hidalgo, on a dénoncé qu’« un soulèvement d’indigènes se tramait à San Sebastián en faveur du communisme ». À Calpulalpan et dans les territoires proches on a arrêté vingt et un indigènes qui « tentaient de faire un mouvement communiste qui devait éclater le 30 du mois » et, de plus, on a capturé les « principaux instigateurs et caudillos qui prônaient la révolution dans le sens communiste ». [1]

À Ixmiquilpan on a signalé l’existence de deux cents indigènes armés. À Villa del Carbón ont été capturés sept individus armés à cheval, à qui on a confisqué un « plan révolutionnaire en sens socialiste ». Le 14 mars 1881 on a arrêté dans l’État de Querétaro les leaders rebelles « accusés d’appartenir à une association formée pour attenter aux personnes et à leur propriété, se prétendant socialistes ». Leur ont été confisquées « des proclamations incitant la race indigène à un soulèvement armé avec un plan socialiste, des mandats en blanc pour les chefs et subalternes et des drapeaux de satin tricolore avec une inscription dorée qui disait : Phalanges populaires socialistes ». Les prisonniers ont été pendus à l’alameda de la ville de Querétaro aux premières heures du 16 juin 1884.

Le Plan socialiste

Le « plan » mentionnée, le « Plan socialiste de juin 1879 proclamé par les représentants des peuples des États de Querétaro et Guanajuato », synthétisait les idéaux de la rébellion des Pueblos Unidos. Ce document prétendait restituer les terres aux indigènes, protéger les prolétaires des abus des riches, sauvegarder l’industrie nationale, créer des écoles et des hôpitaux, attribuer une pension à vie aux familles endeuillées des combattants socialistes, former des « comités agraires » chargés de la restitution des terres aux peuples et de la répartition des terrains cultivables entre les soldats de l’armée révolutionnaire, aussi appelée « Phalanges populaires », commandées par le Directoire socialiste, dont la mission était d’occuper la ville de Mexico. Bientôt a circulé la nouvelle que « les représentants des peuples unis des États de Querétaro et Guanajuato ont accepté le plan politique, avec quelques modifications favorables à la cause qu’ils proclament », c’est-à-dire la loi agraire, la défense de la propriété légitimement acquise et la revendication de la République démocratique et sociale.

Ce document, enrichi par les communautés, contenait les projets de loi agraire, de réforme politique et de loi électorale. Le premier d’entre eux interdisait les exactions des haciendas contre leurs ouvriers agricoles, annulait les dettes qu’ils avaient envers elles aussi bien que celles de serviteurs, octroyant à chaque travailleur la propriété « de la parcelle qu’il habite et du terrain qu’il cultive », tandis que les peuples conservaient la propriété communale et inaliénable du « terrain qui leur suffit pour répondre à leurs besoins sociaux ».

L’organisation politique reposerait sur le municipio, qui concentrerait les fonctions politiques, sociales, éducatives et judiciaires. Dans les capitales des États, le maire dirigerait aussi l’État et, dans la capitale fédérale, il y aurait un président. Le peuple armé se chargerait de la sécurité et de la défense de la nation. La loi électorale permettrait à chaque peuple de choisir librement et de façon autonome ses autorités, en appliquant la même procédure aux divers niveaux de gouvernement. Les élections se réaliseraient en assemblée publique par vote direct et secret. Le plan concluait par le mot d’ordre « Terre. Industrie. Éducation. Armes ».

Le Directoire socialiste, organe exécutif des insurgés, octroyait des grades et des distinctions aux meilleurs membres des phalanges populaires, nominations liées au devoir de « recourir à tous les moyens nécessaires pour mener à bien leur mission, ainsi que pour organiser des phalanges, exiger des armes, des munitions, des chevaux, des selles, de l’argent et autres ressources pour l’entretien de leurs forces, naturellement en remettant le reçu correspondant aux personnes qui subiraient de telles réquisitions ». Le Directoire appelait aussi le peuple mexicain à se joindre à la cause socialiste, abolissait l’esclavage « en libérant les propriétés qui ne payaient aucun loyer, libres de (…) leurs oppresseurs et ennemis de notre race ». Il appelait de plus à confisquer « les terres dont les Espagnols les avaient dépouillés ». Les documents rebelles concluaient habituellement par les devises « Indépendance et Liberté sociale », « Révolution sociale », « Dieu et Loi liberté », « Indépendance et Socialisme », qui complétaient les vivats « Au Peuple ouvrier et prolétaire », « Au Peuple des villages laboureurs », « À la République démocratique et sociale ».

Échos de la Commune

La reconstruction de l’État national de bas en haut, la réduction de l’inégalité sociale et la citoyenneté en armes révèlent l’influence communaliste dans la rébellion des Pueblos Unidos. Dans l’acception des communards, la République démocratique et sociale allait au-delà de l’autonomie municipale et incluait des droits sociaux comme une assurance contre le chômage et la faillite, ainsi que le crédit au travail.

Dans les termes de Rhodakanaty, « c’est au socialisme de donner le coup final au crédit empirique de cette aristocratie bâtarde qui absorbe tout et monopolise tout [il se réfère à l’amortissement de la propriété], privant la nation de toute sève de vie ». Ainsi, il reconnaissait dans la fédération la meilleure façon d’agréger les communautés (les municipios dans la version mexicaine), tout en respectant leur autodétermination. La citoyenneté en armes se substitue à l’armée, tant dans le « Plan socialiste » que dans le Paris révolutionnaire. Le Conseil de gouvernement de la Commune fut élu démocratiquement, mais nous ne connaissons pas le mécanisme par lequel a été désigné le Directoire socialiste de la rébellion des Pueblos Unidos, bien que le terme renvoie au blanquisme.

Rhodakanaty, qui, nous l’avons dit, célébra la Commune de Paris et rendit possible que son influence parvienne au continent américain, finit par s’effrayer des démons qu’il était arrivé à déchaîner. En 1876 l’homéopathe grec confirmait que « le peuple mexicain, à la différence du peuple français, est plus tardif dans ses résolutions », justifiant cette prudence par « la nécessiter de conserver l’ordre pour sa propre convenance, de ne pas abattre le système démocratique qu’il a installé dans son gouvernement, parce qu’il l’a conquis au prix de nombreux sacrifices en versant son sang pour la liberté ».

En 1878, le médecin grec ne voyait d’autre issue pour le pays que la révolution sociale qui impliquait la « solution de l’État dans le contrat économique, la réorganisation de la propriété, l’annulation de la politique, la destruction radicale du féodalisme, la promulgation de la loi agraire ». Vers 1883 le fondateur de La Social était alarmé par la violence rurale et la possibilité de « la guerre de castes, ou ce qui est pareil, la substitution d’une tyrannie et d’un despotisme par un autre encore plus fort, qui serait celui de la sauvagerie indigène », mais il revendiquait, cependant, les droits indigènes violés par les « exploiteurs et tyrans », tout en appelant les peuples originaires à ne pas « se prêter à certains plans, ni obéir aux lois insensées de certains démagogues iniques ».

Carlos Illades

Traduit de l’espagnol (Mexique)
par [bleu violet]Joani Hocquenghem[/bleu violet]

Texte d’origine :
[bleu violet]Jacobin América Latina[/bleu violet]

Notes

[1Le vol des terres contre lequel luttent les Indiens ne date pas seulement de trois siècles de conquête et de colonialisme. C’est aussi la vague de nouvelles invasions déclenchée en 1856, quand la République a promulgué la Loi Lerdo ou loi de « désamortissement », qui convertissait en propriété privée monnayable les biens des collectivités, en principe pour permettre aux locataires de terres de les acheter. La loi s’appliqua aux possessions de l’Église et, par un amalgame vicieux, aux terres des communautés rurales et indiennes. Dans les faits, les occupants en ayant rarement les moyens, cette vente forcée à grande échelle profita aux investisseurs mexicains et étrangers et permit la constitution des haciendas et latifundios de l’époque de Porfirio Díaz. (NdT)

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