État des lieux
Après dix ans de préparation clandestine dans la forêt tropicale et les hauts plateaux du Chiapas, une insurrection indienne ébranle le Mexique, le 1er janvier 1994, jour de l’entrée en vigueur du traité de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Après douze jours d’affrontement, l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) et le gouvernement acceptent un cessez-le-feu.
Un dialogue s’engage entre les deux parties et aboutit à la signature d’un accord en 1996. Mais le président de la République se refuse à donner une valeur constitutionnelle à cet accord et opte pour la paramilitarisation de la région. Fuyant la violence, les déplacés se comptent par dizaines de milliers.
Le 22 décembre 1997, à Acteal, quarante-cinq Indiens tsotsiles, principalement des femmes et des enfants, sont assassinés par un groupe paramilitaire, alors qu’ils priaient dans une chapelle.
Le Village
« En1962, je suis arrivé ici avec ma machette, mon pozole et quelques tortillas. À l’époque, nous luttions pour nous défaire de nos patrons. Nous luttions pour trouver où vivre. Il y avait cette brèche dans la forêt… » Don Sebastián se tait, plisse les yeux et sourit. « Quarante déjà… Cette terre est si brutale. Nous luttons toujours et rien ne vient. »
Vingt-cinq familles, soit près de deux cents personnes, dont les enfants et les petits-enfants de Sebastián, peuplent aujourd’hui Guadalupe Trinidad. Isolé dans les montagnes de la forêt Lacandone, ce village d’Indiens tojolabales n’a ni route ni électricité, et rares sont ceux qui en souhaitent l’arrivée. La méfiance à l’égard des autorités gouvernementales nourrit le refus de cette perspective. « Là où il y a des routes, ils mettent des militaires. Là où il y a des militaires, ils construisent des routes. » La fierté de ces hommes, leur foi accompagnent un quotidien où une poignée de grains de maïs ou de café arrachés à la jungle riment avec « liberté ».
Texte de Pascale Egré
La Rencontre
La Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, organisée par l’EZLN, s’est tenue au Chiapas, du 28 juillet au 3 août 1996.
Environ trois mille sympathisants, venus de quarante pays, y ont participé. L’inauguration a eu lieu à Oventic, dans la région des hauts plateaux du Chiapas, et la clôture à La Realidad, au cœur de la forêt Lacandone.
À un moment où la critique du néolibéralisme était encore balbutiante, cette rencontre a fortement contribué à l’écho international du zapatisme et à l’essor des mobilisations planétaires contre le néolibéralisme.
Los Altos
En février 1995, le gouvernement mexicain lance une offensive militaire dont l’objectif est d’éliminer ou de capturer les membres du commandement de l’EZLN. Profitant de leur connaissance de la forêt tropicale, ceux-ci parviennent à échapper aux troupes fédérales.
Suite à cet échec, le gouvernement adopte une autre stratégie contre-insurrectionnelle, connue comme « guerre de basse intensité ». L’armée fédérale appuie la formation de groupes paramilitaires composés d’Indiens qui sèment la terreur dans les villages zapatistes.
Des milliers de personnes doivent abandonner leurs terres. Elles trouvent refuge à Polhó, qui se transforme en un vaste camp de déplacés où se multiplient les abris de fortune, dans des conditions sanitaires précaires.
C’est à quelques kilomètres de là qu’a lieu le massacre d’Acteal, dans lequel quarante-cinq Indiens tsotsiles trouvent la mort, le 22 décembre 1997.
La Marche
En février et mars 2001, l’EZLN réalise la « Marche de la couleur de la terre ». Le sous-commandant Marcos et vingt-trois commandants zapatistes traversent le pays. À chaque étape — et lors d’un immense rassemblement sur la place centrale de Mexico —, ils plaident en faveur de la reconnaissance des droits des peuples indiens.
Partout, ils sont accueillis avec enthousiasme par la population, qui voit dans l’insurrection zapatiste un ferment de renouvellement et d’espoir face à un système politique corrompu et sclérosé. C’est aussi la force d’un mouvement de résistance civile qui se manifeste tout au long de la traversée du pays à travers les gestes, les regards, le soutien de milliers de personnes venues se presser au bord d’une longue route.
Autonomie
Tout en se sentant profondément mexicains, les zapatistes revendiquent le droit à l’autonomie. Il s’agit pour eux de rompre avec les structures politiques d’un État qui s’est révélé incapable d’honorer la signature des Accords de San Andrés.
Ils ont donc mis en place leurs propres instances de gouvernement et de justice, d’abord au niveau communal, puis, à partir de 2003, avec la création de cinq Conseils de bon gouvernement, instances régionales qui coordonnent l’action des communes autonomes.
Refusant la moindre aide gouvernementale, les zapatistes ont constitué leur propre système éducatif autonome, ainsi qu’un réseau de dispensaires et de cliniques dans les villages, les chefs-lieux de communes et les caracoles.
Photographies de Mat Jacob
collectif Tendance Floue