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Pour la vie, les zapatistes parcourront les cinq continents.

Deuxième partie
La cantina

jeudi 31 décembre 2020, par SCI Galeano

Calendrier ? Aujourd’hui. La géographie ? N’importe où dans le monde.

Vous ne savez pas bien pourquoi, mais vous marchez en tenant par main une petite fille. Elle est sur le point de vous demander où vous allez, quand vous passez devant une grande cantina. Un grand panneau lumineux, comme la marquise d’un cinéma, déclare : « L’HISTOIRE EN MAJUSCULES. Cantina-bar », et plus bas : « Les femmes, enfants, indigènes, chômeurs, autr@s, personnes âgées, migrants et autres gens jetables ne sont pas admis. » Une main blanche a ajouté : « In this place, Black Lives does not matter. » Et une autre main virile a ajouté : « Les femmes peuvent entrer si elles se comportent comme des hommes. » À côté de l’établissement sont entassés les corps des femmes de tous âges et, à en juger par les vêtements en lambeaux, de toutes classes sociales. Vous vous arrêtez et, résignée, la petite fille aussi. Vous regardez par la porte et vous voyez un fouillis d’hommes et de femmes aux manières masculines. Sur le bar, ou comptoir, un type brandit une batte de base-ball et en agite la menace de droite et de gauche. La foule est clairement divisée : d’un côté ceux qui applaudissent et de l’autre ceux qui huent. Tous sont comme enivrés : le regard furieux, la bave coulant sur le menton, le visage rouge.

Quelqu’un, qui doit être le portier ou quelque chose dans ce genre, s’approche et vous demande :

« Vous voulez entrer ? Vous pouvez choisir le camp qui vous plaît. Vous voulez applaudir ou bien critiquer ? Quel que soit votre choix, nous garantissons que vous aurez beaucoup de followers, de likes, de pouces levés et encore plus d’applaudissements. Vous serez célèbre si vous imaginez quelque chose d’ingénieux, soit pour, soit contre. Et même si vous n’êtes pas très intelligent, il vous suffit de faire du bruit. Peu importe que ce que vous criez soit vrai ou faux, tant que vous criez fort. »

Vous soupesez la proposition. Elle semble tentante, surtout que vous, il n’y a pas un chat pour vous suivre.

« C’est dangereux ? » risquez-vous timidement.

Le videur vous rassure : « Pas du tout ; ici règne l’impunité. Voyez qui est maintenant à la batte. Il dit n’importe quoi de stupide et les uns l’applaudissent et les autres le critiquent avec d’autres stupidités. Quand le tour de cette personne sera fini, un autre montera à sa place. Je vous l’ai dit, il n’y a pas besoin d’être intelligent. Qui plus est, l’intelligence, ici, ça gêne. Décidez-vous. Comme ça vous oubliez les maladies, les catastrophes, les misères, les mensonges du gouvernement, l’avenir. Ici, la réalité n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est la mode du jour. »

Vous : « Et de quoi ils discutent ? »

« Ah, de n’importe quoi. Les deux camps lancent des frivolités et des absurdités. Comme qui dirait que la créativité n’est pas leur fort. C’est ainsi », répond le gardien en jetant un regard craintif vers le haut du bâtiment.

La petite fille suit la direction de son regard et, montrant le haut du bâtiment où l’on peut voir en entier un étage tout en verre miroir, elle demande :

« Et ceux qui sont là-haut, ils sont pour ou contre ? »

« Ah, non », répond l’homme et il ajoute à mi-voix : « Ce sont les propriétaires de la cantina. Ils n’ont pas besoin de prendre parti sur quoi que ce soit, tout simplement ce sont eux qui décident de ce qui se fait. »

Dehors, plus loin sur la route, on voit un groupe de personnes qui, vous le supposez, n’avaient pas eu envie d’entrer dans la cantina et avaient passé leur chemin. Un autre groupe sort de l’établissement contrarié en murmurant : « impossible de raisonner là-dedans » et « au lieu de “L’Histoire”, ça devrait s’appeler “L’Hystérie” ». Ils rient et s’éloignent.

La fille vous regarde. Vous hésitez...

Elle dit : « Tu peux rester ou passer outre. Seulement, sois responsable de ta décision. La liberté n’est pas seulement pouvoir décider ce qu’on fait et le faire. C’est aussi assumer la responsabilité de ce qui se fait et de la décision prise. »

Sans vous décider encore, vous demandez à la petite fille : « Et toi, où tu vas ? »

« À mon village », dit la jeune fille, et elle tend ses menottes vers l’horizon comme si elle disait « Au monde ».

Depuis montagnes du sud-est du Mexique.

Le SupGaleano.
C’est le Mexique, c’est 2020, c’est décembre, c’est le petit matin, il fait froid et la pleine lune regarde, effarée, comment les montagnes se dressent, retroussent un peu leurs jupons et lentement, très lentement, se mettent en marche.

Du cahier de notes du chat-chien : Esperanza raconte à Defensa un rêve qu’elle a fait.

« Alors je suis endormie et je rêve. Bien sûr, je sais que je rêve parce que je suis en train de dormir. Donc, alors je vois que je suis très loin. Qu’il y a des hommes et des femmes et d’autr@s très autres. C’est-à-dire que je ne les connais pas. Qu’ils parlent une langue que je ne comprends pas. Et ils ont beaucoup de couleurs et des façons très différentes. Ils font un grand tapage. Ils chantent et dansent, parlent, discutent, pleurent, rient. Et je ne connais rien de ce que je vois. Il y a des bâtiments, grands et petits. Il y a des arbres et des plantes comme ceux d’ici, mais différents. Une nourriture très autre. Donc tout ça très étrange. Mais le plus étrange, c’est que, je ne sais pas pourquoi ni comment, mais je sais que je suis chez moi. »

Esperanza se tait. Defensa Zapatista finit de prendre des notes dans son cahier, la regarde et au bout de quelques secondes, lui demande :

« Tu sais nager ? »

Dont acte.
Ouah-Miaou.

Traduit de l’espagnol (Mexique)
par [bleu violet]Joani Hocquenghem[/bleu violet]

Texte d’origine :
[bleu violet]Enlace Zapatista[/bleu violet]

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