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D’anciens zapatistes dans l’Autre Campagne

jeudi 15 février 2007, par Gloria Muñoz Ramírez

Un long détour pour revenir au point départ

Forêt Lacandone, Chiapas.

Plus de dix ans après avoir quitté l’EZLN, par lassitude ou pour pouvoir bénéficier des aides du gouvernement, des indigènes reprennent aujourd’hui la lutte, non plus comme membres des bases de soutien zapatistes mais en adhérant à l’Autre Campagne. Douze communautés de la région de la forêt qui fait frontière avec le Guatemala s’organisent pour participer à La Otra lancée par les zapatistes.

Bon nombre des familles de ces communautés appartenaient à l’EZLN il y a plus de vingt ans : elles ont participé à la guerre de 1994, puis, « lassées » et « par peur de mourir », elles ont fini par accepter les tôles, les vaches et les rouleaux de fil de fer que le gouvernement leur offrait à condition qu’ils abandonnent l’organisation.

Aujourd’hui, ces indigènes disent qu’ils se sentent « humiliés et trahis, furieux devant les mensonges du gouvernement mexicain ». C’est là que l’on voit l’efficacité du travail politique de l’EZLN, qui suit jour après jour tout ce qui se passe dans la région, car l’Autre Campagne leur a permis de trouver leur place pour poursuivre la lutte.

Victor Gómez Méndez, de la communauté Vicente Guerrero, mandataire des communautés qui adhèrent aujourd’hui à La Otra, nous explique sa trajectoire et ses démêlées avec le gouvernement. « En 1984, un an à peine après la création de l’organisation zapatiste dans la forêt, j’ai été recruté. Tout mon village était zapatiste. Après dix ans d’entraînement, arriva le 1er janvier 1994. Moi, j’étais milicien. Une fois la guerre terminée, la lutte a pu se poursuivre de manière pacifique, avec la politique, quoi, mais le gouvernement nous a trahis. »

« C’est après que j’ai fait une erreur, admet-il. Mon village n’était plus organisé, les habitants ont cessé d’être zapatistes. Nous nous sommes lassés. Le gouvernement s’en est rendu compte et il a commencé à parler de projets. On nous a chopés un par un pour nous proposer des projets, des plaques de tôle, des crédits pour le bétail et puis des logements, des services de santé, une route, une école, et ainsi de suite. À l’époque, il y avait quatorze personnes dans ma communauté qui résistaient comme moi, qui n’acceptaient rien du gouvernement, mais des conflits ont commencé entre ceux qui restaient zapatistes et ceux qui se sont rangés avec le gouvernement et c’est comme ça que l’organisation s’est effondrée dans le village. Nous sommes tous parents dans la communauté, cousins, frères et sœurs, neveux, nièces, mais nous avons fini par être divisés. C’était ce que voulait le gouvernement. Je vous parle de 1997, après le massacre d’Acteal. Pour tout dire, moi, j’étais fatigué et je me suis mis à penser que le gouvernement allait nous donner tout ce qu’il promettait comme il s’était engagé à le faire à San Andrés. »

Victor poursuit en décrivant le modus operandi du gouvernement : « Il a envoyé des employés de Sedesol, qui recrutent quelqu’un qui devient leur bras droit dans la communauté. Après, ce quelqu’un a désigné ceux qui étaient susceptibles de se laisser convaincre et il a commencé à faire du porte-à-porte, maison par maison, en disant à tout le monde que le gouvernement allait tout nous donner. » Pourquoi Victor s’est-il laissé convaincre ? « Nous avons pensé que l’EZLN allait décliner, qu’elle allait être anéantie, l’armée a été jusqu’à nous bombarder. Maintenant, je me rends compte qu’il n’en a rien été et que l’EZLN a résisté en tant qu’organisation. Quand nous nous sommes rangés du côté du gouvernement, on nous a dit qu’il fallait appartenir à une organisation pour pouvoir demander du bétail, la Jotzotzil Maya, celle du gouvernement, pas la Jotzotzil indépendante. Il a fallu attendre presque dix ans pour qu’ils nous donnent une vache par famille, vingt vaches au total, quoi. Après, nous avons demandé du fil de fer barbelé et on nous en a donné deux fois six rouleaux par famille, douze rouleaux et une vache par famille. Il y avait plus de barbelé que de vaches. »

« Beaucoup de temps s’était écoulé, et nous, nous avions beaucoup coopéré pendant tout ce temps. Tous comptes fait, nous sortions perdants dans cette histoire, parce que nous avions beaucoup dépensé en voyages pour leur projet, on n’arrêtait pas de nous balader. Finalement, nous en avons eu assez et on nous a proposé des programmes de production Sedesol, de l’argent pour semer du maïs, des haricots et des bananes. On nous donnait 500 pesos par hectares. Ça n’a pas marché non plus. »

« Arrivés là, nous avons commencé à en parler dans la communauté. Nous nous sommes dit que tout ça ne menait nulle part et que le gouvernement ne faisait rien pour nous. Alors, nous avons décidé de ne plus rien accepter de lui et de recommencer à résister, tous unis, sans qu’il n’y ait ni partisans du PRI ni zapatistes, et nous en étions là quand nous avons pris connaissance de la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone. »

En ce qui concerne la façon dont le gouvernement les avait convaincus, il ajoute : « La première chose que l’on doit faire, c’est de cesser d’être zapatiste, tout ça est consigné par écrit. » Victor reconnaît que les hommes ont recommencé à boire de l’alcool. « C’est vrai, on buvait et les compañeras s’en ressentaient beaucoup parce que les problèmes ont tout de suite commencé. L’alcool détruit un foyer, c’est logique. Mais c’est difficile d’être zapatiste. Moi, j’étais fatigué des marches, des tours de garde, de la surveillance. Mais, en dehors de la fatigue, il y a aussi la peur de mourir. »

Depuis 1998, ils ont cessé de prendre part aux projets gouvernementaux. « Nous avons refusé les programmes qu’on propose famille par famille, mais nous avons accepté la route parce que nous pensions que ce serait bon pour pouvoir vendre nos produits. Pendant toutes ces années, le gouvernement a continué de nous proposer toute sorte de choses et quand il voyait que nous refusions les aides, il augmentait ses propositions, comme des logements dignes, etc., mais on refusait de rentrer dans son jeu, jusqu’au moment où nous nous sommes aperçus que le gouvernement ne cherchait pas à résoudre nos problèmes. »

Il raconte aussi comment la communauté a accueilli la Sixième Déclaration. « Nous avons d’abord retrouvé la théologie indienne et notre manière de fonctionner en tant que peuple ; quand nous avions quitté l’EZLN, nous avions aussi délaissé l’Église, parce que nous étions en pleine ivrognerie. Nous étions en pleine réorganisation quand les compañeros zapatistes sont arrivés pour expliquer le travail de l’Autre Campagne, comme ils le faisaient dans chaque communauté. Ils nous ont demandé ce que nous voulions faire, adhérer en tant que zapatiste ou comme adhérents à titre personnel. »

Aujourd’hui, des familles de Pacayal, de Matzam, de Santo Domingo, de San Mateo, de Nueva Tenejapa, de San Andrés, de Salto de Agua, de Montecristo, de San Pedro, de Nuevo Huixtán, de Jerusalén et de Vicente Guerrero ont adhéré à l’Autre Campagne. Les zapatistes avaient laissé des copies de la Sixième Déclaration dans les villages. « J’ai reçu un paquet de copies et je les ai distribuées à tout le monde dans la région Sud-Est Frontière. » Dans chaque village, les habitants ont épluché son contenu.

« Pendant trois mois, nous avons tenu des assemblées communautaires pour nommer un représentant qui fasse le relais avec les zapatistes. Dans un des votes, c’est moi qui ai été désigné. Alors, en tant que délégué, je suis allé voit le Comité clandestin. On m’a reçu en me disant : Compa, on allait venir dans votre communauté, mais c’est très bien que tu te sois levé si tôt pour venir, toi. »

Victor disait qu’il s’attendait à un tel accueil, même après avoir quitté l’EZLN. « Nous savions qu’ils nous recevraient les bras ouverts. Il y a bien quelques problèmes avec les compañeros qui n’ont jamais abandonné la résistance, mais nous en parlons et nous essayons de voir comment faire pour être unis, même sans que nous redevenions des bases de soutien. »

Il parle de son nouvel engagement : « Avant tout, l’unité et la prise de conscience. Des communautés qui étaient dans le programme Procede du gouvernement sont en train d’en sortir ; pas parce qu’elles en auraient reçu l’ordre, mais parce qu’elles ont pris conscience de la situation. On sort d’années d’humiliation de la part du gouvernement, de mensonges, c’est pour ça que ceux qui ont décidé comme moi d’adhérer à La Otra ont aussi décidé de continuer à résister. Par exemple, nous allons refuser de payer les factures d’électricité, parce que c’est trop cher. Trois communautés ont déjà conclu un accord là-dessus et d’autres y réfléchissent. »

« Nous savons qu’il faut soutenir d’autres luttes, comme celles d’Atenco et d’Oaxaca, et que la lutte est au niveau du Chiapas, au niveau national et même international. Nous ne sommes plus seuls. Maintenant, il faut tous nous tenir les coudes. Le gouvernement doit comprendre que nous sommes redevenus zapatistes, mais en tant qu’adhérents à l’Autre Campagne, cette fois. Nous n’allons pas nous laisser abuser par le Procede, ce programme détruit la paysannerie. »

Victor pense que la division créée par le gouvernement peut être inversée. « Nous allons de l’avant, nous nous unissons toujours plus. Pendant toutes ces années, nous nous sommes rendu compte des tromperies. Bon, pas tout le monde, il y en a qui préfère être aveugles. Pendant les dix ans que nous avons passés en dehors de l’EZLN, le gouvernement n’a rien changé et nous sommes dans une situation pire qu’avant. Je suis très en colère et je sais que c’est pareil pour tout le monde, on est furieux. » Il pense que les gens doivent décider s’ils veulent être « simplement zapatiste » ou seulement dans l’Autre Campagne. « Chacun selon sa conscience, mais sans être divisés. Nous voulons le changement au Mexique, mais sans nous séparer des autres. »

Gloria Muñoz Ramírez

Traduction par Ángel Caído d’un article
paru dans le n° 118 de la revue mexicaine Ojarasca,
livraison de février 2007.

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