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D’À contretemps à Éclats d’anarchie

lundi 29 août 2016, par Claude Kottelanne

Freddy Gomez
Conversations avec Guillaume Goutte
Éclats d’anarchie, passage de mémoire
Rue des Cascades, Paris, 2015, 496 pages

Freddy Gomez, c’est d’abord, et pour nombre d’entre nous, celui qui a redonné vie à ces passants considérables et à ces pans d’histoire, le plus souvent ignorés de l’histoire officielle, qui se réclamaient de l’anarchisme et de ses combats. À contretemps en fut l’expression. Cette revue, ce « bulletin de critique bibliographique » dont il fut le créateur, l’animateur et l’un des rédacteurs les plus exigeants quant au fond et à la forme. À contretemps se donnait pour ambition de préserver de l’oubli « la mémoire des vaincus » ; un oubli qui tient trop souvent du mensonge par omission et qui, peu à peu, sous la rouille du temps, occulte la vérité historique, au mieux la mentionne en la marginalisant. Est-ce un hasard s’il en fut ainsi de la Commune de Paris, s’il en est encore ainsi de la guerre d’Espagne et du socialisme libertaire ? Nul doute que des historiens d’un futur qu’on espère proche consulteront cette revue plus ambitieuse qu’il n’y paraît, toujours empreinte d’un esprit critique aux aguets, qui ne verse jamais dans l’éloge ou la glorification, qui s’en remet aux documents, aux lettres, aux archives, donne des références consultables et se méfie par-dessus tout des orthodoxies, fussent-elles anarchistes (elles existent aussi). Un travail d’historien au service d’une histoire trop souvent défigurée, mais qui renaît toujours de ses cendres. C’est au printemps 2014 que la revue cessa de paraître. « Après treize ans de labeur très prenant, la fatigue avait fini par l’emporter sur le plaisir. » Les fruits une fois récoltés, un arbre a besoin de repos. On appelle cela la dormance. C’est le repos nécessaire du « faire » contre la torture du « travail ». Freddy Gomez, c’est aussi un poète [1].

Et ce plaisir, il le retrouve un an plus tard en faisant paraître ces Éclats d’anarchie, un beau et bon livre que publient les éditions Rue des Cascades. Écrit sous la forme d’une longue conversation avec Guillaume Goutte, ce pourrait être la simple relation d’événements et d’aventures auxquels il a participé et qu’il nous restitue le plus objectivement possible, et ce serait déjà un bon livre. Mais ce qui le rend passionnant, voire captivant, c’est que son auteur a toujours vécu dans la mouvance anarchiste, dans le quotidien comme dans l’exceptionnel, et cela depuis la petite enfance jusqu’à l’âge adulte où il entra dans la « Légion étrangère » du Livre, à savoir le syndicat des correcteurs. Et son regard, et son écriture, même critiques, sont imprégnés de cette vie-là, de « sa vie ». Cela fait d’Éclats d’anarchie un témoignage très personnel (il y a, entre autres belles pages, celles consacrées à l’exil, à la psychologie de l’exilé en général, et de l’exil des anarchistes de la guerre d’Espagne en particulier). Cette particularité est tout entière contenue dans le premier échange qui ouvre le livre : « Est-ce une chance de naître dans une famille anarchiste ? » lui demande Guillaume Goutte. Et je ne peux m’empêcher de citer la réponse en entier tant elle est, à l’image de toutes les autres, délivrée naturellement d’un poids dont bien des anarchistes sont toujours plus ou moins encombrés : « J’en connais pour qui ce ne le fut pas, mais je tairai les noms. Pour moi, c’en fut une. Non parce que l’éducation qui m’y fut dispensée aurait été très différente de celle d’autres familles, mais parce que, m’intéressant assez jeune à la question sociale, elle m’évita de me perdre dans les méandres du labyrinthe marxiste-léniniste. Vu le temps qu’ont mis certains de mes amis à en sortir, c’est indiscutablement un bienfait. » C’est moi qui souligne.

C’est dans cet état d’esprit que se poursuivra la suite de ces « conversations » qui eurent trait aussi à la rédaction des questions et des réponses : « L’idée à laquelle je tenais absolument, c’était de garder au tout un caractère écrit, c’est-à-dire réfléchi, construit. » Le livre procède ainsi d’une sorte de correspondance (dont je déplore autant que son auteur la quasi-disparition : une lettre a précédé l’écriture de cet article) en échappant à la froideur de l’interview. « Ce fut ce qui fit son charme », nous dira Freddy dans son avant-propos. Oui, un vrai charme, même si le propos se trouve aux antipodes de la conscience satisfaite. Nous sommes embarqués…

Claude Kottelanne
Entre nous | bulletin de liaison
des correcteurs retraités et préretraités
,
n° 51, janvier 2016.

Réfractions | recherches et expressions anarchistes,
n° 36, printemps 2016.

Notes

[1À vrai dire, le « poète » n’a pas dormi longtemps. Il suffit pour s’en rendre compte de visiter le site de la revue À contretemps, régulièrement mis à jour par son inspirateur avec de nouvelles recensions d’ouvrage, des « pépites et raretés », des entretiens, des études théoriques, etc. Qu’on se le dise et qu’on aille y voir.

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