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Combat d’un immigré dans la Grèce de Samaras

jeudi 17 avril 2014, par Laure Broulard

Moussa Sarr, vingt-huit ans, a suivi, comme beaucoup de jeunes Sénégalais ces dernières années, la nouvelle route migratoire passant par la Turquie pour arriver en Grèce. À Athènes, il a assisté à la montée du racisme, à la résurgence du nazisme et aux crimes contre les migrants, aux lois injustes d’un gouvernement de droite. Rentré depuis peu au Sénégal, il raconte ses expériences et son combat.

Je suis parti du Sénégal à vingt-trois ans, en 2009. J’avais suivi auparavant des études d’histoire-géographie à Dakar. Je suis donc parti pour trouver du boulot. J’avais réussi à obtenir un visa pour la Turquie. J’ai d’abord pris l’avion, puis, vu que j’avais tout prévu, je suis parti illégalement pour la Grèce une semaine après avoir touché le sol turc. Ils m’ont fait payer mille dollars pour partir par la mer en « soi-disant bateau », qui sont en fait de petites pirogues. C’était dangereux mais, une fois qu’on en est arrivé à ce point-là, on n’a plus le choix.

Au début je travaillais comme vendeur ambulant de bagages devant l’université Asoee (université d’économie), qui est la plus grande d’Athènes. Je voyais souvent la police attraper des gens, et il y avait un mouvement d’étudiants qui défendaient les immigrés et qui se battaient contre les policiers pour qu’ils nous laissent en paix. C’est à ce moment que j’ai décidé de m’engager moi aussi. S’il y en avait certains qui faisaient des efforts pour changer la situation, je voulais en faire partie.

En 2009, alors que j’étais vendeur, la situation était extrêmement difficile : c’était le début de la crise en Grèce. Donc beaucoup de Grecs avaient perdu leur travail, et les politiciens disaient que la crise s’était installée à cause des immigrés. Qu’ils prenaient le travail des Grecs en vendant des produits moins chers. Les gens ne voulaient plus de nous et ont arrêté d’acheter nos marchandises. Et puis les policiers nous empêchaient aussi de travailler. J’ai été arrêté plusieurs fois. Parfois, ils te gardent une semaine ou deux, puis ils te relâchent. Parfois, c’est trois jours. Parfois, ils prennent seulement ta marchandise pour eux, puis ils te laissent partir.

La situation s’est vraiment dégradée à partir de 2011-2012. À ce moment, les mouvements nazis ont pris de l’ampleur. Ils s’organisaient et frappaient les immigrés. Il faut dire qu’ils avaient l’aide du gouvernement d’Antonis Samaras, le premier ministre grec actuel. Le parti nazi avait dix-sept députés à l’Assemblée nationale jusqu’à il y a peu. Et ils recrutaient : ils donnaient de la nourriture et des habits aux Grecs dans le besoin, et distribuaient cinquante euros à ceux qui venaient à leurs manifestations.

À cette époque, plusieurs étrangers ont été attaqués. Les nazis ont tué un des mes amis, un Pakistanais nommé Lukman, à la sortie d’une station de métro. Ils investissaient des quartiers, et les gens avaient peur de sortir dans la rue : ils erraient dans les rues la nuit, arborant des T-shirt avec la croix de Hitler sur la poitrine. Lorsqu’ils apercevaient un immigré, ils l’agressaient.

« Je me sentais comme un ambassadeur des immigrés »

Pour nous défendre, nous avons organisé des patrouilles dans ces quartiers et des manifestations. Nous nous mettions dans les parcs, sur des places, à faire de la musique pour montrer qu’on était là, pour les faire fuir. Notre association a été la première à organiser ce type de résistance, puis cela s’est développé dans tout Athènes. C’est aussi à ce moment que les autorités grecques ont commencé à retirer les papiers d’asile aux immigrés qui venaient les renouveler. Ils m’ont pris les miens de cette façon.

Antonis Samaras a fait passer une loi selon laquelle si tu es arrêté sans papiers, c’est soit tu rentres chez toi, soit tu fais deux ans de prison. C’est pour faire peur aux gens et les faire rentrer chez eux. Moi, c’est pour cela que je suis rentré. Mais, bien que je sois très heureux de retrouver mon pays, j’aurais aimé rester là-bas pour continuer mon combat. Pour moi, cet engagement, c’était un défi à relever. Je me sentais comme un ambassadeur des immigrés. Même si je savais que je ne pourrais pas tout résoudre, il fallait que je fasse quelques pas. J’espère que d’autres suivront. Ce qui m’attriste le plus, c’est le non-respect des conventions internationales en Grèce, le non-respect des immigrés.

La communauté sénégalaise rencontre beaucoup de problèmes car il n’y a pas d’ambassade du Sénégal là-bas, seulement un conseiller honoraire qui avait été mis en place sous Senghor. Du coup, beaucoup de Sénégalais qui veulent rentrer ne le peuvent pas pour des problèmes de papiers non résolus. Il faut faire entendre au gouvernement que les Sénégalais de l’extérieur comptent autant que ceux de l’intérieur.

Laure Broulard

Source : Le Canard sauvage
avril 2014.

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