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Centre d’espagnol et de langues mayas
dans le Caracol d’Oventik, Altos de Chiapas

mai 2006

Il pleuvait et pleuvait, il pleuvait avec rage quand je suis arrivé à San Cristóbal de Las Casas (Chiapas). On était aux premiers jours d’octobre 2005. C’était la saison des tempêtes. Les ouragans dévastateurs de la côte laissaient tomber leur empreinte humide sur les montagnes chiapanèques. Nous autres, Occidentaux munis de toute sorte d’équipements contre la pluie, contrastions avec les Indiens - la plupart, surtout les femmes et les enfants, pieds nus et sans vêtements particulièrement imperméables - qui circulaient dans les rues grouillantes de monde sans manifester aucune crainte ou préoccupation quant aux averses.

Arriver à Oventik, au milieu d’un épais brouillard qui recouvrait tout, fut un vrai soulagement. La dureté des conditions de vie, la pauvreté continuaient à serrer le cœur, mais là on respirait maintenant quelque chose de nouveau, un air de dignité, la chaleur d’une humanité rebelle qui imprégnait tout. Enfin, je me sentais chez moi.

Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Pello et je suis basque, d’âge moyen et chaque fois un peu plus chauve. Je suis engagé aux côtés de beaucoup d’autres dans la sauvegarde de la dignité de mon peuple, de ma langue et de ma culture, face aux puissants voisins européens. Je m’occupe de la formation des professeurs à l’université, bien que ce soit en réalité en dehors de celle-ci que je réalise mes aspirations à mettre en œuvre une éducation alternative qui ait du sens.

Je suis allé jusqu’à Oventik, au Centre de langues, pour apprendre le tsotsil, une des langues mayas qui survivent dans les montagnes et forêts du Chiapas. Mais, en fait, j’y ai appris beaucoup plus que cela.

La première grande leçon fut déjà rien que dans la façon d’arriver au Centre. Il y avait quelques problèmes quant aux dates et à l’organisation de mon séjour. J’étais un peu inquiet. Cependant, les compagnons m’accueillirent et m’écoutèrent comme il est dans leur manière d’écouter quelqu’un, c’est-à-dire : en offrant à la personne le temps nécessaire pour s’exprimer, sans hâte ni angoisse, avec le cœur ouvert pour sentir le vrai sens des mots. Ils m’ont écouté, ils m’ont senti. Et j’ai ressenti qu’ils m’écoutaient. Et entre nous tous, finalement nous sommes arrivés à un accord. Cette première expérience de la véritable écoute allait se répéter à plusieurs reprises pendant les deux mois que j’ai passés là-bas.

Quand j’ai commencé à étudier la langue tsotsil j’ai découvert qu’un seul mot, le mot « a’iel », sert pour exprimer les idées d’« entendre », « écouter » et « sentir ». Je me suis alors rendu compte que comprendre véritablement, n’est pas dans la compréhension intellectuelle des mots, mais dans le ressenti profond du cœur. Et tous et toutes, compagnons et compagnes, étaient de véritables maîtres dans cet art d’écouter. Maintes fois, ils me donnèrent cette leçon et, jusqu’au jour d’aujourd’hui, je ne peux pas l’oublier. J’essaie de faire comme eux, mais je dois reconnaître que je suis bien loin de leurs capacités.

J’ai appris aussi que c’est « o’onil », le cœur, qui est le grand centre du vivant et non la tête - comme il a toujours été envisagé dans la culture occidentale (nous sommes tous héritiers d’une façon ou d’une autre du fameux « je pense donc je suis »). Pour les Indiens tsotsils, les choses s’oublient quand elles quittent le cœur, et elles y retournent quand nous nous en rappelons.

Le cœur est un et entier quand nous sommes joyeux et, quand nous sommes tristes, nous pouvons en compter les morceaux brisés. La parole émerge du cœur et c’est à partir du cœur qu’on l’écoute. Les animaux, les plantes, les maisons, tout, absolument tout a un cœur et en tant que tel doit être traité, c’est-à-dire, comme être vivant, comme sujet semblable à nous-mêmes. C’est cela qui à mon sens est la grande toile de fond des peuples mayas, leur cosmovision. La vie jaillit de la parole vraie du cœur. La lutte zapatiste est une magnifique démonstration de cette vision du monde.

La force de la communauté, de la collectivité est plus puissante que celle de l’individu. Le nous passe avant le je. Et c’est précisément cette écoute du cœur qui permet de créer l’espace nécessaire pour entendre et accepter l’autre et construire quelque chose de plus grand et incluant, un espace commun dans lequel nous puissions tous vivre. « Nous construisons un monde qui contient plusieurs mondes », disent les insurgés.

Pour moi, l’expérience vécue avec les compagnes et compagnons tsotsils a représenté beaucoup plus qu’un acte de solidarité politique. Cela a été un voyage à l’intérieur de moi-même. Et là quelque chose de très profond a été remué. Beaucoup de valeurs sociales et culturelles se sont fissurées, ont perdu de leur importance. J’ai eu l’immense privilège de voir et sentir la vie à partir d’une autre perspective, une perspective dont je pense que notre monde a besoin de toute urgence.

Je serai toujours reconnaissant au Centre de langues d’Oventik, parce qu’il m’a permis de vivre une expérience inoubliable. Je voudrais encourager tous ceux qui lisent ces lignes à profiter de cette superbe opportunité que nous offrent les zapatistes. Je veux vous encourager tout particulièrement à vous intéresser à la langue tsotsil. Il est possible que, d’un point de vue européen, passer du temps à apprendre une langue maya apparaisse incongru et inutile, mais il est aussi possible que cela soit un bon exercice de réaliser un petit acte du cœur, hors de toute logique utilitariste, et comprendre que la découverte du tsotsil est un voyage qui emmène directement au centre de la sagesse millénaire d’un peuple merveilleux.

Euskal Herria
(Pays basque),
mai 2006.

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