Compañeros, je voudrais simplement essayer de vous transmettre ce que font nos compañeros autorités de nos cinq Caracoles. Comme vient de le dire le compañero Villoro, il semble que nos compañeros comprennent bien ce que font nos compañeros et compañeras autorités autonomes. Moi, je veux simplement compléter ce qui a déjà été dit en vous parlant de notre travail politique sur la démocratie.
Il y a aujourd’hui trois niveaux différents auquel ce travail s’exerce. Il y a quinze ans n’existait pas ce que font aujourd’hui les compañeros et compañeras de nos autorités, des autorités des communautés et des conseils de bon gouvernement. Quels sont ces trois niveaux ? Il s’agit de trois collectifs, dont un qui se divise en centaines de collectifs. C’est-à-dire que la première instance est constituée par les communautés, collectif qui représente des centaines de communautés formant donc chacun des Caracoles. Ensuite, un autre collectif est constitué par les Marez (Municipios Autónomos Rebeldes Zapatistas, les communes autonomes rebelles zapatistes), des femmes et des hommes élus « autorités » par les centaines de collectifs précédents. Enfin, au sein de ces deux collectifs, les Marez et les communautés, sont élus les compañeros et compañeras de nos conseils de bon gouvernement, formant donc le dernier collectif.
Un collectif de ces trois collectifs a donc été formé, dans le but de mettre en pratique, au long de notre chemin durant ces quinze ans, ce que sont les sept principes de notre « commander en obéissant ». Mais il y a aussi mes compañeros dirigeants politiques et les compañeros commandantes et commandants, qui tous et toutes lisent ces principes en écoutant, en regardant et en agissant.
Je voudrais donc vous parler de quelques-uns des acquis que l’on doit aux compañeros et compañeras de ces trois collectifs. Par exemple, le conseil de bon gouvernement du Caracol I - de La Realidad, donc - a inventé ce qu’il a appelé la Banpaz, c’est-à-dire la banque populaire zapatiste. Vous vous demandez sans doute d’où proviennent les ressources financières pour un tel projet. En partie, il y a l’impôt que l’on perçoit au mauvais gouvernement parce qu’il construit des routes pour pouvoir faire passer facilement sa police et son armée pour expulser nos compañeros et compañeras, ainsi que d’autres à Montes Azules. Alors, on prélève un impôt là-dessus, qui est ensuite investi dans la banque populaire zapatiste.
Pour quoi faire ? Eh bien, parce que mes compañeros de ces trois niveaux des nos autorités, à savoir, les commissionné(e)s et les agent(e)s, d’une part, et les Marez et les conseils de bon gouvernement, d’autre part, forment un collectif dont les membres communiquent et s’écoutent mutuellement, qui doivent savoir à tout instant quelles sont leurs tâches, et que, une fois tout vérifié, ces deux derniers se chargent de voir comment mettre à exécution ce que pensent chacun de ces collectifs. Une fois décidé de quelque chose, le projet est soumis à consultation dans les communautés, pour voir si l’on accepte ce à quoi ont pensé les compañeros et compañeras.
Prenons l’exemple des autorités collégiales du Caracol II d’Oventik. Il n’y avait jamais eu d’école secondaire auparavant. Maintenant, si et les élèves y sont préparés. On démontre ainsi aux autres compañeros qui ont vu tout ça se faire que l’on a appris la leçon, parce que c’est de ces communautés que sont sortis les institutrices et les instituteurs de la compañera Lupita, qui nous a lu un conte, hier.
On peut aussi donner l’exemple des compañeras et des compañeros du Caracol III, du conseil de bon gouvernement de La Garrucha. En ce moment, les trois collectifs dont je parlais étudient la meilleure façon de travailler notre terre-mère. Avant, on ignorait, on ne comprenait pas ce que c’était d’être ingénieur ou ingénieure. Maintenant, on le sait parce qu’elles-mêmes et eux-mêmes mettent en pratique ce savoir.
Il y a aussi l’exemple du Caracol IV, où les compañeras et compañeros du conseil de bon gouvernement et des trois différents niveaux prennent ensemble des dispositions pour améliorer la situation.
Compañeros et compañeras, je peux vous donner des exemples précis en fonction de ce que j’ai vu de mes propres yeux, parce que je travaille avec ces compañeros et compañeras, je les accompagne dans leur travail. D’ailleurs, il y a peut-être ici aujourd’hui des compañeros et compañeras qui ont contribué avec leur solidarité dans certains des projets en cours. Nous voudrions que vous les écoutiez pour mieux comprendre ce qui est parfois arrivé.
Quand un projet de compañeros ou compañeras solidaires nous parvient, les autorités du conseil de bon gouvernement le reçoivent uniquement comme une proposition, parce qu’elles-mêmes ne peuvent rien accepter sans consultation préalable car c’est la communauté qui va dire oui ou non au projet. Tout simplement parce que ce sont les membres de la communauté qui vont faire le boulot, ce ne sont pas les membres du conseil de bon gouvernement ni des Marez.
Nos compañeros et compañeras autorités comprennent parfaitement que les compañeros et compañeras solidaires, qui ont obtenu au prix de beaucoup d’efforts ce qu’ils proposent où ils vivent, exigent de recevoir des rapports sur ce qui a été décidé et fait. Nous le comprenons, mais à l’inverse nous espérons que personne ne s’offusque ou ne prend mal que nous prenions du temps à le faire ou que ces rapports n’arrivent pas, parce que là où vivent nos compañeros et compañeras il n’y a pas d’avion, il n’y a pas d’hélicoptère, il n’y a pas de train ou de « métro », je ne sais pas comment vous appeler ça. La seule chose qui existe, c’est le « bipied ». Autrement dit, les deux jambes. Il faut marcher et marcher, ou parfois monter des chevaux qui sont aussi dans la résistance. Alors, tout ça prend du temps. Les projets prennent du temps pour être approuvés et cela prend du temps aussi de faire parvenir le résultat aux compañeras et compañeros solidaires, pour qu’ils sachent que c’est accepté.
En ce sens, faut pas croire, les compañeros et compañeras autorités sont surchargés de travail, ce qui n’est pas plus mal puisque ça veut dire qu’il y a plein de projets, parce que je n’ai fait que mentionner quelques petites choses. Réellement, les conseils de bon gouvernement, les cinq conseils de bon gouvernement, ont une quantité de travail que vous ne pouvez pas imaginer, parce qu’il n’y a pas que les quelques points que j’ai abordés. Il faut constamment résoudre des problèmes de justice et mille autres choses encore. D’autre part, notre méthode c’est que le peuple, les communautés doivent être à chaque instant tenues au courant, le peuple doit tout savoir, donc il faut qu’il soit consulté. C’est là que le travail prend du retard, mais ça n’est pas un mal que le travail prenne du retard, au contraire, c’est un bien car c’est le peuple qui a accepté ce bien. Reste que tout ça prend du temps.
Ce dont je voudrais aussi vous parler, c’est que les compañeros... La démocratie, comme vous l’appeler ou comme le disent les compañeros. Alors, vous vous rendez compte maintenant que les compañeros et compañeras qui travaillent comme autorités ont d’énormes responsabilités, des responsabilités dont ils n’avaient pas idée auparavant. Leur méthode, eh bien, c’est de discuter, c’est d’écouter, de se regarder en dedans, de faire ce qui a été pensé, mais ces autorités, ces femmes et ces hommes, ont appris que leur rôle ça ne va pas être de dicter des ordres comme si c’était des dirigeants. Le mot vient de diriger, je crois, de là le mot dirigeant. Alors, les compañeros disent : « Pas question, ici on va discuter, ici on va soumettre la proposition à l’assemblée générale. »
Quand je vous parle d’assemblée générale, je veux dire toutes les personnes autorités des communautés, femmes et hommes. Et aussi toutes les autorités, femmes et hommes, des Marez, eux aussi ont leur mot à dire. Ils disent « on ne va pas approuver ça ici et maintenant, on va soumettre la question à nos communautés parce que c’est elles et eux qui vont dire oui ou non ». C’est la même chose avec les propositions des compañeros et compañeras des conseils de bon gouvernement. Quand ils pensent qu’il faut faire telle ou telle chose ou qu’ils trouvent que quelque chose est mal fait et doit être corrigé, les membres de cette assemblée d’autorités dictent parfois la manière dont on doit corriger le tir et tout ça doit être soumis aux communautés pour que toutes les communautés, femmes et hommes, soient mises au courant et sachent que telle ou telle autorité agit mal ou qu’elles connaissent les erreurs de leurs autorités.
Les compañeros donnent chaque jour la preuve que leur pratique n’est pas autoritaire, ils ne supplantent personne, ils ne décident pas par eux-mêmes, ils savent qu’ils n’ont pas à décider et que c’est leur communauté qui doit décider. Quand une proposition de travail ou un projet est conçu, on soumet donc une proposition aux communautés et chaque collectif des communautés en discute. Ensuite, en assemblée générale, comme l’assemblée que nous avons ici en ce moment, les communautés font des suggestions, à travers les autorités de chaque communauté qui parlent au vu de tout le monde, publiquement, parce que des centaines de femmes et d’hommes écoutent ce qu’elles ont à dire sur la meilleure façon de mener à bien telle ou telle tâche.
C’est comme ça qu’un accord est pris, sur-le-champ, je crois qu’on appelle ça un accord unanime, parce que des compañeras et compañeros des communautés ont convaincu la majorité. Alors, comme ça, avec cette manière de mettre les choses en pratique, chose que nous n’imaginions pas avant 1994, quand les choses sont réalisées dans les faits la situation change et s’améliore.
Au cas où vous vous demanderiez ou vous vous poseriez des questions - parce que vous vous posez certainement des questions sur notre pratique - pour savoir si tout marche parfaitement dans ce qu’on fait... Si une faute grave est commise, une erreur d’un compañero ou d’une compañera, on les remercie simplement, ils sont mis à l’écart. Ils sont écartés mais ils ne sont pas exclus. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas exclus de nos bases de soutien, ils cessent d’être des serviteurs du peuple parce qu’ils ne font pas leur travail comme le peuple le commande. Et en voyant tout ça, tout ce que je vous raconte, les compañeros et compañeras se demandent : « Mais pourquoi le mauvais gouvernement ne nous a pas laissé faire comme ça pendant tout ce temps, avant ? » Et eux-mêmes apportent la réponse : « Ah ! Parce que s’ils nous avaient laissé le faire, le Mexique ne serait pas dans l’état où il est. » C’est ça que répondent les compañeros et compañeras.
Nos compañeros et compañeras ont donc mis en pratique, dans la réalité, et inventé et créé la manière de prendre en charge l’autorité. Et ils ont pu voir que, de cette façon, ça marche. Parce qu’ils ont aussi le soutien de la commission de vigilance, comme je vous le disais. Ce sont ses membres qui rapportent aux assemblées générale de leurs communautés tout ce qui se passe. C’est dans ces assemblées générales que les erreurs et les fautes commises par les compañeros et compañeras autorités ont été corrigées, c’est là qu’on demande des comptes aux conseils de bon gouvernement.
Ce qui est nouveau aussi, dans ce que font les compañeros et compañeras, c’est surtout la participation des compañeras. Elles participent aux trois niveaux de gouvernement autonome, parce qu’il y a des compañeras membres des conseils de bon gouvernement, des compañeras membres des Marez et des compañeras commissaires et agentes dans les communautés. Aujourd’hui, elles sont reconnues par les compañeros parce qu’elles assument aussi la responsabilité des plus hautes autorités. Et qu’elles aussi comprennent que ces plus hautes autorités, les autorités des trois collectifs réunis, sont au service des communautés. Elles aussi disent : « Ce n’est pas nous qui commandons, nous ne sommes que des représentantes, c’est le peuple qui commande. »
Je voudrais vous raconter quelque chose, pour comprendre de quoi il s’agit quand on dit que c’est le peuple, les communautés qui commandent. Il faut comprendre ce que ça veut dire. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des exemples d’une proposition émanant du collectif représenté par les communes autonomes qui était rejetée par une communauté : elle n’est donc pas accepté à la plus grande majorité. Pour trouver une solution à cette situation... (C’est là que ça demande de l’intelligence) Comment dire ? La contribution collective à un projet a un sens, pour qu’il s’agisse de maintenir les différentes autorités, la rotation d’autorités des Marez, autrement dit ce n’est pas pour répartir dans les communautés mais au contraire pour éviter que les communautés aient à débourser le peu qu’elles ont, c’est pour ça que la participation collective existe.
Alors, au lieu de créer une dispute et que les compañeros restent divisés en une majorité et en une minorité parce qu’une communauté n’accepte pas la proposition de contribution collective à un projet, qu’elle n’en veut pas, les compañeros lui disent simplement : « Pas de problème, compañero, compañera. Nous, nous allons participer à cette tâche collective et contribuer, et sachez que tout ce que dépensent nos autorités sera consigné, que nos autorités auront à nous rendre des comptes sur la manière dont elles ont utilisé notre participation. Si votre communauté ne veut pas, pas de problème. Vous continuez d’être nos compañeros autorités. [Mais tenez compte qu’il y a un collectif municipal qui vous dit : il y a d’autres moyens de faire les choses. Dans votre communauté, faites un travail collectif. Pour que la participation aux frais de cette tâche ne sorte pas du porte-monnaie de chacun des habitants, pour que du collectif sorte ce qu’il faut apporter aux compañeros et compañeras de votre commune autonome.] [1]
De cette manière, on ne provoque pas la division, pas de disputes. C’est pour cela que je vous disais que les compañeras et compañeros autorités interprètent nos principes en écoutant, en regardant comment faire, en fonction de ce qu’ils voient. Et ils les interprètent dans les actes. Parce que c’est dans la pratique que va se prouver ce que l’on a pensé et ce que l’on a écouté.
Un exemple, ce sont les compañeros autorités de La Garrucha, qui réfléchissent à la loi agraire. Ils réfléchissent à comment s’occuper de la terre. Ils ont amélioré la Loi agraire zapatiste, en fonction de ce qu’ils avaient sur place, et font beaucoup d’efforts pour prendre soin de la terre. Ils ont ajouté plus que ce dont on avait besoin pour être sûr de bien s’occuper de la terre. Alors, quand les compañeros en discutaient, une commune autonome a demandé pendant les débats pourquoi le mauvais gouvernement, les députés et les sénateurs ne font pas comme nous. Parce que la loi il faut la changer, a été la réponse. Tous les combien ? Quand il le faut, quand on s’aperçoit quand on entend que ça ne marche plus.
Alors les compañeros ont demandé (parce qu’ils reçoivent Radio Insurgée là-bas) : « Vous n’avez pas écouté Radio Insurgée raconter comment vivent les députés, les sénateurs et le mauvais gouvernement ? Eux, ils font des lois pour gagner de l’argent. » Comment voulez-vous qu’ils agissent autrement qu’ils le font.
Je vais vous toucher deux mots de cette loi de La Garrucha pour s’occuper des terres qui ont été reprises. Les compañeros d’ici ont inventé beaucoup de choses en matière de santé, d’éducation et de commerce. Et même en matière de transport. Les compañeros n’ont pas de voiture, mais ils ont été obligés de penser à faire des contrôles parce que les compañeras et compañeros se sont rendu compte que les propriétaires des véhicules de passagers (les voitures) se comportaient comme des grands propriétaires terriens, comme il y en avait avant. Parce qu’ils ne laissaient personne d’autre qu’eux utiliser les routes, il n’y avait qu’eux qui pouvaient entrer et sortir des terres.
Alors, les compañeros ont dit : « Ça suffit, c’est fini tout ça, ils agissent comme les grands propriétaires. Il va falloir qu’ils s’organisent en coopérative ou en collectif. » C’est comme pour manger du pain, tout le monde veut en manger. En regardant ce qu’il y a, en écoutant ce qui se passe et en prenant des mesures pratiques.
Compañeros et compañeras, il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont s’y prennent les compañeros pour mener tout ça. Mais vous allez découvrir tout ça au fur et à mesure. J’espère que vous ne vous fatiguerez pas de venir nous rendre visite, de faire connaissance avec nous, de comprendre bien mieux qu’en écoutant des explications.
Parce que vous existez et vous allez continuez d’exister. Et les compañeros et compañeras autorités et les communautés zapatistes aussi continueront d’exister.
Lieutenant-colonel insurgé Moisés.
Le 4 janvier 2009.
Traduit par Ángel Caído.