Dialogues entre l’Université et la société civile.
École nationale d’anthropologie et d’histoire (ENAH), le 24 janvier 2008.
"Qu’est-ce qu’implique protester contre la souffrance, à la différence de la reconnaître ?"
Susan Sontag
On nous a menti depuis que nous sommes nés. On nous a dit qu’on admirait les courageux, qu’on respectait le sang versé en faveur de la justice, qu’on reconnaissait le mérite des processus libérateurs. Pendant six ans d’études primaires, on nous a emmenés tous les lundis matin assister à un culte institutionnel aux révolutions, aux luttes de libération, aux épopées indépendantistes, à la défense de la souveraineté et à tous les chapitres héroïques qui ont dessiné l’histoire du Mexique. On nous a dit que la police travaillait à nous protéger, que l’armée était la sauvegarde de la tranquillité sociale et que le système judiciaire était là pour la garantir. Mais on nous a menti.
Au pays où "les courageux n’assassinent pas" [1], les courageux sont assassinés. On les poursuit, on les arrête sans mandat de justice, on les traîne par terre, on les viole, on "les disparaît". C’est cela que font en réalité les institutions de justice au Mexique, à l’opposé de l’émouvante rhétorique nationaliste que nous avons apprise enfants. On a voulu fouler aux pieds notre droit à la pensée critique, à la liberté de parole et d’expression, à l’organisation, c’est-à-dire à la défense collective de la terre, du travail, de l’éducation, ou en général de nos convictions. Bien souvent on y est parvenu. Et le plus grave est que les responsables vivent dans une totale impunité. Ni les institutions officielles ni les médias de masse ne présentent des faits dignes de foi. Au contraire, dans un chaotique labyrinthe de pièges médiatiques, de convenances économiques et de dédales juridiques sur mesure, il se trouve que dans notre pays ce sont les militantes et militants sociaux qui sont en prison, tandis que les hommes et les femmes responsables de viols, de tortures et d’assassinats sont libres. Dans ce cadre, on entend fréquemment sur les ondes une annonce payée par la Commission nationale des droits humains. Elle tente d’être une critique de la torture au Mexique, mais elle renferme un autre mensonge : "L’illégalité ne doit pas être combattue par plus d’illégalité." Avec une phrase aussi générale, les publicistes de la CNDH contribuent à la criminalisation des mouvements sociaux. Puisque la Constitution l’établit dans son article 39, il n’est pas illégal de s’organiser pour "altérer ou modifier" notre forme de gouvernement. Mais c’est dans ce Mexique-là que nous vivons, et c’est cela qui permet et favorise ce système de justice pénale.
Dans ce Mexique-là, il existe des femmes qui ont été emprisonnées parce que cela convient aux intérêts politiques des gouvernements municipaux, d’États ou du gouvernement fédéral, et non parce qu’elles ont commis un quelconque délit. C’est pourquoi on les considère comme des prisonnières politiques et de conscience. Avant tout, je dois signaler qu’un travail de recherche approfondi sur les prisonnières politiques au Mexique est nécessaire, car il y a des femmes sur la situation juridique desquelles on a très peu de données. C’est, par exemple, le cas de Remedios Alonso Vargas ; à son sujet, on peut savoir grâce à une note publiée dans le quotidien El Sur [2] qu’elle est mère de dix enfants, qu’elle a été arrêtée et torturée avec deux d’entre eux (Irineo Mederos et Luciano Mederos) le 24 octobre 2000 dans le village d’El Camarón, État de Guerrero, alors que quarante agents de la police judiciaire de cet État perquisitionnaient sa maison, et que, comme ses fils, Remedios est condamnée à vingt-deux ans de prison.
Il existe d’autres femmes qui ont été considérées comme prisonnières politiques ou prisonnières de conscience et sur les cas desquelles il est nécessaire de réaliser une recherche exhaustive, comme María de Jesús Martínez Reyes, María Elena Mesino Parra et Azucena Villamar Pasión, toutes trois prisonnières au Guerrero. Il est également indispensable de systématiser l’information au sujet des femmes qui ont été arrêtées le 25 novembre 2006 à Oaxaca, dans le contexte de la répression contre le mouvement de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO) de la part du gouvernement d’Ulises Ruiz. Quelques-unes des femmes qui se sont alors revendiquées comme prisonnières politiques sont Hilda Coca Gómez, Edith Coca Soriano, Elia Coca Gómez et Blanca Celia Mendoza Ramírez.
Sur d’autres femmes, on a plus d’informations. Isabel Almaraz Matías est une femme zapotèque de la région loxicha de l’État d’Oaxaca. Cela fait plus de cinq ans qu’elle est en prison et n’a toujours pas été jugée. Selon le journal La Jornada, dans une note de Blanche Petrich, Isabel a participé en juin 1997 à "l’Union des peuples contre la répression et la militarisation de la région loxicha, qui a maintenu un stand pendant cinq ans aux portes de l’ancien palais du gouvernement d’Oaxaca". Blanche Petrich explique qu’ils "protestaient contre la militarisation qui a décimé leur région : plus de 90 exécutions extrajudiciaires, 15 disparitions, et à l’époque près de 500 arrestations" [3]. D’après son propre témoignage, Isabel a été arrêtée le 25 juin 2002 à Santa Cruz Xoxocotlán, État d’Oaxaca. Elle est accusée d’enlèvement, et d’appartenance à l’Armée populaire révolutionnaire (EPR). Elle a envoyé des lettres à Amnesty International où elle assure n’avoir commis aucun délit [4]. Elle s’autodéfinit comme prisonnière politique et de conscience. Je cite quelques mots d’Isabel : "En tant que femme indigène, je ne peux pas rester les bras croisés ; depuis cet endroit j’élève la voix. J’ai le droit de lutter pour ma liberté qui me manque tellement [5]." Isabel a deux filles. Quand elle a été arrêtée en 2002, l’une avait quatre ans et l’autre un an et demi. Elle n’a pas pu les voir depuis lors. Il y a d’autres femmes prisonnières au Mexique pour des motifs politiques, mais il faut procéder à une recherche plus poussée avant de pouvoir présenter leurs cas.
Sur Gloria Arenas Agís, nous avons plus d’informations. Elle a été arrêtée et emprisonnée en compagnie de son époux Jacobo Silva Nogales en octobre 1999. Tous les deux ont été accusés d’appartenir à l’Armée révolutionnaire du peuple insurgé (ERPI), ce qu’elle n’a jamais nié. C’est pour cela que tous deux acceptent l’accusation de rébellion qui pèse sur eux. Sachant qu’ils sont en prison depuis huit ans et que la peine que leur a infligée la cour pour l’accusation de rébellion a déjà été purgée, ils ont présenté tous les deux en septembre 2007 un recours demandant leur libération [6] qui doit être étudié très bientôt. Si la loi était appliquée comme il se doit, aussi bien Gloria que Jacobo pourraient être libérés. Cependant, diverses organisations de défense des droits humains considèrent possible que ça ne se fasse pas. Ils pourraient ainsi rester en prison jusqu’en 2045. Gloria Arenas est aussi mère. Dans son cas, non seulement elle est restée huit ans sans voir sa fille Leonor Araceli, mais celle-ci a dû se réfugier au Canada depuis l’arrestation de ses parents. On n’a pas permis non plus à Gloria de voir son époux, bien que la loi comporte le droit à la visite conjugale.
L’impunité dans les abus du passé engendre les barbaries présentes et encourage les cruautés du futur. Dans la détention arbitraire de Gloria et Jacobo, quelqu’un a joué un rôle de premier plan. C’est un homme qui a aussi été présent dans l’agression contre le Comité général de grève (CGH) de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), en 2000, et dans l’attaque contre le Front des communes en défense de la terre (FPDT), l’Autre Campagne et diverses organisations sociales en 2006. Il s’agit de Wilfrido Robledo Madrid, qui occupait en 1999 et 2000 la fonction de directeur de la Police fédérale préventive (PFP) et était directeur de la Sécurité publique de l’État de Mexico en mai 2006. La tranquillité avec laquelle cet homme a pu maltraiter les mouvements sociaux pendant des années peut avoir eu pour conséquence la sûreté et la confiance qu’il a montrées dans l’attaque contre Atenco en mai 2006. C’est ainsi que Wilfrido Robledo Madrid retrouve un rôle répressif de premier plan dans les agressions qu’ont vécues deux cent sept personnes à San Salvador Atenco et Texcoco les 3 et 4 mai 2006, avec un bilan de deux jeunes tués : Ollin Alexis Benhumea Henández et Francisco Javier Cortés Santiago.
Depuis lors, cela fera bientôt deux ans, trois femmes se trouvent emprisonnées sans qu’on ait prouvé qu’elles avaient commis le moindre délit, et sans avoir été condamnées. Ce sont Patricia Romero Hernández, Georgina Edith Rosales Gutiérrez et Mariana Selvas Gómez [7], étudiante de cette université [8]. Toutes trois sont détenues au pénitencier Molino de las Flores, dans l’État de Mexico. Le cas de Patricia Romero maintient toute une famille dans la peine. Patricia a été arrêtée et torturée en compagnie de son père (Raúl Romero) et de son fils (Aladí Romero). Les trois sont prisonniers. Patricia est accusée d’"enlèvement ou assimilé", ce qui peut lui valoir de nombreuses années de prison. De son côté, Edith Rosales est une travailleuse de l’Institut mexicain de sécurité sociale, et membre active du syndicat. Quand elle a été arrêtée, Edith a vécu des moments comme celui-ci :
"Le camion s’est mis en marche, et tout le temps ils nous ont torturées physiquement et psychologiquement. En plus, il y avait deux jeunes filles devant, qu’ils harcelaient sexuellement et pelotaient, et quand elles demandaient qu’on les laisse tranquilles, ils les frappaient. Et nous, si on essayait de lever la tête, ils nous frappaient et nous disaient qu’ils allaient nous tuer et nos familles aussi. Quand on est arrivées, ils nous ont fait descendre en nous tapant dessus, et dans les couloirs de l’entrée du pénitencier, ils me cognaient la tête contre le mur et me donnaient des coups de pied... [9]"
Le système de justice pénale du Mexique et la structure qui le soutient semblent conçus spécialement pour veiller à la sécurité des criminels [10]. Dans le cas de Patricia, Edith et Mariana, le fait qu’elles se trouvent emprisonnées et stigmatisées comme femmes violentes apparaît particulièrement grotesque après leur présence dans l’un des actes massifs de violence sexiste les plus organisés dont le Mexique ait gardé la mémoire [11].
Toutes les femmes agressées ont été jetées dans des camionnettes où ont été torturées ces deux cent sept personnes. Toutes décrivent l’asphyxie qu’elles ont subie quand on les a empilées "comme des ballots" pendant près de cinq heures, dans un environnement de personnes blessées et ensanglantées qui gémissaient pendant qu’on les torturait. Beaucoup signalent qu’on leur a couvert le visage avec leurs propres vêtements, après les avoir déshabillées. Beaucoup d’entre elles ont été dépouillées de leur soutien-gorge. À d’autres, on a baissé le pantalon et la culotte, ou on leur a remonté le pull ou le corsage pour que leurs seins soient à découvert. Cela facilitait la violence des tortionnaires, car les femmes affirment que leurs seins ont été pincés, mordus, léchés, tirés et frappés sauvagement à coups de poing et de matraque. Plusieurs femmes assurent que, pendant tout le trajet, les policiers leur ont introduit les doigts ou des objets dans le vagin et le rectum. Une jeune fille affirme avoir voyagé nue sur le dernier siège du camion, allongée à plat ventre par-dessus deux personnes, obligée à lever les hanches pour le confort de trois policiers qui l’ont violée pendant quatre heures ; sur son dos et sa tête, un policier a voyagé assis. Toutes indiquent qu’on a frappé sans mesure des jeunes, des vieillards et un infirme. Tout le monde a reçu des menaces de mort et de démembrement corporel. À chacune on a volé ses affaires personnelles, montres, téléphones portables, appareils photo, caméras vidéo, ou sacs à main. La présence des médias n’a pas été tolérée. Personne n’a été respecté. Mariana Selva Gómez, étudiante de cette faculté, déclare :
"Pendant le trajet, il y a eu des menaces de mort. Ils disaient qu’ils allaient "nous disparaître" et que si nous survivions nous allions passer quatre-vingts ans enfermées. Nous ne pouvions pas bouger. Si nous bougions, il nous frappaient avec hargne. Une femme policier s’est mise debout sur mon dos. On entendait comment ils abusaient d’autres femmes dans mon camion, en particulier d’une Allemande [12]. C’était comme si on entendait la bande-son d’un film porno, et aussi des insinuations suivant lesquelles ils étaient en train de se droguer [13]."
Le Mexique est reconnu au niveau international non seulement pour la quantité de femmes qui sont assassinées sur son territoire, mais aussi pour l’impunité dont jouissent leurs assassins. Si certains groupes sociaux peuvent vivre tranquilles et décontractés dans notre pays, ce sont bien les pédophiles, les violeurs et les tortionnaires. En juillet 2006, Alicia Elena Pérez Duarte, alors responsable du service judiciaire spécial chargé d’enquêter sur les délits en rapport avec les actes de violence contre des femmes (Fevim), a déclaré qu’au Mexique "aucun tortionnaire n’a jamais été condamné" [14]. En d’autres termes, jamais il n’a été fait justice aux mouvements sociaux.
On nous ment tout le temps. On nous dit que le Congrès de l’Union est honorable et que ses membres ont pour principal souci le bien-être national. Mensonge. On nous parle d’une loi toute récente, moderne et novatrice, et nous voyons qu’elle ne pourrait pas empêcher que se répète un viol massif comme celui d’Atenco, et qu’elle ne libérerait jamais non plus une seule prisonnière politique. Bien entendu, elle ne pourrait pas non plus sanctionner la violence qu’ont subie ces femmes. Les lois ne sont pas rétroactives.
Il y a presque un an, le 1er février 2007, le Journal officiel de la Fédération a publié le "Décret qui promulgue la Loi générale d’accès des femmes à une vie exempte de violences". Cette loi contient seulement deux chapitres [15] (sur cinquante-neuf) qui signalent ce qui pourrait être fait en termes légaux pour sanctionner ceux qui reproduiraient une attaque comme celle qu’ont vécue les femmes dont nous parlons aujourd’hui. Par exemple, le chapitre V, article 25 : "Il reviendra au gouvernement fédéral, à travers le ministère de l’Intérieur, de déclarer l’alerte de violence sexiste, et il notifiera la déclaration au pouvoir exécutif de l’entité fédérale concernée" [16]. Si nous transposons cet article à notre réalité nationale, nous verrons qu’en fin de compte il n’est rien de plus qu’un bouclier protecteur pour les abus gouvernementaux. Dans les faits, il est nul et non avenu. Ce que dit la loi, c’est qu’il appartient à Felipe Calderón Hinojosa, à travers Juan Camilo Mouriño, de "déclarer l’alerte de violence sexuelle" et de la notifier à Enrique Peña Nieto [17]. Comment espérer que Peña Nieto, l’un des responsables intellectuels de ce qui est arrivé à Atenco, sanctionne la violence contre les femmes ? Comment espérer que Calderón et sa présidence improbable déclarent une alerte de violence sexiste, alors que c’est dans la résidence officielle de Los Pinos qu’a été concocté le diagnostic de gastrite qui a paralysé la Commission nationale des droits humains et a laissé dans une totale impunité l’assassinat de doña Ernestina Ascencio Rosario en mars 2007 [18] ? Comment imaginer que les viols d’effectifs de la PFP ou de membres de l’armée fédérale mexicaine vont être sanctionnés depuis Los Pinos, alors que là-bas, bien que la violence militaire soit prouvée dans tout le pays, l’avocate et première dame Margarita Zavala, toute fière, habille ses fils en soldats ?
Parler de l’article 26 serait un tantinet oiseux, car on y établit la façon dont l’État mexicain doit "réparer les dommages conformément aux paramètres établis par le droit international en matière de droits humains" [19]. Mais, dans la vie réelle, ce n’est pas comme ça. Dans ce pays où l’histoire officielle exalte le courage du général Anaya pour avoir répondu "si j’avais des canons, vous ne seriez pas ici" [20], on emprisonne dans des pénitenciers de haute sécurité les frères Cerezo Contreras, trois jeunes étudiants de l’UNAM, qu’on accuse d’avoir fait éclater quelques pétards [21].
Ils nous mentiront toujours. D’où la nécessité de créer nos propres analyses de la réalité nationale. Le système actuel de justice pénale du Mexique ne fonctionne pas, n’atteint pas ses objectifs fondamentaux et ne rend pas justice. Il faut en construire un nouveau. Tant que ce ne sera pas fait, bien sûr, on doit continuer le travail juridique, mais nécessairement accompagné d’un travail politique ininterrompu et organisé. Car dans ce pays, les lois ne sont pas faites pour rendre la justice, mais pour fournir l’impunité la plus absolue aux élites politiques, économiques et religieuses.
Il y a quelques jours a été rendue publique une plainte de doña Marta de los Ríos (de l’organisation des Mères de disparus politiques de l’État de Chihuahua), dans laquelle elle affirme avoir été enlevée par plusieurs hommes dans les rues de Chihuahua le 10 décembre dernier. Ils l’ont menacée à cause de sa participation au mouvement social qui cherche à retrouver les disparues et les disparus [22]. Nous avons aussi des femmes persécutées, comme la jeune América del Valle Ramírez, qui vit cachée depuis mai 2006 de crainte d’être l’objet du même traitement sauvage que d’autres membres du Front des communes pour la défense de la terre, parmi eux son père et son frère. Pendant ce temps, les sœurs Daniela et Virginia Ortiz Ramírez, deux petites jeunes filles triquis [23], sont toujours disparues depuis six mois [24]. Si les lois nous promettent une vie exempte de violence, pourquoi ne décrète-t-on pas une "alerte de violence sexiste" au Mexique ? Combien de femmes doivent-elles être violées, emprisonnées, persécutées ou assassinées pour qu’on considère que la situation est alarmante ? Et si, dans la pragmatique pensée néolibérale, on quantifie la douleur selon le nombre de disparitions, pourquoi le gouvernement Calderón n’a-t-il pas décrété une "alerte de violence sexiste" à Ciudad Juárez le 2 février 2007, le jour même de la promulgation de sa loi ?
Tant de naïveté est dangereuse. Penser que les lois, en elles-mêmes, vont nous garantir une vie débarrassée de violence, c’est habiter bien loin de la réalité. Et attendre que les femmes arrivent au pouvoir pour qu’on nous fasse enfin justice est encore plus naïf et peut-être plus dangereux. Il faudrait analyser les témoignages de femmes comme Patricia Romero, Edith González et Mariana Selvas pour nous rendre compte du traitement brutal qu’elles ont reçu de la part de femmes policiers. Ou bien il faudrait analyser l’attitude de Michelle Bachelet à la tête du gouvernement chilien, car la prisonnière politique mapuche Patricia Troncoso Robles mène depuis cent jours une grève d’aliments solides et son état de santé est très grave [25]. Comme ça, entre femmes. Parce que le problème n’est pas le sexe de qui gouverne, mais la façon dont on abuse du pouvoir.
Dans le régime patriarcal, capitaliste et conservateur qui cherche à se consolider au Mexique et dans le monde pour les années à venir, une réponse organisée des femmes est plus qu’urgente face à la barbarie d’autorités dont la négligence nous a amenés à occuper la première place mondiale en matière de féminicides. Nous sommes aujourd’hui stigmatisés comme un peuple qui tolère les viols massifs, suivis de l’emprisonnement de celles qui ont été agressées. Il existe des possibilités réelles de vivre sans lois qui répriment, et au Mexique nous en avons des exemples concrets. Dans les communautés zapatistes du Chiapas, par exemple, a été mis en route en quelques années seulement, et en toute autonomie, un système de justice où on cherche véritablement à éviter la violence, à réparer les torts et à transformer les relations sociales au moyen du travail. Les communautés indigènes rebelles sont en train de le tenter.
Nous sommes ici dans une maison consacrée aux études anthropologiques, historiques, archéologiques et sociales. En d’autres termes, c’est un espace pour l’humanisme et la défense de la mémoire des peuples. Une de ses étudiantes est prisonnière. De ce qui va être fait et consigné aujourd’hui dans des lieux comme celui-ci dépendra dans une large mesure ce que les historiens du futur sauront de nous, femmes et hommes. Cela vaudrait la peine de lutter pour leur faire savoir que nous sommes en train d’essayer de vivre d’une autre manière, et que nous ne pouvons pas ignorer la douleur de celles et ceux qui vivent en prison. Toutes et tous nous avons le droit à ces formes de justice véritable qui se pratiquent dans l’autonomie. Les obtenir et les vivre dépendra de notre capacité d’organisation et de riposte. Ne permettons plus cette injustice. Exigeons la liberté immédiate et inconditionnelle de toutes et tous les prisonniers politiques.
María Eugenia Gutiérrez González
(FFyL/UNAM)
Traduit par el Viejo.