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De Barcelone

Perplexités n° 2 (et quelques certitudes)
à la veille du 1er octobre

lundi 2 octobre 2017, par Tomás Ibáñez

Ce n’est plus le moment de disserter sur les facteurs qui ont conduit à la situation présente, qu’il suffise de rappeler que figurent parmi eux l’irritation tout à fait justifiée d’une bonne part de la population catalane contre le gouvernement du Parti populaire, une série de griefs qui indignent cette population, mais aussi la constante et prolongée excitation de la fibre nationale moyennant le strict contrôle des télévisions et radios publiques catalanes par le gouvernement catalan, à quoi il faut ajouter la ferme volonté d’accéder à de plus grandes portions de pouvoir qui caractérise des élites politiques et économiques fascinées par la perspective de devenir un État.

Ce qu’exige le moment actuel, à partir d’une perspective libertaire, c’est plutôt une réflexion sur les stratégies et les positions que développe une partie du secteur anarchiste et du mouvement libertaire bien plus ample dans lequel il se trouve inséré. Je dois avouer que cette réflexion accroît ma perplexité en même temps qu’elle m’incite à réaffirmer quelques certitudes ancrées dans la mémoire libertaire des luttes.

La perplexité devient inévitable lorsque l’on contemple le lent cheminement qui part d’une franche sympathie, et même d’une implication, dans le multi-référendum qui revendiquait « le droit à décider sur tout » (et qui fut réprimé par la police catalane en mai 2014) et qui débouche sur l’appui à un uni-référendum qui ne contemple que le droit à décider sur la question nationale.

La perplexité devient inévitable lorsque l’on contemple l’imperceptible glissement qui mène de l’appel à la mobilisation populaire, chose que l’on ne peut qu’appuyer, à en appeler à aller aux urnes et à participer au référendum. Perplexité car quel est l’objectif ? Que se produise une grande mobilisation contre le gouvernement et son appareil répressif, ou bien que les urnes soient pleines ? La force de la mobilisation se comptera en nombre de bulletins dans les urnes ou bien en termes du nombre de personnes dans la rue et de leur détermination à lutter ?

Il est vrai que le nerf de la contestation populaire prend actuellement la forme de la défense des urnes (le « droit de voter » dans ce référendum et l’exercice factuel de ce droit en allant « voter »). Cependant, est-il nécessaire depuis une position anarchiste d’appeler au vote, et même de s’intégrer dans les Comités de défense du référendum afin de connecter avec la protestation populaire et tenter de la radicaliser ? Ne peut-on faire face à la répression, avec la population, sans légitimer pour autant un référendum qui oppose deux gouvernements soutenus l’un et l’autre par une partie de la population ? Faut- il crier « Votarem » (nous voterons) au lieu de « nous résisterons » ou même « nous vaincrons » pour pouvoir participer légitimement à la mobilisation ?

Le choix ne se pose pas en termes de « ne rien faire » ou bien « défendre les urnes ». L’alternative ne se situe pas en termes du faux dilemme « prendre parti » pour ceux qui défendent le référendum ou demeurer en marge de la lutte. Il est clair que lutter contre le capitalisme et l’État, même dans les circonstances actuelles, est tout à fait compatible avec le refus de grossir les rangs de ceux qui se situent sous un drapeau national et qui répondent à l’appel d’un gouvernement, de ses parlementaires et de sa police.

« La légalité tue » nous rappelle Santiago López Petit dans un intéressant article ([bleu violet]« Prendre partit en una situació estranya »[/bleu violet] [1]), tout à fait d’accord, mais c’est aussi ce que fait la légalité dont se réclame « l’acteur nécessaire » et principal créateur du référendum, c’est-à-dire le gouvernement catalan. Défier et faire sauter dans les airs la légalité espagnole est une chose de grande valeur (si cela advient finalement, au-delà des fissures qui se sont déjà produites), mais cela perd de sa valeur si c’est grâce à la couverture offerte par une autre légalité instituée, et même si l’on parie de la faire sauter elle aussi dans les airs après l’avoir acceptée et confortée dans le moment présent. Ne serait-il pas plus cohérent de ne pas contribuer à la renforcer dans l’immédiat et de commencer à la miner dès à présent en désobéissant à son exhortation à se rendre aux urnes ?

Il est bien entendu impossible de prévoir le dénouement du coup de force dans lequel s’est engagé le gouvernement catalan. Que peut-il se passer dimanche 1er octobre et les jours suivants ? Nul ne peut le savoir. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement du Parti populaire est déjà notablement affaibli aussi bien au niveau international qu’en Catalogne et aussi dans certains secteurs de l’opinion publique espagnole qui sont, heureusement, sensibles aux mesures répressives. Ce qui semble également clair c’est que, pour tendue que soit la situation le dimanche soir et le lundi 2 octobre, avec l’éventualité que les députés indépendantistes s’enferment dans le Parlement et l’occupation d’espaces publics dans le style de la place Maidán (en moins sanglant !), il s’ouvrira un espace pour calmer le jeu, baisser la tension, « rétablir l’ordre » et permettre le début d’une négociation entre les deux gouvernements à partir des positions de force que l’un et l’autre auront atteintes.

Une négociation pour satisfaire les revendications des syndicats qui ont convoqué à une grève générale pour le 3 octobre ? Les conditions pour une telle chose ne sont pas réunies, car le scénario principal n’est pas celui d’une lutte dans le monde du travail ni dans le cadre de la lutte de classe. Sauf si des morts se produisent dimanche et que la grève générale se généralise en réponse à cela, l’entrée de la CGT et de la CNT dans la bataille du référendum n’aura servi que la cause indépendantiste, pas du tout celle des travailleurs.

J’espère me tromper. Mais là ou je crois ne pas le faire c’est en pronostiquant que le nationalisme espagnol se renforcera à partir des événements actuels, ce qui non seulement pourrait donner des ailes à l’extrême droite, mais pourrait aussi assurer une importante victoire du Parti populaire s’il convoque des élections générales à court terme. Je ne sais pas si la certitude que le nationalisme catalan se verra également renforcé peut être d’une quelconque consolation pour les libertaires, mais…

Avec le plus grand respect pour les camarades qui ont une autre analyse tout aussi légitime que celle que je développe ici, il me semble que si, finalement, ce pronostic s’avère juste, l’erreur due à la perspective à court terme privilégiée par le secteur de l’anarchisme auquel je me référais plus haut sera évidente.

Tomás Ibáñez
Barcelone, 29 septembre 2017

[bleu violet]Version originale[/bleu violet] en espagnol
affichée sur plusieurs sites le 30 septembre.

Notes

[1« Prendre parti dans une situation étrange », traduit du catalan par Alèssi Dell’Umbria, publié sur [bleu violet]LundiMatin[/bleu violet] (note de “la voie du jaguar”).

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