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Notre-Dame-des-Landes

ZAD will survive

samedi 10 février 2018, par ZAD

Ne pas laisser la victoire…

« Il n’y aura pas d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes », disions-nous souvent, pour démontrer notre entêtement, pour en faire une prophétie. Le 17 janvier, cet énoncé a été inscrit en lettres capitales dans un pays entier. C’est maintenant une phrase toute bête, mais qui signe un fait historique d’une ampleur inégalée ces quarante dernières années : la première grande victoire politique de toute une génération. Il aura fallu remonter à la lutte des paysans du Larzac pour lui trouver un équivalent, tant notre présent en est avare. Et c’est un mauvais comparant, puisque ici c’est contre une succession de gouvernements hostiles que nous l’avons emporté, sans qu’aucun candidat n’inscrive l’abandon dans son programme. Sans excès de pacifisme, également, ce que n’ont pas manqué de souligner les chroniqueurs s’en référant au statut emblématique de zone de « non-droit » de la ZAD et à sa défense acharnée en 2012. Il serait erroné de croire que seules les pierres et les barricades ont permis de gagner. Pourtant c’est bien leur usage qui a rendu la décision d’abandon à la fois aussi impérieuse et aussi dure à avaler pour Macron. « Céder la ZAD aux radicaux », voilà ce que les éditorialistes ont reproché au président, occultant le fait qu’un mouvement de lutte dans son entier ait bataillé un demi-siècle durant en usant de toutes les formes de résistance légales ou illégales. Pour éviter l’humiliation, l’État a donc monté une pièce de théâtre un peu branlante : une médiation, d’abord, puis une foule de réunions avec les élus locaux, et enfin le mime d’une expulsion avortée, pour faire oublier ses menaces, ses renoncements, ses reniements, pour étouffer le « oui » vainqueur à la consultation de 2016, bref le caractère scandaleux d’une telle déculottée. Malgré tous ces efforts, la victoire scintille au milieu des ordures médiatiques et politiciennes. Elle n’a eu à dire que deux petits mots : « Et toc ! »

Ce que ces mots font de bien dans une époque où tout nous porte à croire qu’il est vain de se battre, chacun peut le sentir. Leur insolence est proportionnelle à la pression constante pesant sur le bocage depuis presque une décennie, ou au sein des manifestations de rue dans les villes de France. Le 17 janvier, des messages nous sont parvenus de toute l’Europe, tant l’expérience de la ZAD est emblématique, du fait de sa durée, de sa consistance, de sa capacité d’agrégation et de son audace. Mais ce qui nous toucha plus encore, ce furent les accolades que nous donnèrent les anciens sous le hangar de la Vacherit, celles et ceux qui avaient gagné au Pellerin, au Carnet, à Plogoff et qui levaient leurs verres au retour de cette saine peur des notables de ne plus pouvoir mener leurs grands projets dans ce pays.

... au bord de la route

Pourtant, il n’est pas simple de gagner. D’autant que dans une volonté de revanche quasi unanime, journalistes, élus et entrepreneurs s’accordaient à dire que si l’État devait abandonner ce projet d’aéroport, il fallait au moins que cela permette dans la foulée de se débarrasser des « zadistes ». Il s’agissait alors d’appuyer sur ce qui aurait pu enfin isoler les occupants illégaux de leurs voisins, de leurs camarades paysans, naturalistes et syndicalistes. Ainsi, la préfecture nous a-t-elle enjoints de démonter tout ce qui obstruait la D281, sous peine d’une intervention policière immédiate dont le périmètre demeurait délibérément flou. Les gendarmes mobiles étaient stationnés dans les environs, contrôlant les véhicules dans les bourgs jouxtant la ZAD. Cette injonction avait des accents pour le moins cocasses, puisque c’est la même préfecture, en 2013, qui avait fermé cet axe, rouvert immédiatement par le mouvement. Mais cette route n’est pas simplement un axe, c’est un symbole. Chargé de notre histoire avec ses fameuses chicanes à la fois poétiques et chaotiques, ses dessins meulés dans le goudron, ses ronces qui regagnent sur le bitume, ses usages improbables... et les désaccords qu’elle engendrait cycliquement entre nous. Car si elle était ouverte à la circulation, elle n’était pas toujours facile à emprunter, notamment pour les paysans qui peinaient parfois à y faire passer leurs machines agricoles. Elle générait également angoisses et rancœurs de la part de nombre de nos voisins, du fait de comportements parfois hostiles de certains barricadiers, et beaucoup se sont résignés à ne plus l’emprunter. Une fois l’abandon prononcé, il devenait impossible de continuer à défendre avec force les chicanes de la route alors que les villageois se prononçaient pour son ouverture totale et qu’une partie très importante du mouvement estimait ce geste nécessaire afin d’être en position de maintenir une lutte pour l’avenir de la ZAD. L’État a donc tenté de jouer sur ce point de discorde pour ne pas totalement perdre la face. Nous étions alors nombreux à nous dire que si nous ne rouvrions pas la route, l’intervention promise était fort probable. Elle aurait offert au gouvernement le récit dont il rêvait : les fameux « 50 radicaux » dont la presse faisait ses choux gras, à côté des barricades, coupés du reste du mouvement qui refusait de s’engager à ce sujet. Cela aurait pu ensuite servir de tremplin à des arrestations ou à l’expulsion de certains habitats. Dans les jours qui ont suivi l’abandon, le déblayage de la D281 est devenu le point nodal autour duquel se jouerait l’éclatement définitif du mouvement ou la possibilité de le voir croître et perdurer au-delà du 17 janvier. Devait-on prendre le risque de tout perdre — l’expérience de la ZAD, une défense unie des lieux occupés, un avenir commun avec les autres composantes — pour un symbole ? Nous avons en assemblée décidé que non, sans possibilité pour cette fois de parvenir à un consensus. Certains ont très mal pris cette résolution, et il a fallu de longues discussions, tournant souvent à la franche engueulade, pour finalement démonter les deux cabanes construites sur la route. L’une d’elles est en reconstruction dans un champ bordant la D281. Mais les tensions autour de la route et des travaux de réfection subsistent.

Il importe pourtant pour l’avenir immédiat que ce démontage ait été l’occasion de renouveler une promesse solennelle prononcée par toutes les composantes : si nous étions à nouveau en danger imminent d’expulsion, tous s’engagent à venir rebarricader les routes qui mènent à la ZAD. Et cela aussi souvent que nécessaire. C’est ainsi que le mouvement répond par le haut à la fois à ses dissensus internes et au pouvoir, pour qui la D281 peut servir à son tour de symbole pour énoncer un « retour à l’ordre ». Symbole factice car la zone est toujours occupée, mais leurre suffisant pour que l’État accepte l’ouverture de négociations sur l’avenir des lieux. En ce qui nous concerne, nous retenons de cet épisode difficile une démonstration supplémentaire de la volonté de ceux qui ne sont pas occupants de s’engager pour continuer avec nous après l’abandon. Ce n’était pas une évidence à l’heure où l’objectif initial de certains avait été atteint. Ce l’est d’autant moins quand les relations humaines se crispent durement. Mais la continuité de la présence de ces camarades marque, plus que jamais, le désir de futur commun. Ce désir autrefois improbable a pris corps au cours des années de danger et de défis partagés, de chantiers et de fêtes. Autant d’expériences sensibles qui ont bouleversé les prêts-à-penser politiques et les frontières de chaque composante. Autant de refus de se résigner à un simple retour à la normale. Cependant, il ne faut pas considérer ce désir de continuer au-delà de l’aéroport comme un acquis, mais comme un équilibre fragile dont nous devons prendre soin, car c’est lui qui alimentera maintenant la lutte.

Foncier droit devant nous

Bien que nous ne soyons pas habitués à vaincre, nous ne sommes pas pris de court par la victoire contre l’aéroport. Nous avions eu il y a des années déjà une intuition fondamentale : une victoire, cela se construit. Ainsi, bien qu’elle ait constitué une forme de rupture, ce qu’elle met en branle avait été réfléchi par le mouvement dès l’issue de l’opération César. Nous n’avons pas à inventer dans l’urgence ce que nous voulons arracher, le texte des « six points pour l’avenir de la ZAD » l’avait énoncé dès 2015. C’était un glissement fondamental : d’une lutte contre un projet, nous passions lentement à une lutte pour pérenniser et amplifier ce que nous avions édifié sur ce territoire au travers du combat. Et depuis le 17 janvier, c’est l’horizon commun que nous partageons.

Pour y parvenir, nous pouvons désormais nous appuyer sur la légitimité que nous venons d’acquérir : il a été admis que nous avions raison. De nombreuses conséquences en découlent. Par exemple, la défense inconditionnelle de l’amnistie pour tous les inculpés du mouvement anti-aéroport. Mais aussi et surtout un principe simple : celles et ceux qui ont permis que ce territoire ne soit pas détruit sont les plus à même de le prendre en charge.

La fin de la déclaration d’utilité publique le 9 février bouleverse le statut des terres de la ZAD. Sur les 1 650 hectares de l’emprise aéroportuaire, 450 sont cultivés de longue date par les paysannes et paysans résistants qui entendent bien retrouver leurs droits. 270 ont été arrachés à la gestion de la chambre d’agriculture par le mouvement pour y mener des expériences agricoles collectives. Et 530 hectares de terres sont toujours redistribués temporairement aux agriculteurs qui ont signé un accord amiable avec Vinci. À ce titre, ceux-ci avaient touché des compensations financières et obtenu pour certains des parcelles en dehors de la zone. Pourtant, ils continuent à exploiter et à percevoir la PAC sur ces terres qu’ils ont cédées à Vinci, touchant ainsi le beurre et l’argent du beurre. Les plus avides pourraient dorénavant revendiquer la priorité sur de futurs baux et profiter des terres sauvées de haute lutte par le mouvement pour agrandir leur exploitation. Par ailleurs, les anciens propriétaires en lutte qui ont refusé tout accord avec Vinci pourront retrouver leurs biens expropriés et choisir de leur redonner un usage classique, ou plus collectif en les faisant entrer dans une entité foncière commune. La bataille pour les terres se place donc au cœur de la lutte pour les mois voire les années à venir.

Le défi qui se pose maintenant au mouvement de manière brûlante tient à la possibilité d’une gestion collective sur la surface la plus importante possible et de prévenir un risque d’éclatement. Car, si la surface de la ZAD se trouvait par trop morcelée, la conséquence pourrait être la fin progressive de la force commune qui bouillonne ici, pour faire place à une somme éparpillée d’individus ou de groupes poursuivant chacun des objectifs propres. On imagine que les plus isolés pourraient être expulsés, et que d’autres seraient acculés à rentrer petit à petit dans les cadres économiques que la ZAD a si bien su faire exploser jusqu’ici. Une portion importante des terres pourrait repartir à des formes d’agriculture productivistes et peu soucieuses de l’adéquation qui s’est trouvée ici entre les activités humaines et le soin du bocage. Et ce sont bien sûr les institutions agricoles classiques qui les reprendraient en main. C’est pourquoi dès ce printemps nous devrons continuer à occuper de nouveaux terrains et à y installer des projets à même de rabattre la convoitise des « cumulards » et l’arrogance des gouvernants qui menacent d’expulser des lieux de vie dès le 1er avril.

C’est pourquoi nous avons également l’ambition de faire entrer les terres de la ZAD dans une entité issue du mouvement de lutte. La décision consistant à lui donner une forme légale est l’aboutissement de discussions entre les composantes et l’assemblée. C’était le choix que nous pouvions assumer tous ensemble, en conciliant les objectifs des uns et des autres, et donc en maintenant un rapport de force dans le futur. Cette entité viserait à englober le fourmillement de la ZAD pour en maintenir la richesse, véritable manteau sous lequel les marges d’invention et de liberté pourraient continuer à se développer. Elle ne serait qu’une forme, la plus cohérente possible bien sûr avec nos désirs. L’essentiel résidera encore et toujours dans la manière dont on habite à la fois cette forme et ce territoire.

Ce choix de se diriger vers une assise légale a été pour beaucoup ici contre-intuitif, remuant au plus profond les prérequis politiques d’une bonne partie des occupants. Il nous a obligés à nous demander sérieusement ce à quoi on tenait. À nous demander ce qui permettrait encore à l’avenir d’assurer la pérennité de toutes les activités et de tous les lieux de vie. Nous sommes certains que ces questions complexes ne se résolvent pas par des diatribes défiantes sur la trahison supposée des uns ou des autres et par un fatalisme radical sur des lendemains aseptisés. Nous ne pouvons nous satisfaire des prophéties autoréalisatrices qui prédisent que les expériences de commune libre finissent à tout coup écrasées ou réintégrées. Nous pensons au contraire qu’il s’agit, dans ce moment de basculement, de discerner ce qui permettra au mieux une fidélité aux promesses que l’on s’est faites pas à pas sur l’avenir. Le pari en cours est loin d’être encore gagné. Il nécessite une confiance inouïe entre nous, entre les composantes, les personnes. Confiance dans nos buts, dans nos pratiques, et dans le respect que chacun leur porte. Une telle confiance est un fait rare de nos jours. Nous sommes bien conscients du fait que toute légalisation comprend bien évidemment des risques de normalisation. Mais ce que l’on envisage prend plutôt le chemin inverse : créer des précédents qui continuent à repousser le seuil de ce que les institutions peuvent accepter. En espérant que ces coins enfoncés dans la rigidité du droit français servent à bien d’autres que nous à l’avenir. C’est parce que nous croyons en cette hypothèse que nous avons décidé d’aller défendre notre vision de l’avenir de la ZAD face à l’État au sein d’une délégation commune regroupant toutes les composantes. Cela plutôt que de laisser place à des tractations séparées qui pousseraient ceux qui s’y prêteraient à la défense d’intérêts singuliers et donc parfois clivants. Cette délégation sera l’émanation des assemblées du mouvement, qui continueront, parallèlement, à mener les actions nécessaires pour arracher ce que les négociations n’assureraient pas.

Des usages assemblés

Le poêle soudé dans un chauffe-eau ne parvient pas à tiédir l’atmosphère de la grande salle de la Wardine. La centaine de personnes prend place, qui dans un canapé, qui sur un banc. Derrière leur cercle tirant sur l’ovale, les murs entièrement recouverts de peintures renvoient à une ambiance plus proche du concert punk que de la réunion. La petite foule est bigarrée, en âge, en style, en mode de vie. Une paysanne prend la parole. Sa ferme se situe à une trentaine de kilomètres de la ZAD, pourtant, lorsqu’elle évoque ces 1 650 hectares, on pourrait croire qu’elle y est née et qu’elle compte y finir sa vie. C’est comme ça qu’elle en parle, c’est à ce point qu’elle y tient.

On dit souvent « le territoire appartient à ceux qui y vivent », pour marquer une rupture avec les velléités technocratiques de l’État. Ici, c’est bien plus que ça. Il appartient à un mouvement, non par la propriété, mais par le combat. Et depuis l’abandon, la salle de l’assemblée est toujours aussi pleine, remplie de ces gens qui formeront le cœur non pas juridique, mais réel, de l’entité que nous appelons de nos vœux et qui lutteront pour que les façons de vivre que l’on a bâties ici perdurent et s’approfondissent. Ces dernières reposent sur un type de partage pour le moins inhabituel.

S’il existe en effet un endroit où la possession de capital n’est pas source d’orgueil et de valorisation, c’est bien cette zone. Beaucoup de choses y sont d’ailleurs gratuites, on peut utiliser des tracteurs, des outils ou des livres sans jamais mettre la main à la poche. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas comme partout circulation de monnaie. C’est son usage qui diffère, et son symbolisme : nous voudrions que payer ne soit pas le remboursement facile d’une absence d’implication dans le commun, un dédouanement. S’il y a un peu d’argent, donc, il y a par contre une lutte acharnée et quotidienne contre la logique économique qui voudrait que chaque geste entre dans un calcul de valeur. Nous tentons au contraire de lui substituer nos liens, nos attachements, la confiance et un certain sens de l’engagement. La réciprocité scrupuleuse n’est pas exigée, car les échanges ne sont pas pensés à l’échelle individuelle, mais à celle du territoire. Si le boulanger donne un pain à une personne du Zad Social Rap, il ne calcule pas à combien de couplets se chiffre sa farine. La première ligne de comptabilité des services rendus n’a pas encore été écrite. Évidemment, rien ne nous garantit que tous jouent le jeu ; c’est à la fois un pari et une question d’équilibre. Le soin apporté à la qualité des relations et des perspectives communes conjure bien mieux l’économie que le bannissement du moindre euro...

C’est ainsi que l’on conçoit la production, mais aussi l’espace : les prés, les forêts, les fours à pain, les ateliers... Comme des communs. Cela ne veut pas dire que tout est indifféremment à tous. Celles et ceux qui ont construit, qui entretiennent ou utilisent régulièrement des espaces, s’y projetant pour plusieurs années, n’ont évidemment pas le même poids quand il s’agit de décider ce qui y adviendra. L’usage vient empêcher que le chaos ne prenne la place de la propriété. Parallèlement, le mouvement déploie son inventivité afin que les besoins des nouveaux venus désirant s’impliquer soient satisfaits. La bataille qui s’ouvre aujourd’hui n’est donc pas uniquement un combat pour les terres, pour le foncier, mais surtout pour faire vivre cette manière de les partager, et redonner ainsi un tout autre sens à l’idée de travail ou d’activité. Et ce faisant elle dépasse de loin les seuls 1 650 hectares de la ZAD.

Demain, c’est pas loin

Il y a quelques mois, en passant le long du chemin de Suez, on pouvait entendre des chants résonner en basque, en breton, en italien, en occitan, en polonais, et parfois même en français. Ils émanaient du chantier de l’Ambazada, un double hangar destiné à devenir l’ambassade des luttes et des peuples du monde entier à la ZAD. Cette idée a vu le jour au sein du comité de soutien basque, qui a organisé des « brigades » venues nombreuses participer à la construction de l’édifice avec des occupants. Des groupes pourront y passer quelques jours ou semaines, y parler de leurs combats, s’y organiser avec nous, tout en buvant un verre au bar. Nous pourrons y approfondir la coordination entre les luttes territoriales qui s’est formée l’an dernier, et ainsi être plus forts, nombreux et organisés partout où un projet menace une contrée.

Ces dernières semaines, nous entendons beaucoup parler d’une pacification de la ZAD, et de son avenir de « zone agricole alternative ». Il ne serait plus à l’ordre du jour de lutter ici puisque aéroport il n’y aura pas. D’autres disent que désormais, Notre-Dame-des-Landes pourrait devenir une base d’appui matérielle pour les autres luttes, puisque le front a disparu. Nous préférons quant à nous ne pas opposer front et base, car les deux sont ici intimement liés. C’est la conjugaison des traditions offensives des paysans locaux et de l’assise de la ZAD qui a permis d’assurer une production conséquente et de l’emmener sur les piquets de grève à Nantes. C’est encore cette hybridation qui portera son énergie jusqu’aux bois de Bure, au quartier libre des Lentillères, aux collines de Roybon ou sur le causse de Saint-Victor. De même, la force matérielle de la ZAD (menuiserie, meunerie, forge, conserverie, radio pirate, barnums, sonos, tractopelle et semences...) grossit et se constitue grâce à l’appui d’agriculteurs et salariés en lutte. C’est indémêlable, et c’est tant mieux. Car conserver et densifier ces liens-là nous met à l’abri d’un devenir agricole pacifié tout autant que d’une zone radicale à la marge. Ce sont bien encore et toujours la circulation et l’échange qui permettront à la ZAD de ne pas se refermer. Plus elle vit curieuse, accueillante et aventureuse, et plus son territoire réel s’étend bien au-delà de son périmètre.

Sous les ardoises du Hangar de l’avenir, à la nuit tombée, nous préparons la zbeulinette, une caravane dépliable contenant mille et un rangements en bois. Elle est désormais le véhicule de notre présence dans les luttes nantaises. Chargée de nourriture, de boisson, de musique et de livres, elle détone quelque peu au milieu des boulevards haussmanniens. Ce n’est pas une caravane de soutien, car nous sommes intrinsèquement pris dans la plupart des combats qu’elle approvisionne. Demain, c’est à l’université qu’elle ouvrira ses ailes. Sur le parking, dès l’aube, des groupes déplacent le matériel nécessaire à l’édification de barricades : un amphithéâtre de la faculté et le château du rectorat sont occupés par des étudiants et des mineurs sans papiers. Nous déployons notre attelage, ses tables et son système de son. Déjà, les dix billigs qu’elle cachait commencent à fumer dans l’air glacial. Les galettes de la ZAD ont une réputation qui date du mouvement contre la loi travail. Les jeunes s’approchent donc rapidement, en commentant le tour de main des crêpiers. Savent-ils ce qu’il a fallu de réparations de matériel agricole, de chantiers communs, de récoltes, de meuniers pour que cette farine se transforme en galettes ? Peu importe après tout, l’essentiel est que la faim s’apaise, que la chaleur pénètre les corps.

Il n’existe nulle part ailleurs dans le pays un espace tel que celui de la ZAD, regroupant autant de capacités matérielles tournées vers la lutte. Cœur d’une circulation réelle, il est aussi celui d’une circulation des idées et des imaginaires, des projections les plus folles. L’assise temporelle et matérielle qui manque tant à nos combats et que l’on pourrait enraciner ces prochains mois permettrait à la fois de donner une tout autre ampleur aux mille activités qui existent à la ZAD, et de concrétiser ces projections. Créer un hameau ouvrier avec nos camarades syndicalistes (respectant le style architectural de la ZAD !), rendre les habitats existants à la fois toujours plus commodes et plus loufoques, greffer des fruitiers dans toutes les haies du bocage, constituer un troupeau-école pour apprendre l’élevage, ouvrir un centre social, un centre de soins, une maison des anciens, agrandir la bibliothèque, construire un hammam, faire entrer des terres hors ZAD dans l’entité, rendre régional voire national le réseau de ravitaillement des luttes, se doter d’une imprimerie... La liste est longue de toutes les envies que nous inspirent ces quelques centaines d’hectares. Elle est ouverte également aux vôtres : les terres que nous allons occuper au printemps attendent des installations, qu’elles soient ou non agricoles. Il nous est difficile de mesurer aujourd’hui tous les bouleversements que l’abandon va engendrer. Une saison vient de se finir sans que l’on ait encore basculé dans la suivante. Ce temps nouveau, nous devons l’arracher, le construire, l’inventer. Et c’est avec nos rêves qu’on façonnera ces métamorphoses.

Rendez-vous le 31 mars en cas de menaces d’expulsion et au printemps pour se projeter sur de nouvelles terres !

Des habitant·e·s des lieux suivants :
le Moulin de Rohanne, la Rolandière, les 100 noms, la Hulotte,
Saint-Jean-du-Tertre cabane et ferme, les Fosses noires, la Baraka et Nantes
réuni·e·s dans le CMDO (Conseil pour le maintien des occupations).

Pour nous contacter : et-toc(at)riseup.net

Source : zad.nadir.org
8 février 2018.

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